Hans Zimmer est le genre de type capable de composer la bande-son d'un film à partir d'une simple photo

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Hans Zimmer est le genre de type capable de composer la bande-son d'un film à partir d'une simple photo

Le maître de la B.O. hollywoodienne nous a parlé de sa performance à Coachella, de la musique du «​ Roi Lion »​ et de ses méthodes de travail insensée sur les films de Christopher Nolan.

Emmener un orchestre entier en plein désert californien pour le festival Coachella : voilà une tâche devant laquelle bon nombre de nos contemporains reculeraient. Mais s'il est une chose que la carrière hyperactive de Hans Zimmer nous a prouvé, c'est que le compositeur et producteur allemand ne recule devant aucun challenge.

Depuis les années 80, il a composé la musique de plus de 120 films, de Croc-Blanc à Interstellar en passant par Le Roi Lion, La Ligne rouge, Pirates des Caraïbes ou la trilogie des Batman de Christopher Nolan. Bien qu'il n'ait suivi en tout et pour tout dans sa vie que deux semaines de formation à la musique classique, il a reçu tellement de prix récompensant son œuvre (Grammys, Golden Globes, Academy Awards, etc.) que son style est devenu un modèle pour de nombreux compositeurs actuels.

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Malgré son CV impressionnant, le musicien fêtait son 59ème anniversaire seulement le week-end dernier, lors de la 18ème édition de Coachella, où il partageait l'affiche avec Kendrick Lamar, Lorde, DJ Khaled et Justice. Dirigeant un orchestre qui jouait ses thèmes les plus connues, Zimmer était épaulé par d'autres musiciens de scène comme Nile Marr (le fils de Johnny, parfaitement) et a même été rejoint par Pharell Williams, le temps du morceau « Freedom » (les deux avaient déjà collaboré ensemble sur la bande-son de Hidden Figures en 2016).

On a passé un coup de fil au prolifique compositeur pour qu'il nous raconte sa première fois en festival, qu'ils nous en dise un peu plus sur sa méthode de travail et qu'il nous dise ce que ça fait d'entendre 30 000 personnes reprendre le thème du Roi Lion.

Noisey : Comment t'es tu retrouvé sur l'affiche de Coachella ?
Hans Zimmer : Aucune idée. Je trouvais juste l'opportunité intéressante. Je me suis dit « C'est tellement fou, d'emmener un orchestre entier en plein milieu du désert, que quelqu'un doit le faire. » Pourquoi pas après tout ?

Quelle a été la réaction du public ?
Incroyable et totalement inattendue. La première fois que quelqu'un fait un truc pour la toute première fois, les gens pensent que c'est une idée super intelligente, alors que l'initiateur de l'idée vit une angoisse totale : « Oh mon Dieu, et si ça ne marche pas, et si personne ne vient ? » Être à ce point accueilli et acclamé par le public, c'était vraiment fantastique. Vraiment génial.

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Comment avez-vous choisi les morceaux de la setlist ?
J'ai commencé par prendre les titres sur lesquels tout le monde dans le groupe s'entendait, mais à la fin, c'est surtout Nile Marr qui a fait sa tambouille et qui a mis tout le monde d'accord pendant que tous les autres s'interrogeaient sur tel ou tel morceau. C'est le membre le plus jeune du groupe et il est très futé. Je suppose que ça lui vient de l'ADN de son père [le guitariste des Smiths, Johnny Marr], qui sait très bien comment gérer ces situations. Tout le monde est resté silencieux et l'a écouté, et on a joué la setlist de Nile Marr.

La chose la plus importante pour moi c'est de me fier aux musiciens, donc mon groupe est plutôt démocratique. La deuxième chose, c'est que notre setlist vient littéralement du cœur. On n'a pas de nouvel album qui sort. On n'a rien à vendre à personne. On veut juste divertir les gens, et leur faire vivre une expérience qu'ils n'ont jamais vécu avant.

Il y a un morceau en particulier sur lequel les gens se sont vraiment lâchés ? 
C'était plutôt diffus. Ce que j'essaie toujours de faire avec les films, c'est d'embarquer les gens en voyage. Donc il y a différentes réactions à différents moments, mais ce que je peux t'affirmer, c'est que je n'ai jamais entendu un refrain aussi bon qu'à la fin du « Roi Lion », repris par tout le public de Coachella. C'était unique.

Puisqu'on parle du Roi Lion, je sais que c'est une bande originale qui te tient particulièrement à cœur. 
La manière dont ça s'est passé est assez ironique. J'avais répondu à Disney : « Tout ce que vous voulez, c'est une comédie musicale de princesses, et je n'aime pas les comédies musicales de princesses, je ne suis pas votre homme. » Et ils continuaient à me dire « Non, non, c'est vous dont nous avons besoin, car vous ferez quelque chose de différent. » Ma fille à l'époque avait 6 ans et je n'avais jamais pu l'emmener à aucune avant-première. Donc j'ai finalement accepté, et il y avait une raison à ça. En tant que père, je voulais frimer. Je me suis alors posé devant le film en me demandant, « Qu'est ce que que je vais bien pouvoir faire avec tous ces animaux ? »

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Plus je me plongeais dans l'histoire, plus je réalisais qu'il ne s'agissait pas simplement d'animaux de dessin animé. Il y avait un élément très tragique au sein de l'histoire, qui racontait la mort d'un père et l'enfant laissé derrière. Et je me suis vraiment reconnu là-dedans, mon père est décédé quand j'avais 6 ans. Les enfants—quoiqu'on veuille bien raconter à ce sujet—ne font pas le deuil avant des années. Donc pour la première fois de ma vie, je devais y faire face, et me souvenir de tous ces sentiments pour les reproduire dans ma musique. C'était la façon la plus honnête de l'écrire. Cette bande-son est en quelque sorte devenue un requiem pour mon père.

Donc pour ce film, tu t'es basé sur un sentiment.
J'ai travaillé à partir d'un sentiment oui, mais ça peut être juste un mot aussi. Très souvent, il faut se discuter avec le directeur de la photographie. Il fait en quelque sorte le même job que moi mais à la lumière. Il compose avec la lumière.

Tu travailles souvent en binôme avec le directeur de la photo.
Si tu envisages ça d'un point de vue strictement physique, la lumière et le son font partie d'un même spectre. Je me souviens que dans le Roi Lion, il y avait une scène que je n'avais pas eu en couleur et ça me bloquait. Aujourd'hui encore, je sais que j'ai choisi les mauvaises couleurs pour l'orchestration et ça détonne avec ce qu'on voit à l'écran. Personne d'autre ne l'a jamais remarqué—il n'y a que moi. Ça me rend cinglé.

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Donc oui, les gens parlent toujours d'un film comme d'une collaboration, et c'en est une, mais d'un point de vue très subjectif. Je me souviens d'un travail avec Gore [Verbinski]. J'avais lu son script et je lui avais téléphoné aussitôt : « Gore, je n'ai aucune idée de ce dont tu parles. Envoie-moi des rushes, envoie-moi n'importe quoi ! » Et il m'a envoyé la capture d'une salle d'attente d'hôpital avec une pendule fêlée. J'ai composé la bande originale entière à partir de cette photo. Et il savait ! Il y a réfléchi en long et en large, avant de me l'envoyer, et il savait que c'était l'image qui pouvait résumer entièrement son film.

Pourquoi tu n'aimes pas les comédies musicales au fait ?
Écoute, je suis le genre de type que les gens embauchent sur leur film pour avoir le contraire de ce que le public attend, celui qui demande sans arrêt « pourquoi est-ce qu'on ne ferait pas ça plutôt comme ça ? » Je suis le genre de type à jeter une grenade dans une pièce quand tout le monde est extrêmement calme, à poser des questions insensées. Il y a des tas de comédies musicales que je trouve kitsch, et d'autres auxquelles je voue une adoration sans bornes. Je pensais juste que le monde n'avait pas besoin d'un nouveau conte de fées, voilà tout.

Pharrell et Hans Zimmer à Coachella 2017. Photo - Joe Eley

Quand tu travailles sur la musique d'un film, par où commences-tu ?
Ça commence toujours de la même façon. Quelqu'un m'appelle—souvent le réalisateur—pour me dire, « je veux te raconter une histoire. » Les réalisateurs sont fascinants de nature, ce sont des conteurs brillants. Dès le troisième paragraphe, ils parviennent à t'accrocher. Ils ont une vie de rêve quand tu y penses, parce que tous les gens aiment qu'on leur raconte une bonne histoire. Habituellement, quand on me dévoile une histoire—et avec Chris [Nolan] on le fait généralement en face à face—les idées commencent à germer. Je ne dirais pas que j'arrive déjà à entendre des mélodies, mais j'entends des sons. J'entends quelque chose en moi, qui essaie de sortir. Et les idées se forment.

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Tu n'as même pas besoin d'une photo finalement, un détail te suffit.
Oui. Pour Inception, j'écrivais pendant nos conversations avec Chris, je composais littéralement pendant qu'on tournait. Je me suis mis à lui envoyer des morceaux sans lui dire où est ce qu'ils étaient supposés aller, juste pour voir s'il pouvait le découvrir de lui-même. C'est un jeu auquel on joue. Je vois si ça peut s'articuler avec le film et, en même temps, si le réalisateur peut l'entendre. Ce n'est pas un processus mécanique. Nous vivons à l'ère de la technologie et je ne dirais jamais à un réalisateur « Tu dois boucler ton film maintenant parce que moi il faut que je m'y mette ». Tout est fluide. Pour te dire, même dans le bus tout à l'heure, je continuais à écrire pour Dunkerque, le prochain film de Chris. Nous ne vivons plus à l'époque où on est obligés de stopper net le processus créatif. On peut désormais exploiter ses idées jusqu'au tout dernier moment. Et oui, ça rend certaines personnes de l'équipe complètement folles, mais c'est comme ça qu'on fonctionne.

Est-ce que, comme ça arrive souvent à Hollywood, on a déjà voulu t'enfermer dans une case ?
J'ai travaillé très dur, et dès le début, je me suis faufilé un peu partout pour que personne ne puisse me cataloguer. Enchaîner Black Rain avec Rain Man ? Pas de problème. Travailler sur Miss Daisy et son chauffeur puis Backdraft a fait que les gens n'arrivaient pas à savoir qui j'étais, ce qui fait que personne ne m'a jamais mis dans une case. Si tu regardes les films que j'ai fait avec Jim Brooks, ils sont très différents de ceux que j'ai fait avec Chris Nolan.

Même dans les films de Chris, quand on a fait Batman Begins, aucun d'entre nous ne savait qu'il y aurait une suite. On a tout donné pour ce film. Puis les années ont passé et on a fait The Dark Knight, puis The Dark Knight Rises. Ce ne sont que 3 films, mais d'une manière ou d'une autre, ils représentent 12 années de ma vie. J'ai parfois dû me rappeler que j'avais—sans le vouloir—mis en place sur le premier volet une tonalité que je devais retrouver dans le troisième. Mais c'est le jeu. Et je ne m'en plains pas.

Quels sont tes prochains chantiers ?
C'est une leçon que j'ai apprise : écrire de la musique et des bandes originales consiste à construire de longs arcs; faire que cet embryon de mélodie que tu entends dans le prologue revienne de manière plus évidente dans le troisième acte, par exemple. Alors que jouer en live n'a rien à voir, tout se passe sur l'instant. Si je me projette ou que je pense à la chanson suivante, je me trompe de note. En ce moment, je vis l'instant. La seule réponse que je peux te donner c'est qu'aujourd'hui je suis à San Francisco, pour un concert qui a lieu demain, et je n'ai aucune idée de ce qu'on fera après demain, et je ne veux même pas le savoir.

Hans Zimmer trace la route sans se retourner, les dates de ses concerts sont ici.

Corinne Przybyslawski est sur Twitter.