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Quand les Belges partent en guerre pour défendre leur fromage qui pue

D’un côté, il y a l’agence fédérale chargée d'effectuer les contrôles d’hygiène et de l’autre, le peuple belge qui ne veut pas voir disparaître ses spécialités locales.
Photo by Janelle Jones

Avec sa croûte collante, sa pâte moelleuse à base de lait cru et sa franche odeur de terroir qui vous hante jusque sur le bout des doigts, le fromage de Herve est l'une des (nombreuses) fiertés de la Province de Liège, dans l'Est de la Belgique. Tant et si bien qu'il aurait pu se retrouver sur les armoiries de la ville si on ne s'était pas rendu compte que c'est quand même un peu gênant de vouer une adoration pour un truc qui chlingue autant. C'est que l'on parle ici d'une spécialité vieille de six siècles au moins – mieux, on parle du seul fromage AOP de tout le plat pays.

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Pas étonnant donc, qu'on ait assisté à une violente levée de boucliers quand, en 2015, un contrôle d'hygiène de l'AFSCA (une agence étatique belge qui garantit la sécurité de la chaîne alimentaire) pousse l'un des deux derniers producteurs de « Herve » à l'ancienne à fermer boutique. La visite de routine avait beau avoir révélé des traces de bactéries de listeria, potentiellement mortelles, le peuple belge avait fait campagne dans les médias et sur les réseaux sociaux pour désavouer l'AFSCA et militer pour la survie de leur frometon local – et par extension, de leur patrimoine culinaire.

Pour les défenseurs de la tarte au riz, les contrôles effectués par l'Agence ne représentent rien d'autre qu'une nouvelle atteinte à la diversité du patrimoine culinaire local.

L'opposition avait pris la forme de pétitions à succès, de groupes Facebook vengeurs, d'un blog frondeur et de la mise en place de comités citoyens pour soutenir les producteurs durant les contrôles – on est alors sérieusement à deux doigts d'empoigner les torches et les fourches. Tentant péniblement de redorer son image dans tout ce vacarme médiatique, l'AFSCA a même tenté d'effacer toute mention de l'affaire sur sa page Wikipédia, mais a fini par se faire gauler.

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Malgré l'ire de tout un peuple, l'Agence persiste et signe. En juin dernier, elle s'attaque à la sacro-sainte tarte au riz de Verviers, une autre spécialité adulée de la région. Les inquiétudes de l'AFSCA ? La tarte au riz est au lait cru et est habituellement conservée à température ambiante – autrement dit : c'est un nid à bactéries.

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Parmi les farouches défenseurs du dessert, la Confrérie de la tarte au riz (Oui, elle existe) et Muriel Gerkens, député fédérale écolo, qui est allée jusqu'à prendre à parti ses confrères en lâchant cette phrase pleine de bon sens : « Qu'est-ce que c'est que ce pays qui veut autoriser le roundup [l'herbicide de la compagnie Monsanto, N.D.L.R], et qui veut interdire la tarte au riz ? »

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Capture d'écran : page Facebook de Muriel Gerkens.

L'AFSCA, de son côté, essaye de se rattraper en affirmant qu'elle a simplement commandé une étude sur les températures de conservation, mais pour les défenseurs de la tarte au riz, les contrôles effectués par l'Agence ne représentent rien d'autre qu'une nouvelle atteinte à la diversité du patrimoine culinaire local.

« On n'a pas connaissance d'une quelconque toxicité liée à ce mode de conversation, et que je sache, vu le nombre de personnes qui en mangent, s'il y avait un danger, ça se saurait. C'était la même chose avec le fromage de Herve ! De la listeria, il y en avait, mais c'était beaucoup moins dangereux parce qu'elle était accompagnée d'autres bactéries – en comparaison avec un fromage qu'on pasteurise et qui peut vraiment être dangereux », réplique Patrick Böttcher de Slow Food, un mouvement international de sensibilisation à l'écogastronomie et à l'alterconsommation.

Pour les Belges, la véritable crainte, c'est que toutes ces mesures sanitaires ne fassent définitivement disparaître le lait de terroir.

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Car derrière cette polémique – qui peut sembler stérile à quiconque n'a jamais goûté les délices d'une véritable tarte au riz tiédie sur pierre –, se cache pour certains une politique d'hygiénisme européenne qui demanderait à l'AFSCA de faire le sale boulot.

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La fameuse tarte au riz au lait cru, spécialité de Verviers. Source : televesdre.eu.

Pour les Belges, la véritable crainte, c'est que toutes ces mesures sanitaires ne fassent définitivement disparaître le lait de terroir. Car le fait de tuer les germes présents naturellement dans le lait ne conduit pas seulement à modifier son goût, il contribue aussi à son appauvrissement. Certains puristes comparent même la disparition du lait cru à l'extinction d'une espèce animale (Véronique Richez-Lerouge, auteure d'un livre sur le sujet, l'appelle le « lait mort »).

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« Bien sûr, il faut garantir les conditions sanitaires d'usage en faisant le nécessaire pour écarter les germes pathogènes. Mais notre société fait miroiter le risque zéro. Or, celui-ci n'existe pas », dénonce Michel Behrin du Groupement d'Intérêt Économique (GIE) du lait cru, pourtant membre d'une cellule « petits producteurs » au sein de l'AFSCA. Ce que peu savent aujourd'hui, c'est que le lait de supermarché devient « inerte » après pasteurisation, explique le GIE. Que ce soit en France ou en Belgique, il faut donc « l'ensemencer » à nouveau pour lui redonner ses qualités naturelles. « [C'est] un positionnement très semblable à ce que l'on constate dans l'agro-industrie plus globalement : on veut faire du chiffre, quitte à produire de la malbouffe », balance Michel Behrin.

Alors, c'est bon ? Vous reprendrez bien un peu de germes, avec votre tarte au riz ?