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Une histoire française des émissions de cuisine à la télé

De 1953 à nos jours, la bouffe a toujours été la première préoccupation des Français – après la politique, la météo et le trafic sur la route des vacances.

VICE et l'INA explorent les archives télé des émissions marquantes du PAF. Pour le quatrième épisode de notre colonne intitulée « Nourritures cathodiques », on s'est penché sur le truc qui passionne le plus les français après la politique et la météo : les émission de bouffe à la télé.

On dit souvent que les premiers souvenirs de cuisine sont des souvenirs d'enfance. Le fumet d'une daube qui mijote tranquillement sur le feu, la vinaigrette de la grand-mère sur le croquant de la salade ou même, le goût des carottes de la cantine. À cet âge-là, chaque saveur est une surprise. Le cerveau range méticuleusement chaque nouveau goût dans une petite case et constitue, repas après repas, sa propre mémoire gustative : votre futur palais.

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C'est peut-être aussi parce que l'on a tendance à associer librement l'acte de manger, rituel quotidien, à des passages marquants de sa vie. Du coup, si la mémoire gustative est intimement liée à certains plats bien précis, elle doit aussi être liée, forcément, à des souvenirs en lien avec un autre rituel quotidien : la télévision. Car pour ceux nés en France après 1953 (date à laquelle les premières émissions de cuisine apparaissent sur les écrans), il y a fort à parier que vos souvenirs cathodiques et vos souvenirs culinaires se sont déjà croisés. En d'autres termes, s'il y avait une télé dans votre salon et qu'elle était allumée à l'heure des repas, il y avait obligatoirement une émission de cuisine qui se jouait dans le fond.

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Du coup, est-ce que l'on se souvient de son premier plat comme de son premier dessin-animé ? On n'ira pas jusque-là, mais force est de constater que la télévision française – tout au long de son histoire – a toujours laissé une place, petite ou grande, aux émissions de gastronomie dans sa grille de programme. Fleuron de la culture française, la bouffe est, depuis toujours, l'une des premières préoccupations des Français – après la politique, la météo et l'état du trafic sur l'autoroute des vacances.

C'est la raison pour laquelle vos grands-parents se rappellent sûrement de l'accent chantant de Raymond Oliver, chef médiatique mythique qui mitonnait plats et téléspectateurs sur la R.T.F. et que vos darons ont connu La vérité au fond de la marmite et la Grande Cocotte, dans les années soixante-dix. Quant à vous, si vous êtes nés entre les années quatre-vingt et deux mille, vous êtes tombés amoureux de la gouaille de Maïté dans La Cuisine des Mousquetaires, vous avez bloqué au moins une fois sur le générique fou de Bon appétit bien sûr, et vous connaissez forcément le fameux « gourmand-croquant » (et la toute relative approximation capillaire) de Cyril Lignac dans Chef, la recette !

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Parce que l'histoire des émissions de bouffe à la télé française est au moins aussi riche et dense que la liste des fromages répertoriés sur notre beau territoire, on a demandé à Olivier Roger, spécialiste en Histoire audiovisuelle et auteur de La cuisine en spectacle, paru chez INA éditions, d'éclairer notre lanterne. Ou plutôt, de nous ouvrir l'appétit.

Bonjour Olivier. À quand remonte la première émission de cuisine à la télévision française ? La première émission intégralement consacrée à la cuisine date de 1953. Elle est apparue en même temps que la télévision est née en France. À cette époque, on cherchait à développer des programmes pour ce tout jeune média et Jean d'Arcy, le directeur des programmes de la RTF (Radio Télévision Française) a proposé d'adapter un programme qui existait déjà en Allemagne. Ainsi est né Les Recettes de M. X, la première émission de cuisine française, dans laquelle un comédien présente des recettes dans un costume avec un tablier par-dessus. On y montrait des recettes simples, de manière professorale, mais avec ton humoristique qui rendait le programme divertissant. Mais l'émission n'a pas rencontré son public et, après un an de diffusion hebdomadaire, c'est le grand chef Raymond Oliver qui a pris sa place.

À quoi ressemblaient les premiers présentateurs d'émissions de cuisine ? Le premier présentateur fut Georges Adet dans Les Recettes de M. X. C'était un comédien de théâtre qui intervenait déjà à la télévision dans le cadre des « dramatiques » – ces pièces de théâtre filmées dans des studios de télévision et diffusées en direct. Si on l'a choisi pour présenter des émissions de recettes, c'est sûrement parce qu'il incarnait un gastronome jovial. En réalité, je pense qu'il était peu familier avec l'art culinaire. Son émission, conçue pour être diffusée en soirée, ne proposait pas de leçons de cuisine à proprement parler et s'adressait donc à tous les publics. Néanmoins, son horaire de diffusion a été rapidement avancé à la fin d'après-midi, ce qui nous laisse à penser que le public visé par l'émission était devenu essentiellement féminin.

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Raymond Oliver, celui qui lui a succédé, était quant à lui un professionnel de la cuisine reconnu, chef du célèbre restaurant « Le Grand Véfour » à Paris.

Il est arrivé à la télé presque par hasard, mais il a rapidement suscité l'attachement du public. Sa large carrure, sa voix grave et son accent bordelais ont fait de lui une personnalité du petit écran. Assisté dans ses émissions par Catherine Langeais, une speakerine qui faisait l'intermédiaire entre lui et le public, le chef s'adressait aux femmes – et plus particulièrement aux « ménagères ».

…aux « ménagères », c'est-à-dire ? Dans les années 1950, Raymond Oliver s'adressait en effet explicitement aux « ménagères », c'est-à-dire aux femmes qui, à cette période, étaient « naturellement » chargées de l'entretien de la maison et de la famille, et donc de faire la cuisine. Les jeunes filles recevaient d'ailleurs des cours d'enseignement ménager à l'école, afin de les préparer à l'accomplissement de ces tâches qui leur incombaient. Mais dès 1959, Raymond Oliver propose une émission adressée aux hommes et cette perspective évolue un peu. Le but : diversifier son public en proposant des recettes qui, pour s'adapter aux pratiques masculines, devaient être plus simples et plus originales. Il faudra attendre le grand renouvellement apporté aux émissions de recettes dans les années 2000 pour trouver des émissions qui s'adressent explicitement à un public aussi bien masculin que féminin. Dans les émissions de Cyril Lignac, par exemple, on a mis pour la première fois en scène des participants des deux sexes – preuve que ses recettes avaient vocation à être reproduites par tous.

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En donnant à des grands chefs une exposition médiatique inédite, la télévision n'a eu de cesse rendre célèbres des chefs qui étaient peu ou pas connus du grand public avant de passer à la télévision.

Est-ce que les recettes que l'on montrait à l'écran correspondaient à ce que les Français cuisinaient eux-mêmes chez eux ? Quand on regarde les émissions de cuisine avec un regard d'historien, il est tentant de voir un reflet de ce qu'ont pu être les goûts des Français à telle ou telle époque. Mais il arrive que les émissions soient en décalage avec la réalité de la cuisine de leur temps. Dans les années 1950 et 1960, par exemple, Raymond Oliver a présenté un certain nombre de recettes exotiques et avait recours à des ingrédients qui étaient alors peu accessibles voire presque inconnus, comme l'avocat. À l'inverse de cette cuisine en avance sur son temps, Maïté a marqué les esprits parce que la cuisine qu'elle proposait au début des années 1990 était celle d'un âge révolu. L'attrait pour la cuisine légère avait rendu nombre de ses pratiques désuètes, ce qui n'enlevait rien de leur charme ou de leur spectacularité !

Est-ce qu'on peut dire que la télé française a contribué à rendre certains chefs célèbres ? Absolument. En donnant à des grands chefs une exposition médiatique inédite, la télévision n'a eu de cesse rendre célèbres des chefs qui étaient peu ou pas connus du grand public avant de passer à la télévision. Bien sûr, il y a des contre-exemples, comme Joël Robuchon qui est entré à la télévision parce qu'il était un grand chef reconnu par les critiques et par le grand public. Mais le premier des grands chefs à être devenu une « star » grâce à la télévision a été Raymond Oliver, qui officiait dans un restaurant connu à Paris mais guère au-delà. Cyril Lignac, à l'inverse, a sans doute été le premier à accéder au statut de chef étoilé en s'appuyant sur la popularité qu'il avait acquise grâce à la télévision.

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Comment est-ce que l'on peut expliquer la popularité soudaine de Maïté et de la Cuisine des Mousquetaires ? Maïté est l'exemple le plus frappant d'une personnalité médiatique parvenue à une gloire inattendue. Lorsque l'émission La cuisine des Mousquetaires a été créée sur FR3 Aquitaine, l'objectif n'était pas de proposer un programme de divertissement – ce qu'il est pratiquement devenu ensuite. Choisie pour incarner la cuisine traditionnelle de sa région, Maïté a rapidement attiré l'attention parce qu'elle ne correspondait pas à l'image très lisse qui était celle des animateurs des émissions culinaires jusqu'alors. Sa cuisine brutale, excessive, a fasciné et amusé parce qu'elle était en décalage complet avec les habitudes de l'époque. L'attachement fort du public à l'égard de Maïté, même si elle a été très moquée, tient au fait qu'elle incarnait une forme d'authenticité qui semblait alors peu présente dans l'univers de la télévision.

Peut-on se retrouver à la tête d'une émission culinaire alors qu'on a aucune expérience professionnelle derrière les fourneaux ? Recourir à des professionnels de la cuisine pour présenter des recettes aux téléspectateurs contribue à instaurer une distance entre le chef et son public, ce qui peut le rendre moins réceptif à l'approche technique – et donc un peu intimidante – de la cuisine. Il faut aussi savoir que les chefs ne sont pas des professionnels des médias et donc, ne sont pas toujours forcément à l'aise devant une caméra. C'est ce qui explique en partie pourquoi de nombreux animateurs d'émissions de cuisine ne sont pas des chefs ni des professionnels du secteur. C'est le cas de Julie Andrieu ou de Laurent Mariotte, un animateur qui s'est spécialisé dans la cuisine. Certains critiquent leur manque d'expertise mais, parce qu'ils sont plus proches des téléspectateurs, ils ont l'avantage de prouver que les recettes qu'ils présentent sont accessibles à tous.

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https://www.youtube.com/watch?v=67r6xXlQnkw

Justement, est-ce que l'on ne risque pas de perdre le téléspectateur si on ne lui montre que des recettes trop compliquées ? Beaucoup de recettes présentées par de grands chefs tiennent davantage de la démonstration virtuose que de la leçon didactique qui garantit à celui qui la suit de pouvoir obtenir le résultat promis. Raymond Oliver (toujours lui…) présentait des recettes très complexes, qui faisaient appel à des techniques professionnelles. Dans ce cas, l'émission cherchait à susciter l'admiration des téléspectateurs à l'égard de la maîtrise technique du chef plus qu'elle ne proposait des recettes accessibles. C'était d'ailleurs, semble-t-il, l'une des clés du succès de l'émission : regarder un cuisinier à l'œuvre comme on admirerait des exploits sportifs. Aujourd'hui, beaucoup de compétitions culinaires fonctionnent justement de la même manière, en retenant l'attention des téléspectateurs grâce à des défis organisés autour de recettes périlleuses.

Du coup, est-ce que la télé peut influencer la façon dont les gens cuisinent ? Il est toujours très délicat de cerner les effets que peut avoir la télévision sur son public. Dans le cas de la cuisine, comment savoir si, une fois qu'il a assisté à l'exposé d'une recette, un téléspectateur sera tenté de la reproduire ou de s'en servir comme une nouvelle source d'inspiration ? S'il faut donc rester très prudent, certains effets des émissions semblent bien visibles. Par exemple, les grandes compétitions culinaires qui mettent en scène des grands chefs (Top Chef, Masterchef…) ont permis une grande diffusion du vocabulaire technique de la cuisine. Des termes comme « déglacer » ou « snacker » sont aujourd'hui bien plus connus, tout comme des manières de décrire certains plats. L'omniprésence de la cuisine des chefs à la télévision fait que les particuliers cherchent de plus en plus à cuisiner « comme des chefs », ce qui se traduit notamment par la recherche de sophistication dans le dressage des plats.

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Les émissions consacrées à la cuisine ne devraient pas disparaître des écrans pour une simple raison : les hommes vont continuer à manger et, la plupart du temps, à faire la cuisine pour se nourrir.

La télévision a connu tout un tas d'évolutions, dans le fond comme dans la forme. Comment les shows culinaires se sont-ils adaptés à toutes ces mutations ? Les émissions de cuisine ont, pendant très longtemps, été un genre minoritaire parmi les programmes de télévision. Elles n'ont donc pas fait l'objet d'une attention très grande, et n'étaient pas construites selon des formats très innovants.

Mais la cuisine est un thème qui se prête à de multiples éclairages et qui a donc, logiquement, été intégré à de nombreux formats. De la leçon de cuisine au reportage, en passant par les émissions de coaching ou de jeux, bien des formes ont été expérimentées en plus de soixante ans. Rappelons aussi que la cuisine est un thème fédérateur : si tout le monde n'apprécie pas de faire la cuisine, chacun apprécie de bien manger et se nourrit plusieurs fois par jour ! Aujourd'hui, les formats les plus diffusés ont rompu avec l'approche didactique qui a longtemps prévalu. Les émissions qui présentent des recettes ont vu leur durée se raccourcir très fortement (cf : Petits plats en équilibre), tandis que la cuisine constitue un terrain de jeux et de compétitions plus ou moins sérieuses (cf : Le meilleur pâtissier, Top Chef…). D'un autre côté, la thématique terroir reste très présente, depuis les années 1960 et jusque dans les années 1980 et 2000, comme le montrent les émissions de Julie Andrieu (Les carnets de Julie) ou de Jean-Luc Petitrenaud.

La tendance la plus récente me semble être le recours à la préparation d'une recette comme le fil rouge d'une émission où la cuisine n'est pas forcément le sujet principal – c'est le cas dans Week-end sur TF1 ou bien, sur un autre registre, dans les Recettes pompettes qui ont tant fait parler d'elles. La cuisine est alors utilisée pour le climat de convivialité qu'elle permet d'instaurer.

Quel regard portez-vous sur les émissions de cuisine d'aujourd'hui ? Est-ce qu'elles ont vocation à rester sur le petit écran ? Selon moi, les émissions consacrées à la cuisine ne devraient pas disparaître des écrans pour une simple raison : les hommes vont continuer à manger et, la plupart du temps, à faire la cuisine pour se nourrir. Il y a fort à parier que les concours de cuisine à la télévision finiront par s'essouffler complètement – même si le Meilleur pâtissier renouvelle le genre et continue de remporter un grand succès. En ce qui concerne la présentation de recettes, c'est-à-dire les « leçons » de cuisine, on voit que la télévision est déjà largement dépassée par les vidéos présentes sur internet. Comme dans d'autres domaines, les vidéos de cuisine se développent sous des formats variés : du tuto le plus simpliste aux chaînes YouTube qui proposent, parfois en direct, de véritables émissions de cuisine. Il faut dire que la lecture à la demande permet de trouver une recette qui réponde directement à ce que l'internaute recherche. En dehors des programmes consacrés à des conseils pratiques, je pense qu'un thème aussi fédérateur que la cuisine continuera sans doute à trouver sa place à la télévision dans des formats nouveaux.

Merci beaucoup pour votre temps, Olivier.