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J’ai tenté de trouver une explication scientifique à ma phobie des statues

« Tout a commencé avec un film d’horreur, des parents stupéfaits et une poupée couverte d’urine. »

J'ai peur de beaucoup de choses. Les araignées, la solitude, mourir dans un accident de la route. Ces peurs sont, en grande partie, rationnelles. Il serait dommage que je me vide de mon sang sous un Renault Scénic carbonisé, que je sombre dans la dépression devant le silence perpétuel de mon téléphone ou que je me retrouve dans cette situation délicate de voir une mygale ramper sur mon front.

Ma peur des statues, elle, est un peu absurde.

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Techniquement, on l'appelle l' « automatonophobie, » même si les chercheurs et les psychologues n'utilisent pas vraiment ce terme savant. Ils emploieront plutôt l'expression « phobie spécifique des statues ou des objets humanoïdes. »

Les mannequins en cire me collent les jetons. Ainsi que les marionnettes de ventriloques. Mais pour une raison que je ne m'explique pas, ce sont les statues de marbre qui me terrifient le plus. Une fois, en traversant une galerie d'art gréco-romain, j'ai eu si peur que je pouvais à peine bouger. Imaginez la scène. Une pièce entière remplie d'hommes aux yeux vides, à la peau lisse, sans vie. J'ai finalement réussi à m'échapper, parce que mes angoisses sociales étaient encore plus fortes que mon envie de casser tout cela avec un marteau de tailleur de pierre.

Évidemment, je ne suis pas la seule personne au monde à avoir des angoisses un peu stupides. L'Institut de la Santé Mentale américain estime qu'environ 8,7% de la population possède une phobie spécifique, comme la peur des serpents, des araignées, de l'avion ou des espaces exigus.

Mais les statues, pourquoi ? J'ai décidé d'interroger plusieurs spécialistes de la santé mentale à propos de ma phobie un peu interlope. Apparemment, même si l'automatonophobie est très rare, elle ne surprend pas vraiment les praticiens.

« Il est très commun d'avoir une phobie peu commune, » explique Martin Antony, directeur du Laboratoire de Recherche sur les Troubles de l'Anxiété de l'Université Ryerson à Toronto.

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Les phobies s'expriment généralement pour la première fois durant l'enfance, où des événements traumatiques peuvent laisser des traces durables. Dans mon cas, un événement particulier a effectivement induit ma peur des statues. Tout a commencé avec un film d'horreur, des parents stupéfaits et une poupée couverte d'urine.

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« Je n'irai pas jusqu'à dire que votre phobie est très commune, » m'a confié Ali Mattu, psychologue clinicien à la Clinique de soin des troubles anxieux de l'Université Columbia. Deux autres psychologues ont eu une réflexion similaire. En l'occurrence, ils ont déjà traité plusieurs patients terrifiés par les clowns. Mais les statues, ça, c'était nouveau.

I like DC. I wana come back and visit the memorials even though I'm scared of statues
— Damian Lillard (@Dame_Lillard) November 28, 2012

People I'm only scared of historic statues. Abraham Lincoln , MLK, etc . Had a bad experience at the wax museum lmao
— Damian Lillard (@Dame_Lillard) November 28, 2012

Ma phobie n'était donc pas si singulière que cela. Mattu a déjà traité de nombreuses phobies, dont la sienne propre qui est en rapport avec les abeilles et les requins. Il a déjà eu un patient qui avait peur des pâtes. Les gens peuvent développer des phobies de tout et n'importe quoi, affirme-t-il. Néanmoins, la plupart du temps, elles sont orientées vers quelque chose qui est, par essence, met en péril la survie de l'individu.

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Prenez les serpents, par exemple. Il y a de bonnes raisons de penser que cette peur est liée à une forme d'instinct passée de génération en génération. Une étude de 2008 de l'Université de Virginie a mis en évidence que les enfants de trois ans étaient capables d'identifier des serpents dissimulés dans des photos, beaucoup plus vite que d'autres animaux comme les grenouilles et les chenilles. Une autre étude de chercheurs de l'Institut Karolinska à Stockholm a montré que les singes montraient de la peur à la vue d'une vidéo d'un autre singe paniquant à la vue d'un serpent. En revanche, ils n'avaient aucune réaction si ce même congénère avait peur d'un être vivant inoffensif, comme une fleur.

« Il semble que le cerveau des singes soit câblé pour avoir peur des serpents, et pas des fleurs, » explique Antony. « Évidemment, ça ne veut pas dire que vous ne pouvez pas avoir peur des fleurs. »

D'ailleurs, il a déjà vu deux patients dans ce cas précis. L'un avait peur des roses trémières, l'autre des tournesols.

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Les statues, comme les fleurs, ne sont pas très menaçantes. On dénombre peu de morts dues à ce genre d'objets, même si les accidents arrivent. Les experts avec qui je me suis entretenu ne se sont pas démontés et ont formulé plusieurs hypothèses sur les origines de ma phobie.

La théorie du cadavre

« Certains pensent que nous avons peur des humanoïdes parce qu'ils ont l'air humains mais qu'ils ne le sont pas. En cela, ils nous rappellent des cadavres, » explique Mattu. Ce n'est pas idiot. Les cadavres portent potentiellement des pathogènes. La mort de nos proches est douloureuse. Et si vous êtes entouré de cadavres, il y a de bonnes chances pour que quelque chose de menaçant soit tapi dans l'ombre à proximité.

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Cette théorie explique également pourquoi l'effet « uncanny valley » nous perturbe autant. Bien sûr, Tom Hanks a l'air bien vivant dans le Polar Express, mais au fond de vous vous n'êtes pas tout à fait convaincu qu'il ne s'agit pas d'un cadavre en décomposition portant mille maladies.

Attention aux types bizarres qui ne disent rien

Vous vous êtes déjà retrouvé en face d'un type sinistre qui vous regarde fixement sans lâcher un mot ? Une statue a beaucoup en commun avec ce genre d'individu.

« Nous sommes sans doute faits pour craindre les objets qui nous rappellent une chose dangereuse ou imprévisible, comme quelqu'un qui se tient là, sans bouger, » explique Antony.

Les gamins ont trop d'imagination

« Un enfant qui a beaucoup d'imagination est capable de visualiser n'importe quoi, à n'importe quel moment, » explique Linda Sapadin, psychologue et auteur de Master Your Fears: How to Triumph Over Your Worries and Get on with Your Life.

« Par exemple, ils peuvent imaginer qu'une statue est en train de les regarder et de les juger, » ajoute-t-elle. Il suffit d'une seule expérience traumatisante de ce type, et à l'âge adulte toutes les statues vous paraitront terrifiantes.

Le pouvoir de la pop culture

Il existe plein de manières pour une image perturbante, de faire son trou dans unjeune cerveau impressionnable. Parfois, il suffit de voir Les dents de la mer ou Cujo à huit ans pour avoir peur des requins et des chiens à vie.

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« Je ne suis pas votre psy, » commence Mattu, « mais j'aimerais bien savoir si vous avez des souvenirs en rapport avec des statues, des mannequins en cire, des statuettes, etc. »

« Pas vraiment, » ai-je d'abord répondu.

Puis je me suis souvenu. J'avais six ans. Les publicités pour My Buddy, la poupée de Hasbro sortie en 1985, passaient régulièrement à la télévision. J'ai supplié mes parents jusqu'à ce qu'ils m'en achètent une, et finalement, ils ont cédé.

C'était mon cadeau d'anniversaire et j'étais fou de joie. Jusqu'à ce que je voie cette publicité pour Child's Play. J'ai commencé à penser de manière obsessionnelle à l'éventualité que My Buddy devienne vivant et essaie de nous assassiner, mes parents et moi. Paniqué, j'ai d'abord envisagé de me débarrasser de la poupée. Mais mes parents avaient dépensé de l'argent pour me l'offrir et j'étais trop fier pour leur expliquer pourquoi elle me faisait si peur.

Alors un jour, j'ai pris My Buddy et je l'ai emmené dans les toilettes. J'ai ouvert ma braguette, et, de grosses larmes roulant sur mon visage, j'ai commencé à uriner sur l'objet de toutes mes craintes. Mon raisonnement me semblait alors impeccable. Devant une poupée trempée, puant la pisse, mes parents n'avaient qu'une seule alternative : la jeter à la poubelle. De plus, l'incident tombait plus ou moins dans la catégorie « des choses qui peuvent arriver. »

Pour être honnête, cela a plutôt bien marché. Le seul problème est que j'ai vécu cet épisode de manière particulièrement intense. Désormais, toutes les poupées, statues, figurines semblaient m'accuser du destin terrible que j'avais fait subir à My Buddy. Elles menaçaient en permanence. Mattu m'a confié qu'il était « tout à fait possible » que l'incident ait contribué à ma phobie, même si ce n'est probablement pas le seul facteur en jeu.

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« Nos cerveaux sont des machines à créer des associations, » ajoute-t-il. « Ils passent leur temps à faire des connections entre des choses aléatoires. »

Le fait que les objets de nos peurs soient fictifs est indifférent. En fait, la plupart des phobies ont des séries TV ou des films pour origine. Sur Twitter, la plupart des utilisateurs qui mentionnent la phobie des statues font références à un épisode de Doctor Who intitulé « Blink » que je n'ai pas pu terminer car je me sentais défaillir.

Things #DoctorWho has made me afraid of:
Statues
Shadows
Silence
Hands coming out of the ground
Snake people
Cracks
— ✴April✴ (@aprilp2a) September 20, 2015

Now I'm effing afraid of statues!!!! #Don'tBlink #DoctorWho
— ChokoPocky (@Imi_ElA) September 30, 2015

Le scénario fait intervenir des statues qui s'animent avec des visages démoniaques dès lors que leur victime a les yeux tournés. Est-ce que je suis certain que cet épisode a donné l'automatonophobie à des enfants ? Non, mais je suis bien content de ne pas l'avoir vu quand j'avais six ans.

*

Que peut faire un type comme moi pour se soigner ?

La thérapie d'exposition, au cours de laquelle les patients sont confrontés directement à leurs peurs, est plutôt efficace pour traiter les phobies. Le plus dur est de sauter le pas.

Ma peur des statues, de même que ma peur des petits trous (ça s'appelle la trypophobie, ne googlez pas le mot si vous êtes impressionnable) ne sont pas des choses dont je me sens obligé de parler en permanence. D'ailleurs, je suis rarement obligé de traverser un endroit peuplé de statues.

« Personne ne vous demande de grimper le Mont Everest si vous avez peur du vide, » ajoute Sapadin. « Mais si vous n'arrivez même pas à monter dans un ascenseur, c'est qu'il y a un problème. Vous devez alors répondre à une question : est-ce que ma peur est anecdotique, ou est-ce qu'elle m'handicape dans la vie ? »

Je ne saurai sans doute jamais combien de gens ont le même problème que moi. Ce genre de phobie est si rare que cela n'aurait aucun sens de dépenser de l'argent pour mener des études scientifiques à son sujet. Mais cela peut rassurer de savoir que des peurs complètement irrationnelles hantent des personnes que vous côtoyez chaque jour. Et que si vous faites suffisamment d'efforts, il est possible de les surmonter.