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Le « voyage déconnecté » : la nouvelle lubie des touristes

Puisque les gens sont prêts à payer 300€ la nuit pour ne pas avoir de réseau, les agences de voyages auraient tort de ne pas en profiter.

Si un arbre tombe dans la forêt et que personne n'est là pour le filmer et le poster sur Snapchat, est-il vraiment tombé ? Voilà le genre de méditations métaphysiques auxquelles je m'adonnais tandis en randonnant dans la forêt tropicale amazonienne. Quel intérêt peut-il bien y avoir à bouffer des vers vivants ou à caresser la tête d'un singe si je ne peux pas immortaliser ces événements sur Facebook ? À notre époque, ce qui n'est pas posté sur Internet n'existe pas, et n'a jamais existé.

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J'ai parfois le sentiment que les vacances sont une nouvelle forme de travail qui consiste à documenter activement son oisiveté à l'aide de statuts Facebook, post Instagram, et autres Vines. Peut-on seulement envisager de ne pas tweeter cette blague extrêmement spirituelle qui nous est venue sous la douche après 2h30 de jacuzzi ?

Pourtant, l'archivage acharné de votre voyage peut vous privez de ce bonheur simple et pur qui consiste à ne pas travailler. 41% des jeunes de la Génération Y ont le sentiment que leur smartphone les empêche de profiter vraiment leurs vacances, selon un sondage de JWT Intelligence. Selon une étude d'Intel, la moitié des personnes qui souhaiteraient pouvoir se déconnecter totalement du monde pendant leur séjour n'en ont pas le loisir, pour des raisons pratiques et/ou professionnelles.

Quelle proportion de la population est-elle disposée à signer un gros chèque pour pouvoir s'isoler totalement des contingences numériques ? Beaucoup de monde, apparemment. D'ailleurs, l'industrie du tourisme commence déjà à profiter de notre besoin pressant de nous éloigner de nos écrans.

Il fallait bien que quelqu'un se dévoue pour prendre ce hamac en photo. Image: Marina Lopes

L'absence de Wifi et de réseau de données, si elle est impardonnable dans la plupart des hôtels, est pourtant devenue l'exigence principale des touristes qui se rendent à La Pause, au Maroc. Niché entre deux dunes de sable dans le désert, l'hôtel ne propose ni électricité ni chargeurs de portable, mais des tentes de luxe assortis de draps et peignoirs en coton égyptien, pour 250$ la nuit. À Petit St-Vincent, une station balnéaire des Caraïbes isolée, il vous faudra débourser 1000$ la nuit pour ne pas entendre sonner votre téléphone. Afin de communiquer avec la réception, les résidents devront donc sortir de leur bungalow afin d'agiter un petit drapeau.

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« Les gens ne savent pas comment se déconnecter. C'est pour cela que la demande pour ce genre d'établissement est extrêmement forte. Nos clients veulent une expérience profonde, ils veulent se retrouver, réapprendre à se connaître », explique Adriana Lacerda, consultante chez Plantel Tourism. « La technologie nous empêche de réfléchir sur nous-mêmes. Nous sommes connectés en permanence à d'autres personnes, mais votre lien avec elles n'est que superficiel. »

Les établissements de ce genre sont des espèces de centre de désintoxication pour touristes qui souhaitent se déconnecter de tout, mais pas trop longtemps. Dès que l'ennui pointe le bout de son nez, ils sautent dans un vol charter afin de rejoindre la première destination qui leur permettra de consulter leur timeline.

Pourtant les pauses numériques ont de vrais bénéfices pour la santé : plusieurs études ont montré que les accros aux smartphones étaient plus à même de développer des troubles mentaux et des troubles du sommeil.

L'été dernier, j'ai moi aussi fait l'expérience de cette mystérieuse crise existentielle qui consiste à ressentir une haine subite pour la technologie ; j'ai pris un avion, deux bateaux, puis un van qui m'a emmenée au cœur de l'Amazonie. À ce moment là, il me semblait infiniment nécessaire de troquer ma playlist Spotify contre un hamac qui couine, et de m'immerger totalement dans la nature.

Juma Lodge me promettait justement ce genre d'expérience. Il s'agit d'un hôtel isolé composé de 21 huttes au toit de chaume se balançant sur des pilotis dans le bassin de la rivière Paraná do Araçá. L'hôtel me proposait de revenir à un mode de vie simple, mais pas trop simple non plus : 300$ la nuit. Pas de télévision, pas de téléphones, pas de wifi. Le seul outil de communication avec le monde extérieur était la radio, utilisée pour les situations d'urgence exclusivement.

Juma Lodge. Image: Marina Lopes

Le lodge était rempli d'hommes affaires débordés, d'avocats européens et d'étudiants cherchant un endroit calme pour rédiger leur mémoire. Les premiers jours ont été un pur bonheur. J'ai fait des randonnées de minuit dans la jungle, j'ai appris à trouver de l'eau potable, j'ai joué à cache-cache avec les alligators au clair de lune. J'ai écrit, réfléchi, admiré un nombre conséquent de couchers de soleil. Je n'avais aucune idée de ce qu'il se passait dans le monde, et c'était merveilleux.

Mais au bout de trois-quatre jours à peine, la lassitude a pris possession de moi. La chaleur et l'isolement ont commencé à être pénibles, puis la chose terrible est arrivée : j'ai pensé à Twitter. Une fois, deux fois, trois fois. Quels événements décisifs étais-je en train de manquer ? Quelles vidéos avais-je loupé ? Où en étaient les derniers sondages électoraux américains ? Quelle connerie avait encore dit Christine Boutin ? Puisqu'il était impossible de répondre à ces questions, j'ai décidé d'apprendre à construire une hutte en feuilles de bananier, par dépit.

Quelques jours plus tard, alors que j'avais repris le bateau pour rejoindre la civilisation, la première vibration de mon smartphone m'a plongé dans le plus grand ravissement. Les notifications se sont alors accumulées, les unes après les autres, tels des pas successifs vers le monde des humains actifs. Au bout de cinq minutes seulement, j'avais replongé dans la frénésie.