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HUMOUR FRANÇAIS

Le stand-up français est-il toujours autant à la ramasse ?

Pourquoi les Français échouent souvent là où nombre d’Américains réussissent.

Cet article vous est présenté par MTV, qui diffuse la série Broad City chaque samedi à 23h15. Cliquez ici pour plus d'informations.

 « C'est de la merde ». Voilà la réponse lapidaire que m'adresse mon pote Benoît, 25 ans, lorsque je lui demande son avis sur le stand-up français. Il m'explique : « Pour moi, on a de toute façon un problème avec la comédie en France. Soit on fait des trucs super démagos qui brassent toujours les mêmes sujets – comme la famille –, soit on copie ce que font les Américains, en moins bien. »

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C'est vrai, on peut reprocher à Benoît de mélanger le stand-up et la comédie en général – le premier désigne un type de représentation précis où une personne raconte avec humour des histoires qu'elle a vécues à un public pris pour témoin – mais son avis est révélateur d'une pensée généralement admise : que les Français sont à la rue en matière d'humour. Pourtant des dizaines de clubs, cafés ou théâtres à Paris proposent aujourd'hui du stand-up et affichent régulièrement complets. De même pour les médias, qui donnent chaque jour à entendre leur lot d'humoristes prêts à raconter leur dernier échec amoureux ou leur point de vue sur tel ou tel aspect de notre société. L'adaptation récente de l'émission à sketchs Saturday Night Live avec Gad Elmaleh a confirmé cet engouement, malgré les multiples moments de gêne qu'elle aura infligés à ses spectateurs.

Et si mon jugement n'est pas aussi tranché que celui de Benoît, j'admets aussi me marrer plus souvent aux histoires de Louis CK, Amy Schumer ou Zack Galifianakis, tous figures incontournables du stand-up outre-Atlantique, qu'à celle de Gad Elmaleh, Fary ou Nora Hamzawi, pourtant bien plus proches de moi culturellement. La raison ? Selon moi, les Américains parviennent à créer des réactions ambivalentes en analysant avec dérision des sujets à la fois graves et communs, comme ce sketch de Louis CK où est évoquée la dégénérescence liée à l'âge. Il parvient à y emmener comme très souvent la comédie vers une tonalité grave sans cesser de provoquer le rire pour autant. C'est là où réside selon moi son génie.

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Histoire de confronter mon sentiment à une opinion plus aiguisée que la mienne sur la question, je suis allé demander son avis à Rossana Di Vicenzo, journaliste spécialisée humour pour Télérama Sortir. Elle me fait remarquer : « Le stand-up est quelque chose de relativement récent en France. Il a été popularisé il y a une dizaine d'années par Jamel et son Comedy Club. Pour cette raison, on ne peut pas nous comparer aux États-Unis, où cette pratique a plus de cinquante ans ». Même avis du côté d'Antoinette Colin, directrice artistique de la célèbre salle du Point-Virgule à Paris qui accueille régulièrement du stand-up : « Jamel et Internet ont beaucoup contribué au nouveau succès du stand-up en France. Avant, c'était plutôt des one man shows où les comédiens incarnaient un personnage – même si on peut considérer que Desproges faisait déjà du stand-up en son temps. Il y a de plus en plus de monde sur ce créneau et la concurrence force le travail sur l'écriture. »

Un travail qui, selon Rossana, éloigne progressivement les stand-upers français du cliché originel des sketchs sur les étagères IKEA ou les repas de famille : « Il y a encore cette vision du comique qui balance des généralités, des trucs vus et revus. Mais on assiste à un vrai renouveau ces dernières années avec des jeunes qui creusent chacun leur propre sillon. » Elle me donne un exemple : « En ce moment je suis à fond sur un type qui s'appelle Haroun. Il arrive à parler de politique, de racisme avec une vraie finesse et un vrai sens du rythme. On est loin des blagues usées sur les relations hommes/femmes. »

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À défaut d'assister au spectacle d'Haroun actuellement en prolongation au Théâtre Le République, j'ai visionné sur YouTube son passage au Jamel Comedy Club. Et difficile de donner tort à Rossana. Pince-sans-rire et sans attendre les éclats du public – comme tout le monde, je déteste quand les mecs marquent une pause pour signaler à leur audience que c'est précisément à ce moment qu'il faut rire – Haroun déroule son propos sur la collaboration ou les mariages forcés, en sachant parfaitement capter le moment précis où la vanne tient en équilibre entre le malaise et l'humour. Cet instant que savent justement si bien étirer les comiques américains.

Dans un registre plus intime, Blanche Gardin qui se produit en ce moment à guichets fermés à l'Européen incarne sur scène la quadra dépressive et célibataire. Elle y mène une introspection à la fois drôle et glauque sur sa propre vie ou ce qui l'entoure. Apparue plusieurs fois au cinéma ou dans la série Working Girls diffusée sur Canal+, Blanche Gardin fait partie des noms les plus en vue du stand-up français actuel. Lors de son passage dans l'émission Quotidien sur TMC, elle confiait d'ailleurs se sentir plus proche de Louis CK que de n'importe quelle humoriste féminine. La preuve que le New-Yorkais de 49 ans apparaît comme une référence incontournable, voire indépassable.

« C'est sûr que le stand-up en France a gagné en maturité » m'explique Christophe Meilland, directeur et fondateur de Houlala Production. « Mais ce n'est pas dans cet humour plus adulte qu'on le voit. Comme en musique, le marché s'est segmenté. Il y en a aujourd'hui pour tous les goûts. Non, ce qui montre cette nouvelle assurance c'est que des artistes du stand-up en France aillent aux États-Unis pour se confronter aux humoristes locaux. » Mustapha El Atrassi, qu'il a produit de 2004 à 2015, a été l'un des premiers à faire le grand saut – un pari plutôt réussi avec le recul. En 2011, il a obtenu la troisième place au championnat du monde de stand-up à la Laugh Factory de Los Angeles, sorte de temple sacré de la déconne. À présent Mustapha El Atrassi remplit des salles telles que le Grand Point Virgule et enchaîne les rendez-vous à la télévision.

« Après les attentats du 13-Novembre, il y a eu une baisse de fréquentation des salles, mais ça revient progressivement. Je crois que ce que les gens recherchent, au-delà d'un style, c'est un artiste qui transpire, qui est sincère. Il ne doit pas y avoir de bullshit. Qu'on l'aime ou non, si un mec comme Jamel est là depuis si longtemps, ce n'est pas un hasard », conclut Christophe Meilland.

Alors soyons honnêtes, il y aura toujours un décalage entre le stand-up américain et français, ne serait-ce que par l'écart culturel qui existe entre ces deux pays. Mais balayer d'un revers du bras tout ce qui se fait chez nous serait aussi con que de rejeter l'ensemble du cinéma français parce que les drames sociaux avec Marion Cotillard vous les brisent. Il y a sûrement du stand-up en France capable de vous faire passer de bons moments, que votre truc soit l'humour politique, névrosé ou les blagues qui feraient rire ma nièce de huit ans. Sinon, demandez-vous plutôt si ce n'est pas vous qui êtes vraiment à la ramasse.