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Sports

Ernest Wilimowski, de meilleur joueur du monde à traître de la nation polonaise

Le footballeur polonais a connu une vie de grandeur et de décadence, marquée par la gloire, la célébrité, l'alcool et les femmes jusqu'à son lynchage médiatique en 1939

« Les arbres du stade du Pogoń Lwów regardaient ses prouesses, je suis monté sur une branche pour mieux voir, il était incroyable. Il pouvait dribbler quelques adversaires puis arrêter le ballon devant la ligne de but et attendre le retour des défenseurs afin de pousser le ballon dans les filets. Tout cela avec un sourire narquois sur son visage. » C'est ainsi que Kazimierz Górski parle d'Ernest Wilimowski, attaquant polonais de légende, surnommé Ezi dans les années 30/40.

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Roux, oreilles décollées, six orteils au pied droit, Ernest Wilimowski a connu une vie de grandeur et de décadence, marquée par la gloire, la célébrité, l'alcool, les femmes jusqu'à son lynchage médiatique en 1939, lorsqu'il préfère accepter la domination nazie et enfiler le maillot du IIIe Reich. Dans le coeur des fans de foot et des Polonais, il reste un homme de démesure, dont on ne sait trop si ses faits d'armes relèvent de la légende ou de la réalité. En même temps, le doute est permis quand on sait qu'on disait de lui qu'il marquait plus de buts qu'il n'avait d'occasions.

Né à Katowice, ville ouvrière de Silésie qui devient polonaise après la signature du Traité de Versailles et la fin de la Première guerre mondiale, Ernest a donc vu le jour dans le Royaume de Prusse, puisqu'il est né le 23 juin 1916, rue Francuska. En cherchant dans les archives, vous ne trouverez pourtant aucun Wilimowski né ce jour-là. Ernest se nomme alors Prandella, le nom de son père, mort dans le même temps sur le front russe en portant les couleurs allemandes. A l'époque, les habitants de Katowice sont donc désignés comme Allemands, mais la plupart sentent que le sang qui coule dans leurs veines est bien polonais. La frontière ne se situant que quelques kilomètres à l'Est, il n'est donc pas rares de voir les Silésiens parler entre eux en polonais, allemand ainsi que silésien, le dialecte régional impossible à comprendre pour tout autre polonais.

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À l'âge de 13 ans, sa mère Paulina se remarie avec un officier de l'armée polonaise s'appelant Wilimowski. Selon la loi, Ernest doit donc changer de nom. Le changement sera bien plus profond pour lui, puisqu'il change aussi de langue. Ernest et sa mère, qui parlaient jusque-là allemand à la maison, s'adaptent au nouveau venu dans le foyer, qui se sent bien plus Silésien et Polonais. Le jeune Ernest change donc d'école et apprend le Polonais.

Malgré ses efforts d'adaptation, à l'école les résultats ne sont pas brillants. L'adolescent préfère plutôt passer son temps à jouer au football, tant et si bien qu'à l'âge de 15 ans, une des professeures conseille à sa mère de l'inscrire dans une école des métiers, pensant qu'il y sera probablement plus épanoui et disposera de temps pour jouer pleinement au football, sport pour lequel il semble visiblement doué. Ernest est déjà inscrit depuis quelques années au 1. FC Katowice, club polonais de la ville et fleuron du football silésien. Ce petit roux aux jambes arquées explore déjà les terrains alentours et dérouille les défenses adversaires partout où il y passe.

Wilimowski semble ne jamais passer assez de temps sur le terrain. En plus de jouer en club, il passe son temps libre à jouer dans des terrains vagues avec ses amis. Le football semble être plus qu'une passion, c'est son mode de vie. Il attire les regards et lors de la saison 1932, il débute en équipe première en deuxième division, face aux clubs de la région. 1933 est l'année du déclic sportif pour lui, et du basculement politique pour l'Europe. Tandis qu'Hitler remporte les élections et accède à la Chancellerie allemande, Ernest se fait repérer par le champion en titre et voisin, le Ruch Wielkie Hajduki (aujourd'hui Ruch Chorzów). L'entraîneur veut tout faire pour recruter cette pépite qui affiche invariablement le même sourire moqueur lorsqu'il entre sur le terrain. Les dirigeants entament donc une offensive lors de l'hiver. Le 1.FC Katowice ne veut pas laisser partir le meilleur joueur de la région, voire du pays aux dires de certains. Les dirigeants doivent cependant se faire une raison car des problèmes financiers mettent en péril le club. Ils cèdent donc leur prodige pour la somme de 1000 zlotys (soit 250 euros) et obtiennent que deux matches amicaux soient organisés au profit du club. Pour convaincre le joueur, un salaire de 120 à 150 zl par mois et un travail à la fonderie Batory pour son père suffisent. Maintenant, il ne lui reste plus qu'à confirmer à un niveau bien supérieur.

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Au bout de trois matches, l'adolescent de l'équipe, immédiatement titularisé, inscrit cinq buts lors d'une victoire 13 à 0 face au Podgórze Kraków. Positionné comme "connecteur gauche" – un poste qui correspondrait aujourd'hui à celui d'ailier – la tactique du WM (3-2-2-3) est parfaite pour son jeu technique. Rapide et à l'aise des deux pieds, il base toute sa carrière durant son jeu sur le même rituel : recevoir le ballon, fixer le premier défenseur, le passer, fixer le second, l'humilier, puis crucifier le gardien au premier ou second poteau avec le pied droit ou gauche, selon l'humeur. Sur sa première saison, Ezi joue 21 matchs et inscrit 33 buts.

La Pologne entière se tourne alors vers ce jeune prodige lorsque, un mois après son premier match avec le Ruch Chorzów, il enfile pour la première fois le maillot de la sélection nationale. La période d'hiver lui permet de s'occuper en devenant vice-champion de Silésie d'handball puis champion de Pologne avec le Pogoń Katowice. Qui dit hiver et pays de l'Est, dit hockey sur glace. Et là aussi, Ezi s'illustre, devenant l'un des meilleurs joueurs de son équipe du Pogoń, équipe qu'il quitte de temps en temps pour jouer au tennis de table, où il brille avec une écoeurante facilité. Dans la salle de Będzin, ils sont souvent plus de cent spectateurs à venir admirer ce sportif multitâche. Ernest gagne un peu d'argent dans ce sport, mais c'est surtout l'amusement qu'il cherche, histoire de sourire encore et encore après avoir achevé ses adversaires.

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De nos jours, les staffs médicaux interdisent aux joueurs de pratiquer autant d'activités par crainte de la blessure. Une pratique inexistante à l'époque, qui vaut à Ernest de se péter violemment quelques mois plus tard, en 1934, sur un tacle de boucher en début de saison. Il ne joue qu'une quinzaine de matches au total, ce qui n'empêche néanmoins pas ses coéquipiers d'être champions et de remporter la prime qui va avec. L'argent tombera pratiquement un an plus tard, fin juin. Après une victoire contre le Cracovia à domicile, l'équipe empoche la prime et se rend à Cracovie pour y jouer le même match, cette fois-ci sur le terrain des rayés. Une défaite sèche 9-0, une humiliation qui ne change pas le plan d'après-match des joueurs, qui partent faire la tournée des bars de la ville le soir même. Le lendemain, Ernest a pourtant un rendez-vous important. Il s'agit du rassemblement avec l'équipe nationale, auquel il arrive passablement éméché. La punition est sans appel : Ernest est banni de la sélection pendant un an, alors que les Jeux olympiques de Berlin se profilent. Et ça, le joueur ne l'oubliera jamais. Quelques mois plus tard, après un match où il inscrit six buts, il se dirige vers les journalistes au coup de sifflet final et lance un « C'est comme ça que joue un alcoolique, laissez-le aller à Varsovie ! »

Alcoolique ou pas, après ce que certains disent être le meilleur match de sa carrière en 1938 contre le Brésil, lors duquel « il passe ses adversaires comme on passe des plots, » les représentants de la Selecão lui proposent un contrat outre-Atlantique, du jamais vu pour l'époque. Après une courte hésitation, Ernest accepte et signe. C'était sans compter sur les autorités polonaises, qui ont eu vent de cette folle proposition. Pour eux c'est clair : ils feront barrage à tout départ vers l'étranger.

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Un blocage qui amène un record toujours en cours 77 ans plus tard : lors du match face au ŁKS Łódż gagné 12-1 par les Niebiescy, Wilimowski envoie le gardien adverse chercher le ballon dix fois dans les filets. Une decima de buts qui ne suffit pas à arracher des louanges aux journaux qui boycottent ses prestations. Certains d'entre eux parlent en effet de Wilimowski comme d'un traître, disant de lui qu'il se sent plus Allemand que Polonais.

Des accusations auxquelles l'intéressé répond dans la presse le 26 avril 1939 : « À la lumière des récentes allégations à mon encontre sur les pages de certains magazines et des rumeurs qui circulent comme quoi j'ai été admis à la nationalité allemande, je déclare que toutes ces allégations sont fausses et sans fondement. Depuis toujours et jusqu'à aujourd'hui, je suis un Polonais et je joue pour le bien du sport polonais dans les compétitions internationales, ainsi que dans les rangs du Ruch. » Même avec toutes ces critiques et ses activités, Ezi n'a que peu de temps pour chômer. Le 27 août 1939, il produit un des meilleurs matchs de sa carrière en offrant la victoire 3-2 face aux Hongrois. Cinq jours plus tard, les nazis envahissent le pays. Wilimowski vient de jouer son dernier match avec le maillot rouge et blanc de la Pologne, après avoir inscrit 21 buts en 22 sélections.

Dès le début du conflit, toute activité sportive cesse dans le pays et les clubs sont dissous. Ezi quitte son club quelques semaines plus tard pour retourner là où tout a commencé, au 1. FC Katowice, où il passe ce premier hiver de guerre, avant de disparaître des radars. Bien qu'ayant marqué une tripotée de buts lors de cet hiver 1939, il est retrouvé dans la Saxe, au sein du Polizei SV 1920 Chemnitz, un club qui formera quelques décennies plus tard un gamin nommé Michael Ballack. Wilimowski s'engage sous ses nouvelles couleurs non par passion mais par instinct de survie. Comme il ne veut pas servir dans la Wehrmacht - il est devenu policier comme le reste de ses coéquipiers - mais qu'il veut rester en vie, il a profité de ses origines silésiennes pour signer la Volksliste, lui reconnaissant la nationalité allemande.

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Parallèlement, Ernest Wilimowski devient Ernst Willimowski, un petit changement de lettres, pour avoir l'air un peu moins Polonais, qui lui sera bien utile par la suite. En plus de sauver sa vie en 1942, il parvient aussi à sauver celle de sa mère, faite prisonnière à Auschwitz, car elle aurait fréquenté un Juif russe, ce qui est plus ou moins l'offense suprême. Ernest doit alors jouer plusieurs matchs pendant qu'il négocie sa sortie avec le sergent Graf. Ce qui n'est pas si facile, car les origines polonaises d'Ezi ne plaident pas en sa faveur. Paulina Wilimowska restera six mois dans l'enfer d'Auschwitz. Elle deviendra ensuite une amie proche de Herman Graf, alors le meilleur pilote de la Luftwaffe.

La suite de la carrière de Wilimowski est faite de vagabondages dont peu d'archives ont aujourd'hui refait surface. Parmi les meilleurs moments de cette errance de bohème, son épopée au Munich 1860, alors proche du IIIe Reich, en parallèle des matchs disputés avec une équipe de la Luftwaffe, le Rote Jäger d'Hertmann Graf. Le jeune homme est alors âgé de 26 ans. Il passe deux saisons à Munich, remportant une victoire en coupe devant 80 000 personnes massées dans le stade olympique. Certains témoins encore vivants se rappellent de cet ailier gauche plein de fougue et de délicatesse qu'était Wilimowski. Tous ceux qui ont eu la chance de le voir jouer ne l'oublient jamais, à en croire tous les articles à son sujet. Articles, il faut le dire, très rares. L'homme était plutôt discret et les journaux de l'époque se concentraient sur l'aspect sportif des choses, tandis que les faits hors-terrains dont Wilimowski était le roi n'étaient pas relayés. Rajoutez à cela le fait que la presse allemande était censurée et que par la suite, la presse polonaise allait trafiquer les photos et autres documents ; manière de dire que le traître au talent indéniable n'a jamais existé.

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En parallèle, les premiers matchs avec le maillot du IIIe Reich arrivent, et notamment un contre la Roumanie, à Bytom. La veille du match, un petit garçon le reconnaît dans la rue se baladant en civil (les joueurs devaient pourtant porter l'uniforme lorsqu'ils se baladaient dans la rue). Il se dirige vers la légende aux grandes oreilles et aux 6 doigts de pied et lui demande des billets pour le match. Souriant comme toujours, Ernest lui répond alors « Va voir ma mère Paulina Wilimowska, rue Barbara, elle t'y attendra avec une enveloppe des billets de match. » Si on peut facilement le trouver dans la rue, le joueur est difficile à trouver sur le terrain avec pas moins de 16 clubs dans les douze années suivantes de sa carrière. Parmi eux, un retour à Katowice, un à Chemnitz et une pige au RC Strasbourg, en 1949. Même si aucune archive n'est disponible, il semblerait qu'il ait fait son retour à La Meinau lors d'un simple match amical.

À la fin de sa carrière en 1959, Ernest Wilimowski a 43 ans et les poches bien remplies. Il passe alors son temps à jouer aux paris sportifs grâce auxquels il met du beurre dans ses épinards et prend le temps d'éduquer ses trois filles et son fils qu'il a eus avec Clara Mehna, fille d'un restaurateur d'Offenburg qu'il a rencontrée huit ans plus tôt. En arrêtant sa carrière, il refuse en même temps une offre de la fédération allemande, choix qu'il regrettera très vite lorsqu'il réalise que son compte en banque se retrouve à sec. Il se met alors à travailler dans l'usine Pffafa de Karlsruhe, ville où il vit. Le football est toujours présent dans sa vie lorsque quelques années plus tard, Ernest désire profiter de la Coupe du Monde 1974 en Allemagne de l'Ouest. Il tente de rencontrer les joueurs de l'équipe polonaise, mais la fédération s'interpose et lui interdit tout contact avec l'équipe ou membre du staff.

S'ensuit une retraite bien tranquille pour une légende qui n'a plus remis les pieds en Silésie. Bien qu'ayant eu en 1995 une invitation pour les 75 ans du Ruch Chorzów, il doit la décliner. Sa femme étant gravement malade, il préfère sagement prendre soin d'elle pendant que les critiques fusent à son encontre au milieu des fonderies et des mines de Silésie. Toutes ces insultes et cette haine, Ezi n'en a que peu faire, une fois de plus. Il meurt deux ans plus tard et est enterré à Karlsruhe, un enterrement lors duquel sa famille et quelques membres de la fédération germanique seront présents, les Polonais n'ayant pas jugé nécessaire de faire le déplacement.

Pour finir, il semblerait que quoi qu'on en dise, Wilimowski a marqué le football polonais de son empreinte. Si peu de gens le connaissent, c'est en grande partie dû à la censure le concernant. Nous sommes aujourd'hui en 2017, soit 100 ans après la naissance du Pelé silésien et il est toujours vu aux yeux d'un bon nombre de supporters polonais comme un traître qui ne mérite que le plus grand des mépris. Il n'est ainsi pas rare de voir des commentaires très virulents sur les photos ou articles parlant de lui ou des équipes dans lesquelles il a évolué. Wilimowski a pourtant toujours dit vouloir faire passer le football avant tout. Beaucoup de regrets sont apparus par la suite, notamment lorsque quelques mois avant sa mort, il déclare : « Si la guerre n'avait pas eu lieu, je serais resté en Silésie. » Génie ou traître, celui qui a inscrit 1175 buts selon son biographe et 554 buts selon des chiffres bien plus officiels est en tout cas une légende.

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