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Sports

Comment le fils de Staline a utilisé le foot soviétique pour régler ses comptes

Mégalo, alcoolique et prêt à tout, Vassily Dougachvili, l'un des fils de Staline, a transformé les terrains de foot de l'URSS en un champ de bataille à distance avec son ennemi juré, Lavrenti Beria.

Cet article est publié dans le cadre d'un partenariat avec Footballski

Dans le système de ces années d'après-guerre où les guerres d'influence se jouent dans les coulisses du pouvoir mais aussi dans les travées des stades, on ne peut pas passer à côté d'un homme qui a une place essentielle dans la vie politique soviétique. Cet homme, c'est Lavrenti Beria. Homme fort des services de sécurité, Lavrenti Beria est depuis la fin des années 30 le dirigeant de la toute puissante Société Sportive Dinamo.

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Ce personnage dérange, inquiète, et devient de plus en plus puissant. Même Joseph Staline, lui-même, alors au plus haut sommet de l'État, s'en méfie et, à partir de 1946, réorganise la police politique, les services secrets et l'administration du Goulag, alors tous sous contrôle de Beria.

Cependant, s'il y a un homme qui n'a pas peur de Beria, c'est Vassily Djougachvili, l'un des fils de Staline. Mégalo, alcoolique et réputé ingérable, il n'en occupe pas moins un poste important à l'époque : celui de président du VVS, le club de l'Armée de l'Air de la Région Militaire de Moscou. Comme les deux hommes se détestent viscéralement, Vassily profite de la protection paternelle pour défier le redoutable chef du NKVD. Le terrain de football est leur champ de bataille ; les joueurs, leurs soldats.

Le portrait de Beria dans les tribune du Dinamo Moscou

Cet environnement crée un combat de chefs avec, au milieu, un homme : Nikolaï Starostin. Plus qu'un homme, il représente un club entier à lui tout seul, le Spartak Moscou. Depuis 1942, Nikolaï Starostin ainsi que ses frères ont été arrêtés, torturés et condamnés à 10 ans de Goulag pour "agitation anti-soviétique". Nul doute que Beria en est l'investigateur, lui qui détestait Starostin et son Spartak qui, malgré tous les obstacles, continuait à remporter des trophées. Éliminer Starostin, c'était une voie bien dégagée pour son Dinamo. Mais Vassily, lui, le voyait autrement.

Alors entraîneur du Dinamo Komsolsk-sur-Amour (un comble…), Nikolaï Starostin reçoit un coup de téléphone de Vassily en personne afin de lui annoncer qu'il veut le faire revenir à Moscou pour qu'il s'occupe du VVS MVO. Il faut savoir que Nikolaï Starostin, suite à sa condamnation, était interdit de séjour dans 16 villes d'URSS, dont Moscou. Mais, le jour suivant, un avion du VVS avec un aide de camp de Vassily atterrit à Komsomolsk-na-amour. De retour à Moscou, il est conduit devant Vassily.

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Après un toast en l'honneur de son retour que Nikolaï Starostin ne put refuser (il ne buvait pas), Vassily fit le nécessaire pour l'enregistrer à Moscou, à son ancienne adresse. Starostin raconte :

Quand j'ai franchi le seuil de l'appartement, voyant ma femme et ma fille en pleurs, j'ai réalisé que l'Homme, en substance, a besoin de peu pour être heureux.

Mais au bout de quelques jours, le retour de Starostin fait grincer des dents. On lui fit savoir que son enregistrement a été annulé et on lui fit signer un document dans lequel on demande à Starostin de quitter la capitale dans les 24 heures. Il décide alors d'aller voir Vassily Staline qui lui propose de l'héberger chez lui. Mais Nikolaï n'est pas un homme qui aime être le pantin d'un autre. Starostin sait parfaitement que, d'un côté, Vassily Djougachvili l'utilise pour son club, et de l'autre, Beria utilise la situation pour compromettre ce dernier aux yeux de son père.

spartakmoscou.com

Entourée par les hommes de Beria, la maison de Vassily devient alors pour Starostin une véritable prison dont il se sent dans l'obligation de fuir et de retourner chez lui. Le lendemain, l'homme du Spartak se voit être arrêté et conduit manu-militari à la gare de Koursk pour rejoindre son assignation à résidence à Maïkop. Vous pensez que l'histoire se termine si facilement ? Eh bien, vous vous trompez.

Starostin, soulagé, s'installe dans le train. Mais à Orel, un fidèle de Vassily vient le récupérer et le ramener à Moscou par avion. La vengeance peut débuter. En effet, le jour même, au stade Dinamo, se déroule LE match parfait, à savoir un duel entre le Dinamo de Beria et le VVS de Vassily. Dans les loges officielles, autour de tout le gratin des services de sécurité, Vassily fait alors pénétrer l'ennemi numéro un du Dinamo Moscou, le fondateur du Spartak, pourtant condamné au Goulag sous les yeux de Beria, le grand Starostin. L'affront ultime pour le patron du Dinamo.

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Durant le match, au buffet dans les tribunes, Vassily ne cesse de rire de la situation, mettant ainsi dans l'embarras les spectateurs hauts gradés. Pour Vassily, c'est une question d'honneur. Pour Starostin, c'est la peur de savoir comment tout cela va se finir.

J'ai compris que c'était le prix à payer pour mon épopée moscovite.

Malgré cet élan suicidaire, Vassily doit finalement s'incliner, non pas à cause de Beria, mais de Starostin lui-même. En effet celui-ci sait pertinemment que cette situation ne peut perdurer, que si son seul protecteur s'absente, il ne pourra rien faire. Malgré les efforts de Vassily pour protéger Nikolaï et sa famille en les évacuant vers une base reculée où personne ne peut venir les chercher, il finit par persuader Vassily de le laisser partir vers le grand Est. Les contrées russes les plus reculées et les plus hostiles lui semblent un havre de paix comparé à Moscou, sa ville de toujours.

Starostin quittera finalement Moscou pour poursuivre son périple à travers l'URSS, cherchant un endroit où il puisse y poser ses valises. Mais toutes les portes se fermèrent devant lui. Krasnodar, Maïkop, Ulianovsk, aucune ville ne l'autorise à séjourner. « Je compris, écrivit Starostin, que c'était le prix à payer pour mon épopée moscovite ». Il finit finalement par trouver un pied à terre à Alma Ata, au Kazakhstan, où il prit en main le Dinamo Alma Ata. Un nom lui rappelant à jamais celui de Beria.

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Staline meurt, tout change

Nikolaï Starostin doit attendre la mort de Staline en mars 1953 pour, comme beaucoup d'autres, entrevoir l'espoir d'une libération. Libération qui intervient en 1955 à la suite d'une demande auprès de Nikita Khrouchtchev. De retour à Moscou, il reprit les commandes de son club de toujours et y écrit ses plus belles années de gloire.

Le logo du club du VVS Moscou

Quant à Vassily Djougachvili, la mort de son père le laisse à la merci des nouveaux maîtres du Kremlin. Alors que son père meurt en mars 1953, il est arrêté le 28 avril de la même année par ordre de Beria pour trahison, propagande anti-soviétique et outrage aux dirigeants de l'URSS. Cependant, l'arrestation et l'exécution de Beria cette même année lui évitent la mort.

Il est condamné à 8 ans de travaux forcés et envoyé à Vladimir sous le nom de Vassily Pavlovitch Vassiliev. Comme lui avait dit son père, « il n'y a qu'un seul Staline », mais même Djougachvili semble de trop. Libéré puis condamné à nouveau pour propos discréditant le régime, il purgera sa peine puis sera assigné à résidence à Kazan. Il meurt officiellement (c'est encore débattu) d'alcoolisme le 19 mars 1962, à 41 ans.

Son VVS MVO Moscou, lui, n'aura pas fait long feu puisque dès la mort de son père, le club est dissout, officiellement pour raisons économiques, mais la déstabilisation décrétée par Khrouchtchev incite à penser que tout ce qui avait un lien avec les Djougachvili n'avait forcément plus d'avenir.

Le VVS Moscou, le Dinamo des airs, aura pris son envol au moins durant un temps…

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