Société

De l’impossibilité d’être gay et témoin de Jéhovah

« J'ai toujours su que j'aimais les hommes, mais je vivais dans le déni. Je voulais surtout pas y penser. Alors on s'occupe, en travaillant durement, en allant prêcher, faire du porte-à-porte. »
gay et témoin de Jéhovah
Illustration : Patrick Croes

Fulvio (35 ans) est né au sein de la communauté des témoins de Jéhovah. Il y a 3 ans, il s’est révélé homosexuel et a été banni par sa famille. Ses parents, ses frères et sœurs ne lui adressent plus la parole. 

Ce témoignage fait partie de la série Être un homme, un podcast réalisé par Michel-Ange Vinti et produit par Studio Balado. 

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Mes parents ont quitté l'Italie et se sont installés en Belgique pour le travail. Mon père a rencontré ma mère quand il avait 30 ans, elle en avait 22. Ça s’est fait dans un contexte religieux, à une convention, une assemblée annuelle des témoins de Jéhovah. Après quoi 8 enfants ont suivi, 4 filles et 4 garçons. Je suis le septième. 

J’ai vécu dans un contexte familial qui était assez agréable. J’ai été élevé dans une famille qui était très religieuse avec des valeurs chrétiennes, avec cet aspect d’interprétation très littéraire de la Bible : l’idée d’un Dieu à qui on doit donner sa vie. Cette idée d’abnégation, de sacrifice, ça m’a forgé une personnalité, un caractère, tout au long de mon éducation. C’était Dieu avant tout, Jéhovah avant la famille. C’était constamment une remise en question face à Dieu, et non face aux parents. Quand j’étais petit, je me disais : « Qu’est-ce que Jéhovah va dire, qu’est-ce que Jéhovah va penser ? ». Si je trichais, si je regardais un garçon avec trop de passion… C’étaient des choses qui étaient impensables sinon j’allais faire de la peine à Jéhovah. Tout ça pour rendre gloire à Dieu, le rendre heureux et donc me rendre heureux. Et comme ça on peut passer Armageddon, la fin de ce système méchant dominé par le diable. Seuls les élu·es, les gens qui ont mené une vie de droiture, de dévotion peuvent être sauvés par Armageddon et entrer dans le nouveau monde. J'ai grandi avec cette idée.

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J'ai toujours su que j'aimais les hommes, mais je vivais dans le déni. Je voulais surtout pas y penser. Alors on s'occupe, en travaillant durement, en allant prêcher, faire du porte-à-porte, en s'impliquant dans une activité spirituelle qui nous empêche de penser de façon malsaine. Même si on sait qu'on est adulte homosexuel, en tant que témoin de Jéhovah, on refuse de l'admettre. On se trouve des excuses, du style « J'ai jamais couché donc je suis pas homosexuel, Dieu ne me rejette pas ». 

On dit qu'on nous déteste pas en tant qu'homosexuel, que Jéhovah déteste seulement l'homosexualité. Y'a un caractère manipulateur derrière ça : « C'est pas l'être humain qu'on vise, c'est la conduite. » Mais c'est de la connerie. Tout compte fait, l'homosexualité c'est l'homosexuel. Dire « homosexualité » pour ne pas dire qu'on est homophobe… 

Contre toute attente, mon grand frère fait son coming-out à 22 ans. Le fait qu'il le fasse, ça voulait dire qu'on allait le bannir, l'excommunier. La communauté, donc les témoins de Jéhovah, donc la famille, ne peut plus t'adresser la parole. Du jour au lendemain, tu ne peux plus voir une personne que tu aimes. Si vous le voyez dans la rue, vous devez changer de trottoir, éviter un maximum de contact. C'est ce qui s'est passé avec mon frère. J'avais pas le courage de faire front et l'aider. J'étais personnellement dans la fougue du combat. Je lui disais qu’il pouvait s’en sortir en priant Dieu, qu’il allait lui donner de la force. Je le faisais sincèrement. Devoir rejeter mon propre frère, ça m'a projeté sur ce qui allait m'arriver. 

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Mes parents adoraient mon frère et je les ai vu dépérir. Mon père est devenu un autre homme, beaucoup moins intransigeant, plus affectueux. J'ai vu la peine de mes parents. C'était dur de voir ma mère pleurer non-stop, mon père allait se cacher dans le garage pour pleurer aussi. Ça m'a incité à rester. Je voulais pas les voir souffrir. Je me disais que si je faisais la même chose, j’allais les tuer. 

« Je commençais à devenir fier d'être homosexuel. »

Pendant quelques années, j'ai encore vécu dans le traumatisme de me dire que faire mon coming out allait les achever. J'ai mis tout ça de côté en pensant au bonheur de mes parents avant le mien. Donc j'étais malheureux mais j'étais avec mes potes, je m'amusais. Par contre, ça m'a amené à faire de graves erreurs, notamment économiques, avec des achats compulsifs pour essayer de combler ce manque. C’était de l’autoflagellation.

J'ai découvert le sexe à 27 ans et j'ai vu que c'était bon. J'ai compris pourquoi il y avait de la frustration chez les témoins de Jéhovah. Je les voyais frustré·es en couple, moi j'avais mes plans cul. Je me disais que l'enseignement qu'on nous donnait n'était pas bon. Leur vie est juste moche. Moi qui allait à l'encontre de tous les dogmes religieux, je me sentais libre. Et cette liberté... Ç'a été le début de l'émancipation. 

Mais je me limitais à des plans culs. J'avais la crainte d'être observé. J'avais peur de rencontrer par hasard un témoin de Jéhovah. J'ai jamais connu de bar gay à Liège parce que je sortais toujours sur Bruxelles. Je me suis retrouvé avec des gens, j'ai rencontré des homosexuels. Ils me voyaient tout stressé, ils avaient pitié de moi. C'était invivable et ç'a duré quelque temps. Je me suis dit qu'il fallait que j'arrête de penser comme ça, que je commence à vivre ma vie. 

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Je voulais une vie de couple. C'est l'image avec laquelle j'ai grandi. Mes parents se sont mariés, mon frère qui s'était marié aussi... Et je savais que je l'aurais jamais si je restais caché. Personne n'allait m'accepter avec ma paranoïa. Je me suis mis à la place d'un potentiel partenaire et je me suis dit que j'allais pas lui infliger ça. Et c'est là que j'ai commencé à reprendre contact avec mon frère. Je suis allé chez lui et il m'a reçu comme si on ne s'était jamais quittés. Il fallait que je le voie, que j'observe par moi-même qu'il était heureux. Je lui dit que j’étais homosexuel. Toute cette période là, j'ai continué à le voir. Quand mes parents l'ont appris, ils se sont demandés ce qui allait se passer pour moi. Peut-être le début de la fin ? Pendant tout un temps, mes parents ont essayé de me convaincre de ne plus voir mon frère, mais il en était hors de question. Je commençais à devenir fier d'être homosexuel. 

Un jour, je suis parti en vacances en Espagne avec des témoins de Jéhovah dont j'étais très proche. Et je rencontre quelqu'un de qui je tombe amoureux. C'était fusionnel. J'avais eu des coups d'un soir, mais là j'étais en train de tomber amoureux. Sauf que quand tu tombes amoureux, tu changes, tu n'es plus là. Mes ami·es voyaient que je n'étais plus le même Fulvio. Je pensais toujours au mec. Jusqu'au moment où il m’a dit qu’il voulait que je vienne vivre à Madrid avec lui. Ma petite sœur, qui était avec moi en vacances, a été lire mes conversations avec lui sur WhatsApp et a compris que je voulais le rejoindre. Je l’ai pas accepté. C’était fini. 

C'est là que j'ai décidé de me dissocier des témoins de Jéhovah. Je voulais même plus que mon nom figure sur leur registre. J'ai écrit une lettre, que j'ai envoyée au siège. Mes parents sont venus me voir le lendemain de l'envoi et m’ont dit qu’il fallait croire l’esclave fidèle et avisé – la tête pensante des témoins de Jéhovah. J'ai même pas permis la discussion. J'ai rappelé à mes parents qu'ils étaient catholiques et sont devenus témoins de Jéhovah. J’ai rappelé à mon père que son propre père l’avait rejeté quand il est devenu témoin de Jéhovah. Et qu’il était en train de faire la même chose avec son fils. Aujourd’hui, ça fait trois ans que je n’ai plus vu ma famille. 

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