Life

Ce que ça fait de mettre trop de râteaux quand on est une fille

Je ne me serais jamais doutée que mon armure de fille « désirée » puisse succomber à ce point au poids de l’humiliation.
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Par Proxima Studio

5 heures du matin. Je suis enfin dans mon lit, démaquillée, dents brossées, nue parce qu’ivre et que la recherche de mon pyjama implique une concentration trop accrue. Je regarde une dernière fois mon téléphone, pour m’assurer que je ne l’ai pas perdu et suis prête à activer le mode avion quand soudain, je reçois un FaceTime de Paul. Le même qui m’a proposé de le retrouver deux heures avant dans une boîte où il n’a sans doute rien trouvé à se mettre sous la dent. J’hésite. Car même si le seul véritable échange qu’on ait eu, c’était explosé à l’arrière d’un taxi qu’on partageait, il est peut-être presque décédé et sa dernière volonté est peut-être d’entendre ma voix.

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« T’es nue ?? »

Il s’égosille plein de veines, son visage trop près, semi-éclairé par un lampadaire. Je hais FaceTime. Je réponds en lui demandant s’il a un problème. Paul a 28 ans, est financièrement indépendant, a fondé une entreprise implantée dans une dizaine de pays, ce qui lui permet aujourd’hui de ne bosser que deux jours par semaine et de se payer des week-ends s’il n’est pas à Paris pour me harceler. Mais à ce moment-là, il s’esclaffe que je le prends pour un bébé ou quoi ? puis m’explique qu’il voudrait venir passer la nuit chez moi, en précisant, pour mettre toutes les chances de son côté : « même pas pour baiser ! » Paul doit certainement n’avoir aucune estime pour moi s’il se ridiculise à ce point. Si ça me vexe, me viennent à l’esprit tous les amis qu’on a en commun, toutes les fêtes géniales qu’il organise et conclue que je ne peux simplement pas l’envoyer chier. C’est une des lois ignobles que renferme l’âge adulte.

Je suis aussi rattrapée par la mansuétude janséniste dont je n’ai aucun héritage mais qui soulage la pensée qu’autrement, je suis détestable d’opportunisme. Je penche la tête sur le côté et commets un sourire de petite conne pour accentuer les pommettes que j’aurais si j’étais en train de lui faire une pipe, lui donner au moins de quoi bander avant de s’endormir, et me refuse telle une Vénus, sexuellement liquidée. Je l’informe néanmoins que je serai disponible dès demain, au moment où il aura trop honte pour même se souvenir de cette conversation aberrante.

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Après d’infernaux miaulements d’« Allez », en continu pendant trois minutes, ne trouvant d’encouragements que dans les fausses excuses de mes épaules dénudées, il accepte de mettre un terme à son appel, visiblement à condition de me pousser par texto à rêver de lui. Ce garçon n’a-t-il pas de limite ? Si, en raccrochant, je ne me déteste pas trop d’être soumise aux conventions mondaines élémentaires, c’est que Paul, à son insu, répare en se fondant dans une poisse pathétique, le dernier rejet que moi-même j’ai essuyé.

Qui n’a pas de bouc émissaire attitré en évoluant dans notre intraitable sphère sentimentale n’a rien capté. C’était mon cas il y a peu, jusqu’à ce que sans le vouloir, une petite armée de mecs dont je me fous complètement se soit constituée dans mon répertoire. Puis de fil en aiguille, la conscience augmentée par les râteaux que je j’offrais, j’ai essayé de faire mon maximum pour ne plus m’en prendre. En réalisant avec effroi l’impossibilité de cette vocation, à moins de ne plus sortir de chez moi et d’entamer une collection de vibromasseurs hors de prix, j’ai été calmée par l’issue de la vindicte. Ce n’est pas que je me délecte de l’humiliation que je peux faire subir aux autres, c’est que ça me guérit. Pour une raison méconnue, on arrive rarement à se venger sur la personne concernée. Elle semble toujours avoir autre chose à faire que de recevoir tout le mal qu’on veut lui infliger. Aussi, la vengeance n’ayant pas le sens du discernement, la satisfaction de foudroyer quelqu’un d’innocent est tout à fait acceptable.

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« Quand on n’est pas trop puni physiquement, le privilège de bannir quelqu’un de son périmètre arrive assez vite dans la vie »

On ne cerne pas directement le couillon qu’on traitera comme un mouchoir jetable. En réalité, c’est un peu lui qui choisit son sort en fonction de l’ambition qu’il place dans son autodestruction. Par exemple, s’il nous réécrit après avoir essuyé trois absences de réponse à ses textos, c’est un excellent candidat. S’il propose autre chose que précisément ce qu’on voulait, généralement une baise ingrate à 5 heures du mat sans dormir ensemble, tâchez de ne jamais employer de termes définitifs tels que « Non, je ne voudrais jamais voir ta gueule sobre dans un endroit public. ». C’est difficile car on lui en veut déjà beaucoup de faire de nous un bourreau mais il faut garder son sang-froid. Je l’ai perdu à plein de reprises en pensant vouloir « faire le vide » dans ma vie. Énorme erreur. Car dès lors qu’on perd de quoi foutre des râteaux, on devient automatiquement une matière à en recevoir.

Les comportements des rejetés, racontés par leurs exécuteurs, soulèvent efficacement les rires des groupes de potes (généralement du même sexe), notamment dans le cadre d’apéro. Puisque souvent, ils s’avèrent hallucinants, leur analyse est idéale, parce que très simple, pour penser ensemble, qu’à titre individuel, on ne s’en sort pas trop mal. Exactement comme quand quelqu’un se pissait dessus en primaire et que le pouvoir de la majorité épargnée donnait des ailes, au détriment de la misère du désigné.

On est seulement disposé à regarder avec empathie la dépravation à laquelle un rejeté se livre au moment où on se retrouve à sa place. Quand on n’est pas trop puni physiquement, le privilège de bannir quelqu’un de son périmètre arrive assez vite dans la vie. Peut-être trop vite pour avoir le recul de se dire que ce ne sera pas toujours comme ça. Trois quatre râteaux foutus plus tard, la confiance gagnée, je me suis aventurée à draguer une cible plutôt franchement et, toutefois gonflée de certitudes, j’ai enduré mon premier râteau.

Je ne me serais jamais doutée que mon armure de fille « désirée » puisse succomber à ce point au poids de l’humiliation. Le râteau s’est trouvé impossible à avaler et pensant ne pas pouvoir réparer cette déconvenue, j’ai pensé, tant qu’à faire, qu’il valait mieux dédier ma vie à conquérir cette personne. Plus j’étais rejetée, plus je me sentais capable de réussir. Jusqu’à ce que je grandisse et que je laisse un problème plus intéressant pourrir ma vie.

La semaine dernière, un mec avec qui j’essaye d’être un peu respectable m’a plantée au dernier moment sans s’excuser. Alors qu’autrefois, j’aurais tapé une crise de nerfs au téléphone avec lui avant de le supplier de débarquer chez moi pour me niquer une dernière fois, j’ai répondu « D’acc, bonne soirée :) », j’ai hurlé seule dans mon appartement en écoutant les propositions Spotify de groupes « indé » merdiques et déprimants, et j’ai commandé 50 balles de bouffe que j’ai englouti en dix minutes. Puis, j’ai traîné mon recalé de corps jusqu’à mon lit pour lutter contre le sommeil devant un reportage sur le cauchemar des abattoirs. Mais le lendemain, à ses yeux j’étais digne ; et même si la vérité éclatera lorsqu’il finira la lecture de cet article, ça m’a un peu aidée à me réconcilier avec mon existence sur la planète.

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