collages feministes la fronde
Photos : Benoît Barbarossa
Société

Avec La Fronde, les colleuses féministes radicales de Bruxelles

« C’est pas juste quelques lois qu’il faut changer, c’est tout le système. »
Souria Cheurfi
Brussels, BE

« Pas une de plus », « Smash the cis-tem », « Elle le quitte, il la tue ». Le mouvement des colleuses n’est pas nouveau, mais en Belgique, ça fait environ six mois que vous avez pu lire ces messages percutants sur les murs de nos rues. De simples lettres manuscrites sur des feuilles A4 se collent les unes aux autres pour dénoncer les injustices du patriarcat ici, à Paris, Berlin, Londres et partout en Europe.

Publicité

De manière anonyme, les colleuses de La Fronde ont accepté de nous parler de ce mouvement, de revenir sur le 8 mars et de partager leur vision du féminisme radical et intersectionnel, mais aussi du patriarcat.

VICE : Comment s’est formé votre collectif ?
La Fronde : Les mouvements collages féminicides avaient déjà bien pris en France, mais pas encore en Belgique. Or ici, le nombre de féminicides n'est pas recensé de façon officielle (ce sont des personnes volontaires qui épluchent les actualités à travers le pays et mettent la liste à jour sur StopFéminicides.blogspot.com).

Il nous a semblé très urgent de mener les actions de collage pour rendre hommage à ces femmes dont les meurtres sont ignorés, mais aussi de confronter les gens à nos messages placardés directement dans la rue. Peu à peu, les slogans ont dépassé les féminicides pour aborder un tas d'autres sujets liés à la lutte féministe. Et depuis la création de La Fronde, on imagine d'autres moyens d'action que les collages.

« Peu à peu, les slogans ont dépassé les féminicides pour aborder un tas d'autres sujets liés à la lutte féministe. »

Vous êtes combien en Belgique ?
On est une dizaine de membres permanent·es et beaucoup, beaucoup de participant·es qui viennent peindre et coller soit régulièrement, soit une soirée. Le collectif se veut ouvert et en mouvement. Tout le monde doit pouvoir militer selon sa disponibilité et son envie. Donc si il y a des assidu·es tant mieux, si certain·es ne viennent qu'une fois, c'est très bien aussi !

Publicité
1584536707486-Fronde1

Photos : Benoît Barbarossa

Quels sont vos champs d’action ?
Nos champs d'action sont principalement la réappropriation de l'espace public et l'information. On colle dans la rue, on manifeste dans la rue, on réagit à des points d’actualité : soit l’événement est discriminant/illégal ; soit la couverture médiatique d’un événement est discriminante, et on le fait savoir. On participe aussi à des tables rondes et on partage régulièrement des infos militantes ou des actualités liées à la cause féministe sur nos réseaux. En somme, on ne s’adresse plus au gouvernement car il n'écoute rien et ne met rien en place.

« On ne peut pas se battre uniquement pour ses propres petits privilèges ; si le féminisme n’est pas intersectionnel et inclusif, il n’existe pas. »

Vous avez déjà rencontré des obstacles à vos activités ? Genre amendes, flics ou autres ?
Certain·es membres se sont déjà fait interpeller par la police ou la sécurité d'un lieu. Jusqu’ici, c’est plus passif-agressif, genre un fourgon passe lors de collage, nous laisse coller, et revient plus tard pour tout enlever. Mais on n'a pas encore eu d'amende ou d'arrestation (contrairement à beaucoup de colleuses en France). On s'y prépare car ça peut très bien nous arriver. C'est un danger qu'on assume et qu'il nous semble nécessaire de braver pour nos actions. Notre cagnotte sert aussi à payer de potentielles d'amendes sur une base de solidarité. Si un·e membre se fait arrêter, tout le monde soutiendra.

Publicité

Puis y a souvent des mecs en voiture que ça émoustille de croiser deux ou trois meufs tard le soir, alors ils nous cherchent un peu. Une fois deux gars nous ont demandé pourquoi on collait « free our sister » pendant l’action CHYPRE, on leur a expliqué, ça les a bien calmé et ils se sont barrés.

1584536937319-Fronde2

Photos : Benoît Barbarossa

À la base, votre collectif s’appelait « Collages Féminicides Bruxelles » mais vous avez changé de nom pour vous éloigner des propos de Marguerite Stern, ancienne Femen et fondatrice du mouvement…
Marguerite Stern a toujours tenu publiquement des propos transphobes, islamophobes et putophobes. Ce n'est pas du féminisme. Et ces propos étaient directement discriminant envers des membres de La Fronde. C'est de l'intolérance déguisée et une insulte gigantesque pour des minorités qui en subissent déjà assez comme ça. On n’a pas besoin d'oppression en plus au sein même de la lutte féministe et entre militant·es.

Les luttes féministes de La Fronde ne s’arrêtent pas à la lutte contre les féminicides, mais englobe aussi d’autres problématiques (transphobie, grossophobie, putophobie, racisme, précarité menstruelle, inégalités…) et s'appliquent à être alliées des travailleur·euses du sexe, des voilées, des personnes trans, LGBTQI+, gros·ses, non-valides, racisé·es, etc.

Donc c'était plus possible d'être indirectement affilié à cette personne qui, de plus, s'est réapproprié un mouvement qui se voulait libre et anonyme. On ne peut pas se battre uniquement pour ses propres petits privilèges, si le féminisme n’est pas intersectionnel et inclusif, il n’existe pas.

Publicité

Et pourquoi le nom « La Fronde » ?
Pour ce que ça représente : la révolte d'un groupe contre les institutions et la société, mais aussi la critique du pouvoir et de l'autorité par provocation. Une fronde c'est aussi une arme de jet. Et en plus, c'est le titre du premier journal quotidien féministe au monde, conçu et dirigé par des femmes en 1897.


Regardez aussi notre nouvel épisode de DIVERSIDEAS sur le harcèlement sexuel dans le monde de la nuit.


Vous êtes quand même en contact avec des colleuses d’autres pays ? Comment se passe la communication ?
On communique beaucoup avec d'autres colleuses de Belgique et de France sur Instagram. Lorsqu'il y a des agressions ou arrestations, on se tient au courant. On se fait passer les communiqués à signer, les infos sur des événements, on s'inspire mutuellement pour les slogans. Bref, les luttes sont globalement les mêmes ; on s’inspire et on se soutient.

« On peut mourir du simple fait d'être une femme. C'est la terrifiante apogée de tout ce que le patriarcat engendre. »

Même si vous abordez d’autres sujets, le mouvement des colleuses est associé aux féminicides. On définit les féminicides comme les « meurtres de femmes commis par des hommes parce qu’elles sont des femmes. » On n’y retrouve aucun élément indiquant que ce meurtre a lieu dans le cadre d’une relation. Vous pensez quoi de cette définition ?
Cette définition est simple et malheureusement exacte. Le problème c’est que la plupart des gens ne la comprennent pas. Les féminicides n'ont pas lieu seulement dans les relations conjugales. Une travailleuse du sexe tuée = un féminicide. Une femme trans tuée = un féminicide. Une femme kidnappée et tuée = un féminicide. Ce mot désigne une violence extrême mais surtout systémique. On peut mourir du simple fait d'être une femme. C'est la terrifiante apogée de tout ce que le patriarcat engendre.

Publicité
1584537191665-lafronde_8mars-4

Photos : Benoît Barbarossa

Cette définition est assez binaire. Une femme peut-elle commettre un féminicide dans le cadre d’une relation lesbienne, par exemple ?
Non. Parce que la raison du mot féminicide, c’est mettre en lumière une violence systématique envers les femmes par le groupe dominant. Donc si une femme tue une femme c’est un meurtre. Pas un Féminicide. Mais c’est complexe. Des femmes cis commettent-elles un féminicide quand elles tuent une femme trans ? C’est la même question mais tournée autrement. Et c’est là toute la difficulté du niveau des luttes. Une femme tuant une autre femme au sein d’un couple lesbien, on pourrait croire que c’est lié à l’individu, au niveau micro donc, et non pas au système. Or, ce n’est pas parce qu’on est une femme qu’on ne reproduit pas des schémas d’oppression, au sein même de son couple, que ce dernier soit hétéro, lesbien ou autre.

« Être radical·e dans une lutte féministe, c'est chercher un engagement fort et des modes d'action qui font trembler le patriarcat jusqu'à le détruire. »

Une bonne définition du terme serait une définition qui permettrait de rendre compte de la complexité à l’oeuvre dans le meurtre d’une femme, qu’elle soit cis ou trans, que le meurtre ait lieu dans la sphère domestique, celle du travail, ou la sphère publique. Oui, il y a la responsabilité individuelle, mais il y a aussi celle de la société, qui envoie des messages tels que : « ne sont femmes que les personnes avec un vagin » ; « je t’aime donc tu m’appartiens, tu n’as pas le droit de partir, si tu pars, je te tue ». Deux messages qui n’ont a priori rien à voir mais qui se rejoignent puisqu’il s’agit de dire à l’autre ce qu’iel est et comment iel doit vivre.

Publicité
1584537264063-lafronde_8mars-7

Photos : Benoît Barbarossa

Vous vous définissez aussi comme collectif féministe radical. Ça veut dire quoi pour vous ?
C’est radical parce qu’on va aux origines du mal, à savoir le patriarcat et le capitalisme. On n'en est plus à simplement demander à réduire les inégalités entre les femmes et les hommes. On en a marre. Les femmes meurent sous les coups de leur mari ou de leur ex, parce que ce sont des femmes. Ce qu’on veut c’est l’abolition du patriarcat. Et le patriarcat n’est qu’un sous-produit du capitalisme. C’est pas juste quelques lois qu’il faut changer, c’est tout le système. C’est la société entière qui est gangrenée, et pour que ça change il faut des mesures radicales, revoir entièrement nos systèmes de pouvoir et de démocraties, redistribuer toutes les cartes.

Être radical·e dans une lutte féministe, c'est chercher un engagement fort et des modes d'action qui font trembler le patriarcat jusqu'à le détruire. C'est ne plus rien laisser passer. Pas une oppression de plus. On aborde tout et de façon frontale. Il n’est pas question de mettre les formes, de la crème. On dénonce avec des slogans forts voire dérangeants, parce qu’on pense qu’il est temps de se regarder dans un miroir pour avancer. On es radical·es, parce qu’on va au bout de nos revendications ; on pense que si tout ne tombe pas, rien n’avancera.

« Les flics sont bien plus efficaces quand il faut interpeller des colleuses ou taper sur des manifestantes pacifistes que lorsqu’une femme appelle à l’aide parce qu’elle est frappée par son mari. »

Publicité

Votre bilan de ce 8 mars ?
Le 8 Mars a été vraiment fort. Malgré la drache, on était là quoi ! Que ça fait chaud au coeur d’être entre adelphes ; on se sent moins seul‧es et ça donne de l’énergie pour la suite. Notre cortège était ultra motivé, à hurler les slogans non-stop, pancartes levées et révolte palpable. Pour l'adelphité, c'était nécessaire. Si on reste chacun·e de notre côté, on peut vite se résigner face à l'ampleur de la tâche. Grâce à ces moments ensemble, même si en soi rien ne change à l'échelle de la société, on entretient nos indignations et nos colères ; nos moteurs de lutte. Maintenant, ça reste une marche institutionnalisée qui, concrètement, ne change pas la donne. Il faut penser à une organisation plus révolutionnaire que ça si on veut avancer.

Point négatif : encore et toujours les violences policières. Des flics, en uniformes comme en civil, qui sont bien plus efficaces quand il faut interpeller des colleuses ou taper sur des manifestantes pacifistes que lorsqu’une femme appelle à l’aide parce qu’elle est frappée par son mari. Là aussi, il y a du travail.

Merci pour tout.

1584537496183-Fronde3

Photos : Benoît Barbarossa

Ne ratez plus jamais rien : inscrivez-vous à notre newsletter hebdomadaire et suivez VICE Belgique sur Instagram.