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Illustration par Hunter French/VICE
Tech

Comment la Chine espionne et arrête ceux qui s’expriment sur le coronavirus

« Les agents lui ont présenté une capture d’écran de son tweet, en lui disant que "le contenu [était] une attaque contre le Parti communiste chinois" »

Joshua Left est un entrepreneur de 28 ans à la tête d’une start-up de voiture sans conducteur à Wuhan, en Chine. En janvier dernier, il était en vacances à San Francisco lorsqu’il a appris la nouvelle : un virus de type SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), le coronavirus, ravage la Chine.

Très rapidement, il s’est inquiété pour sa famille restée à Wuhan, épicentre du virus et première ville où la maladie a semé la panique. Craignant que sa famille ne réalise pas l’envergure de l’épidémie naissante et que certaines informations ne soient pas disponibles en Chine, il leur a écrit sur son compte WeChat.

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« Après, ça a pris un tournant bizarre », a-t-il raconté à VICE.

Voilà ce que Joshua, qui nous a demandé de ne pas divulguer son nom complet, a révélé à VICE. D’abord, il a reçu un message d’alerte des administrateurs de WeChat. Ensuite, quatre de ses amis lui ont écrit exactement le même message sur WeChat. Ils lui demandaient où il se trouvait à San Francisco, dans quel hôtel, quelle chambre, et quel était son numéro de téléphone américain. Bizarre.

Puis, il a reçu une alerte de sécurité sur son téléphone l’avertissant que quelqu’un à Shanghai essayait de se connecter sur son compte. Finalement, comme il n’a pas voulu leur donner ces informations, ces mêmes amis l’ont tous supplié de revenir en Chine le plus vite possible.

Selon Joshua, c’est le Ministère de la sécurité d’Etat qui devait être là-dessous. Dans l’espoir de le retrouver, des agents ont probablement fait pression sur ses proches pour qu’ils lui envoient ces messages. D’après lui, cela montre la détermination du gouvernement chinois à réprimer toute voix dissidente qui oserait communiquer des informations sur le coronavirus.

WeChat

Alors que la Chine redouble d’efforts pour préserver sa version des faits sur le coronavirus, elle cherche également à profiter un maximum des plateformes digitales pour retrouver ceux qui oseraient s’exprimer sur le sujet. La Chine veut neutraliser toute source négative, empêcher à tout prix leur publication sur Internet. Pour ce faire, Pékin n’hésitera pas à utiliser des techniques d’intimidation, à faire des arrestations ou à menacer ses citoyens de représailles juridiques. Traquer les utilisateurs de Twitter via leur numéro de téléphone portable, pirater des comptes WeChat pour retrouver la trace de quelqu’un, tous les moyens sont bons pour protéger la réputation du régime.

Joshua est resté caché en Californie craignant pour sa vie et n’osant pas retourner chez lui de peur de se faire arrêter.

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Il a rapporté l’incident à la police de San Francisco et au FBI mais n’a reçu aucune réponse depuis. La police de San Francisco a confirmé à VICE avoir reçu la plainte de Joshua contre le gouvernement chinois. Il l’accuse d’ « [opprimer] ses citoyens » et de le viser en tant que « fervent opposant au gouvernement ».

Joshua a en effet raconté à VICE que, quand il était étudiant à l’Université de Wuhan, il avait déjà été interrogé sur ses activités par des autorités chinoises, mais qu’il n’avait jamais été arrêté.

Tencent, l’entreprise dirigeant WeChat, n’a pas répondu à nos messages concernant l’incident. En tant qu’entreprise chinoise, Tencent est soumise à des règles strictes qui l’obligent à partager les données des utilisateurs avec le gouvernement, même si ses actions sont à la bourse de New York et qu’elles comptent un nombre croissant d'utilisateurs aux Etats-Unis et sur d’autres marchés internationaux.

Le ministère de la sécurité d’état n’a pas répondu à nos messages.

Mais Pékin ne se contente pas des plateformes chinoises pour traquer les voix dissidentes.

Twitter

En janvier 2020, Jiang Ming, qui vient de Dongguan, dans la mégalopole chinoise du delta de la Rivière des Perles, a répondu à ce tweet en critiquant la réponse, qu’il a jugée trop lente, du gouvernement chinois face à l’épidémie du coronavirus.

Le message apparemment inoffensif de Ming - à présent supprimé - pourrait se traduire comme « Qui oserait prendre la responsabilité de détruire la tyrannie ? » Twitter étant interdit en Chine, Ming a utilisé un VPN pour accéder au service, comme beaucoup de Chinois le font. Quelques jours après son tweet, Ming a reçu un coup de fil du ministère chinois de la santé, lui donnant rendez-vous. Ming a exigé une convocation officielle mais l’agence lui a répondu qu’elle ne pouvait pas la donner au téléphone, alors il a refusé. Mais quelques jours plus tard, des agents ont frappé à la porte de son domicile à Dongguan, ville de près de 8 millions d’habitants, près de Hong Kong. Les agents lui ont présenté une capture d’écran de son tweet, en lui disant que « le contenu [était] une attaque contre le Parti communiste chinois ».

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Les agents ont révélé à Ming qu’ils avaient trouvé ces informations grâce au numéro de téléphone associé à son compte Twitter, qui à son tour était lié à son identité dans la base de donnée du gouvernement. Cette base de donnée contenait une ancienne adresse de Ming, mais les agents ont finalement pu retrouver sa trace en appelant des membres de sa famille, qui ont donné son adresse actuelle.

Twitter a refusé de commenter l’affaire, mais une source de la compagnie a nié catégoriquement qu’ils avaient partagé le numéro de téléphone ou tout autre détail du compte avec le ministère, en indiquant que le gouvernement chinois « possédait les fournisseurs Telco et avait un accès total au trafic. » Ming a été mis en détention provisoire et pendant son interrogatoire, on lui a révélé que les caractères "灭霸" (qu’on pourrait traduire par « exterminer ou abolir le tyran ») étaient ce qui avait déclenché l’enquête, parce qu’ils attaquaient implicitement les dirigeants du pays.

Aveux forcés

La police a confisqué le téléphone portable de Ming, comme élément de preuve. Cependant, il avait un deuxième téléphone, avec lequel il a réussi de prendre secrètement des photos du document qu’on l’a forcé à signer. Le document officiel lui faisait promettre de ne pas recommencer ses « menaces ».

VICE a analysé les photos prises par Ming.

La Chine a été largement critiquée pour sa mauvaise gestion de l’épidémie du coronavirus, et notamment sa réaction trop lente. Son appareil de censure, lui aussi, a mis du temps à réprimer les commentaires négatifs sur Internet.« Au moment de l’épidémie, il y a eu une courte période où la censure chinoise n’était pas aussi stricte que d’habitude, et laissait les journalistes à scandale s’exprimer », a rapporté à VICE Fergus Ryan, analyste à l’Institut australien de stratégie politique, spécialiste des réseaux sociaux chinois.

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Ce qui a pu jouer dans l’échec de la répression, c’est notamment le fait que les censeurs n’étaient pas à leur poste, puisque l’épidémie a coïncidé avec les fêtes du nouvel an chinois, et beaucoup d’agents étaient rentrés chez eux. Cependant, Ryan ajoute que cette approche moins stricte a pu être voulue par le gouvernement. Peut-être que Pékin a laissé plus d’informations passer pour mieux se rendre compte de l’envergure de l’épidémie.

« Ce n’est pas une approche traditionnelle de la censure du Parti »

« Ce n’est pas une approche traditionnelle de la censure du Parti », nous a déclaré Charlie Smith (pseudonyme), l’un des co-fondateurs de GreatFire.org, qui traque la

censure

de la Chine sur Internet.

« Ils reconnaissent le besoin de partager des informations qui pourraient aider à arrêter l’épidémie du coronavirus. Mais, comme beaucoup de gens critiquent la gestion de la crise par le pays, les autorités luttent pour savoir ce qu’elles doivent censurer. »

Le 20 janvier, le Président Xi Jinping s’est exprimé pour la première fois en public sur la crise. Et, après cela, on a observé un tournant plus strict dans la censure. La répression de ceux qui critiquent le régime, ou de ceux qui voient la gestion de l’épidémie d’un oeil négatif, a considérablement augmenté. Ming a appris que, la semaine de son interrogatoire, comme ils avaient voulu le faire pour Joshua, 10 personnes avaient été arrêtées pour avoir partagé du contenu sur le coronavirus. Ces arrestations, survenues la même semaine, témoignent des efforts de censure de Pékin. Charlie avait vu ce changement se profiler grâce au navigateur créé par GreatFire.org, qui fournit aux citoyens chinois des informations censurées en Chine. Le nombre d’utilisateurs a explosé.

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« Jusqu’au 24 janvier, nous avons enregistré entre 18,000 et 29,000 clics sur les histoires de notre page de garde », a rapporté Charlie. « Mais le 25 janvier, c’est monté à 50,000 et c’est resté plutôt stable depuis. » Le pic du trafic reflète un désir croissant de trouver des informations censurées en Chine. Tout comme Ming, beaucoup de citoyens utilisent des VPNs pour essayer d’accéder aux informations mais ces dernières semaines, le gouvernement a commencé à sévir contre ces services également.

Le gouvernement a également entrepris d’effacer des protestations en ligne, suite à la mort d’un docteur lanceur d’alerte qui, en décembre dernier, a essayé d’avertir le monde que l’épidémie allait survenir. Le gouvernement profite de la popularité de WeChat pour faire taire des gens qui sont en dehors de Chine et essaient de communiquer des informations à leurs compatriotes restés dans le pays.

Cette semaine à Xiantao, une ville d’environ 1,6 millions de personnes, la Commission nationale de la Santé a communiqué des directives au personnel médical et aux autorités, leur interdisant de mentionner l’épidémie dans des groupes de messagerie, de retweeter toute information contraire à la ligne officielle, et de donner des interview sans permission.

« Après cette brève période [de relâche de la censure] en janvier dernier, il y a eu un resserrement de la censure et des efforts pour relancer la propagande, peignant un tableau bien plus rose des actions du gouvernement et de sa gestion de l’épidémie. On en est là, de retour à un système très restrictif », a dit Ryan.

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Cet article est originellement paru sur VICE US.