Comment les paris sportifs s'incrustent dans l'esport
IEM Rio 2022/ Photo HLTV de @theMAKKU.
Gaming

Comment les paris en ligne s'incrustent dans l'esport

Le secteur du pari esportif se développe largement et donne à s’interroger sur ce nouvel horizon présenté comme prometteur pour l’écosystème.

ZywOo n'a pas tremblé. Le regard plongé dans l’écran qui lui fait face, le joueur français de l’équipe Team Vitality vient, une fois de plus, de remporter un duel au sniper. Prodige du jeu vidéo Counter-Strike: Global Offensive (CS:GO), Mathieu Herbaut n’est pourtant pas parvenu, lundi 8 novembre, à maintenir éveillé le rêve de ses coéquipiers lors de l’IEM Rio Major, organisé en ce moment au Brésil. La tête baissée, le joueur laisse entrevoir sur son maillot un logo qu’il arbore depuis quelques semaines à peine, au même titre que son équipe constituée en début d’année à grands coups de dizaines de millions d’euros. Au nom de GG.BET, ce dernier représente un site de paris en ligne qui propose à ses utilisateurs de miser sur des matches d’esport et qui collabore depuis quelques années avec des acteurs historiques de la discipline, dont l’équipe ukrainienne Natus Vincere (NAVI), également engagée au Major.

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GG.BET n’est pas le seul bookmaker présent à Rio de Janeiro. Cette année, le pari esportif s’est offert une place rêvée, en témoigne la présence de 1xBET, un site russe de jeu d’argent en ligne, parmi les sponsors officiels de la compétition mais également de l’équipe européenne OG. L’écurie Ninjas in Pyjamas a choisi quant à elle Betway, un site décrit par ses soins comme « la première entreprise de paris à prendre l’esport au sérieux » et dont le logo trône en lettres blanches sur l’abdomen de ses athlètes comme de ses fans. Le renforcement de cette offre parmi les partenaires commerciaux des équipes et des tournois illustre la croissance récente du pari esportif. Le jeu vidéo compétitif serait d’ailleurs la sixième discipline sportive en termes d’argent misé, devant le tennis de table et le baseball, d’après un rapport de la société Sportradar. Sur l’année 2021, un total de 46 milliards d’euros aurait alimenté cette jeune industrie, dont le développement n’est toutefois pas sans heurt.

​IEM Rio 2022/ Photo HLTV​ de @theMAKKU​.

​IEM Rio 2022/ Photo HLTV​ de @theMAKKU​.

Des signaux optimistes en France

En France aussi, ces derniers mois ont été chargés pour celles et ceux qui s’intéressent au business juteux que semble représenter le pari esportif. Bien que le marché n’y soit pas encore régulé par l’Autorité nationale des jeux (ANJ) comme l’est celui du pari sportif traditionnel, de nombreux acteurs du jeu d’argent s’y positionnent, multipliant les prospections et petites attentions envers le jeu vidéo compétitif . « Le Covid a fait qu’il n’y a pas eu de sport pendant plusieurs mois et cela a mis l’esport sur le devant de la scène. C’est devenu d’un coup quelque chose que tous les opérateurs étaient obligés d’avoir », raconte à VICE Flavien Guillocheau, PDG de PandaScore. 

Sa start-up, française au rayonnement international, tire la majorité de ses revenus de la vente de données chiffrées et prédictives sur les compétitions de jeu vidéo à des bookmakers en tous genres. En août, elle a conclu un accord commercial avec William Hill, une société britannique de jeu d’argent cotée en bourse qui souhaite développer son offre de paris esportifs. PandaScore assurera le calcul des cotes sur diverses compétitions, notamment pour les scènes Dota 2, League of Legends (LoL) et CS:GO. Invités à l’Élysée avec de nombreux autres acteurs français de l’esport, Flavien Guillocheau et Théophile Monnier, directeur principal des ventes chez PandaScore, se sont rendus au palais présidentiel avec une idée précise en tête : « convaincre le Président de l’intérêt du pari esportif pour financer l’écosystème français dans son entièreté », raconte sur LinkedIn l’un d’entre eux. 

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« Plus il y aura de fans, plus il y aura de parieurs, et plus les revenus de sponsoring vont augmenter. C’est un cercle vertueux. » – Flavien Guillocheau

Il faut dire que l’esport en tant qu’industrie est constamment à la recherche de ressources financières dans lesquelles puiser pour bâtir sa croissance et que le pari pourrait constituer un précieux filon. « Plus il y aura de fans, plus il y aura de parieurs, et plus les revenus de sponsoring vont augmenter, juge Flavien Guillocheau. C’est un cercle vertueux. » Si les pouvoirs publics français ne sont pas réputés pour être les plus réactifs en matière d’esport, le pari ne semble pas figurer parmi les dossiers urgents sur lesquels statuer pour pérenniser la discipline. Et de fait, la France, contrairement à certains de ses voisins, n’a pas bougé d’un iota concernant une éventuelle offre légale de paris esportifs.

Certains signaux récents montrent néanmoins que la question intéresse de plus en plus. Acteur incontournable du jeu d’argent, la Française Des Jeux (FDJ) a, depuis 2017, multiplié les appels du pied aux fans de jeux vidéo compétitifs, d’abord avec l’organisation des compétitions FDJ Open Series sur différents jeux, puis via une offre gratuite (sans mise d’argent) intitulée Parions Esport et depuis enterrée. Plus récemment, la FDJ a engagé plusieurs millions d’euros dans l’esport via des fonds d’investissement. Ces fonds de capital-risque peuvent être extérieurs au groupe FDJ, comme Trust Esport VC, pour lequel elle a débloqué 2 millions d’euros en 2019 afin de financer des start-ups comme Toornament ou Prodige Agency. Mais le bookmaker français possède aussi ses propres fonds dédiés à l’innovation, V13 Invest et Aria, via lesquelles il a financé de jeunes entreprises du secteur vidéoludique comme Jam.gg, Homa Games ou Zar, mais également PandaScore.

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Betclic, autre ténor français du pari en ligne, a tenté une approche différente après avoir proposé jusque récemment une offre gratuite similaire à Parions Esport. En février 2021, la société a annoncé la création d’un projet d’équipe esportive sur le jeu FIFA, nommé Betclic Apogee. Né d’un contrat de naming avec la formation portugaise Apogee, il permet à Betclic de promouvoir ses services auprès d’un nouveau public, qui a peut-être délaissé les compétitions de foot traditionnelles pour celles, virtuelles, de la scène FIFA. « Notre partenariat est concentré sur le Portugal, l’Italie et la Pologne, précise Gonçalo Brandeiro, PDG de Betclic Apogee. Je pense que Betclic est, comme beaucoup d’autres marques de différents secteurs, attentive au développement impressionnant du jeu vidéo et de l’esport ces dernières années. »

Team Vitality / Photo HLTV​ de @theMAKKU​.

Team Vitality / Photo HLTV​ de @theMAKKU​.

Un tabou qui subsiste toutefois

À travers ces petits pas prudents, les bookmakers français ont en effet l’intention d’occuper le terrain dans une industrie aux atouts prometteurs. « Les paris esportifs sont autorisés dans certains pays étrangers et, à ce titre, Sporting Solutions, filiale du Groupe FDJ qui fournit des services de paris à l’international, propose en B2B des services de paris esportifs à des opérateurs étrangers, en s’appuyant sur la technologie de la start-up française PandaScore », fait savoir à VICE la Française des Jeux. Mais en France, tout cela prend du temps et il ne s’agit pas, pour les acteurs fiables, de se précipiter. Afin d’imposer de façon pérenne le pari esportif, il serait contreproductif d’aller au-delà du rythme encore instable de l'écosystème et de celui des régulations juridiques.

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Le sujet est d’ailleurs sensible. Les problèmes d’addiction aux jeux d’argent sont nombreux, particulièrement chez les jeunes hommes et chez les moins fortunés d’entre eux, or les équipes d’esport s’adressent plutôt à des publics d’adolescents et de jeunes adultes, même si la moyenne d’âge tend à être repoussée. Sollicitée par nos soins, l’équipe française Team Vitality a d’ailleurs refusé de répondre à nos questions au sujet d’un accord de sponsoring trouvé en août avec GG.BET. « En effet, le partenariat ne s'applique pas au marché français, expédie le service presse par mail. Nous ne pouvons donc pas en parler. » Derrière cette étonnante frilosité — le roster CS:GO de Team Vitality n’a eu de cesse de s’afficher à Rio aux côtés des équipes de GG.BET présentes sur place (voir le tweet ci-dessous) —, se dessine un tabou autour du jeu d’argent, qui trouve dans l'esport une résonance particulière.

Les licences des sites spécialisés dans le pari esportif sont bien souvent enregistrées au Curaçao ou à Malte, deux petits paradis fiscaux connus pour accorder très facilement à ceux qui le souhaitent l’autorisation de promouvoir une offre de jeu d’argent. Ces agréments n’inspirent aujourd'hui que peu confiance et certains sites ont récemment été interdits par les fournisseurs français d’accès à Internet ou par la plate-forme Twitch. En France, l’absence d’une offre légale sur le pari esportif pose la question d’une fuite des parieurs vers des sites à l’étranger, parfois frauduleux et qui ne sont pas soumis aux mêmes règles, notamment de prévention de risque, que les opérateurs français.

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« Le pari est en train de devenir une extension du jeu. »

D’autres histoires entachent parfois la réputation du pari esportif. Fin septembre, l’antenne ukrainienne du média Forbes a ainsi rapporté que l’équipe Natus Vincere aurait été secrètement achetée deux mois plus tôt par GG.BET, son partenaire depuis plusieurs années. Le média a avancé également que le bookmaker était la propriété de Maksym Krippa, un homme d’affaires ukrainien historiquement lié au casino en ligne Vulkan et actionnaire principal de NAVI. GG.BET réfute auprès de VICE ces informations. « GG.Bet ne possède pas NAVI et aucun homme d’affaires mentionné dans l’article de Forbes n’est le propriétaire de GG.BET », déclare son PDG Dmitry Voshkarin. 

Ce dernier souhaite aujourd’hui tirer un trait sur cet épisode de mauvaise publicité. « Nous voulons que GG.BET soit synonyme d’esport et, pour cette raison, notre partenariat avec Vitality est un boost important pour notre réputation. Nous soutenons et créons un écosystème pour les fans d’esport dans lequel le pari est un moyen de générer encore plus d’excitation en regardant des matches.  » Et de conclure, optimiste car le nombre d’utilisateurs de son site a fortement augmenté en un an : « Le pari est en train de devenir une extension du jeu. »

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