Pairet Illu
Food

Désolé, mais Paul Pairet est le grand gagnant de Top Chef

Si vous avez kiffé le télécrochet culinaire édition confinée, c’est en grande partie grâce au chef d’Ultraviolet.
Alexis Ferenczi
Paris, FR

Il suffit de se balader quelques minutes dans l’Internet des fans de Top Chef – évitez quand même le groupe Facebook neurchi de Philippe Etchebest – pour réaliser une évidence : le grand gagnant de la 11e édition du célèbre télécrochet culinaire de M6 n’est pas un des deux finalistes – Adrien Cachot ou David Gallienne (a priori pas de la Comédie française) – mais le dernier arrivé des membres du jury : le chef Paul Pairet sur qui les compliments tombent comme à Gravelotte.

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Évidemment, Pairet n’est pas le perdreau de l’année. À la tête d’un restaurant à Shanghai, Ultraviolet, auréolé de trois étoiles au guide Michelin, il a été élu meilleur restaurateur 2018 par les Grandes Tables du Monde. On parle ici d’un cuisinier qui se distingue du gratin des chefs par une mise en scène unique en son genre. Dans son resto de dix couverts, les clients vivent une immersion olfactive, sonore, culinaire et totale – OK, dit comme ça, on dirait une attraction du Futuroscope mais on parle bien d'un des meilleurs restos du monde.

Paul Pairet n’avait donc pas besoin de Top Chef pour exister – il était même venu présenter une épreuve miroir : deux plats identiques, un salé, l’autre sucré, lors de l’édition précédente. Mais, contrairement à son prédécesseur, Jean-François Piège, aussi sympathique qu’une porte de prison, le chef Pairet a fait mieux que se prendre au jeu. Au point de conquérir le cœur des Français rassemblés religieusement chaque mercredi devant le petit écran. Ses atouts ? Une gouaille tout en finesse quand certains se sentent parfois obligés d’imiter le sergent Hartman de Full Metal Jacket, un nez pour dénicher les candidats les plus talentueux et une méthode efficace pour qu'ils expriment tout leur potentiel à base notamment de flambadou. Bref, il a crevé l’écran sans jamais se départir de son originalité.

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À l’autre bout du fil, Paul Pairet rigole quand on lui demande s’il se sent responsable des bonnes audiences de l’émission. « Je pense que le confinement y est pour beaucoup, mais j’ai pris du plaisir à me suivre. » Retourné en Chine au chevet d’Ultraviolet, il raconte la reprise progressive de l’activité – plus simple pour son bistrot (« Très bien situé ») que pour sa brasserie chic. Le chef devrait assister à la finale et la fameuse cérémonie des couteaux en visio-conférence.

« J’ai croisé la route d’un professeur, Jean-Pierre Poulain, qui arrivait à relier tous les points qui m’intéressaient, c’est-à-dire qu’il mettait la cuisine en perspective avec l’histoire, la culture et la science »

Quand on lui dit que son parcours apparaît comme « un peu atypique » pour un grand chef, il réfute, rappelant que lui aussi a fait son apprentissage, jeune commis puis apprenti, dans des cuisines renommées. « La seule étape que j’ai sautée, c’est quand j’ai eu mon premier petit resto à Paris. J’avais un côté indépendant mais j’ai surtout compris à ce moment-là toute la difficulté de se retrouver à faire 60 couverts avec quelqu’un que l’on forme. Je passais des heures à transpirer comme un fou. »

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En rembobinant sa carrière, Paul Pairet remonte la pelote d’un scénario qui semble, comme ses plats, cousu de fil blanc. « Je pense avoir identifié les moments importants qui ont fait que je suis devenu cuisinier », justifie-t-il amusé. Parmi ceux-là, il y a sa mère qui fait très bien à manger :
« Bien sûr, ça aide, mais ça ferait beaucoup de cuisiniers si tous les gens qui ont eu la chance d’être bien nourris plus jeunes devenaient chefs ».

Et puis il y a aussi un bouquin qu’il garde encore aujourd’hui à ses côtés, les fameuses Recettes de grand-mère Donald (présentées par les Castor Juniors) qu’on lui offre à l’âge de 9 ans. Un moment qu’il juge déterminant. « J’ai fait mes premières armes avec ce livre. Je cuisinais des truffes au chocolat et j’en ratais la moitié ». Malgré les difficultés, Paul Pairet fait pour la première fois quelque chose de ses propres mains et ça lui plaît. « Le plus important, c’était le retour probablement très bienveillant des gens autour de moi qui m’encourageaient en disant que c’était formidable, sourit-il. Cette force de communication de la nourriture, c’est peut-être ce qui m’a le plus attiré. On fait quelque chose d’éphémère et on a un retour immédiat très intime qui pénètre fatalement et intégralement le corps et l’esprit des gens. »

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Le jeune Paul enchaîne avec des premiers boulots d’estivants. Un poste de plongeur et second de cuisine dans une colonie de vacances où le chef lui apprend la double cuisson des frites. « Ça m’avait scotché. J’étais en BAC C dont plutôt versé dans la physique et la chimie. Je découvrais que, derrière les frites, il y avait un pochage qui est une technique de cuisson presque scientifique. »

Séduit au point de vouloir en faire son métier ? « Ça me semblait raisonnable de consacrer les 50 prochaines années à un de mes hobbies, la photo, le sport ou la cuisine. » Pour le premier, il présente un concours à Marseille mais se heurte au sujet : « C’était un truc très technique alors que je me la jouais chasseur d’images à la David Hamilton. » En parallèle, il passe des examens pour devenir prof de sport : « Il y a quelques petites anecdotes croustillantes à ce sujet, notamment une noyade évitée dans une piscine. Je n’étais pas mauvais en gymnastique mais j’ai quand même reçu une fin de non-recevoir. » Ne reste alors que la bouffe et, heureusement, une place sur dossier à l’école hôtelière de Toulouse.

C’est là qu’il fera une rencontre décisive. « J’ai croisé la route d’un professeur, Jean-Pierre Poulain, qui arrivait à relier tous les points qui m’intéressaient, c’est-à-dire qu’il mettait la cuisine en perspective avec l’histoire, la culture et la science. Ce fut un déclencheur de ma passion pressentie ». Paul Pairet se souvient d’une leçon en particulier sur les phénomènes d’osmose : trois carottes (une entière, une en rondelle et une râpée) plongées dans trois verres d’eau différents pour montrer les échanges entre solides et liquides.
« Cette expérience m’a marqué parce qu’elle correspondait à ma formation scientifique, se rappelle le chef. La cuisine, c’est à la fois un artisanat est en même temps quelque chose qui est sous-tendu de connaissances techniques. Ce sont elles qui permettent après, éventuellement, d’extrapoler et de s’exprimer, à condition de savoir ce qui est possible, ce qui ne l’est pas et d’essayer l’impossible si quelque chose n’existe pas. C’est comme ça que je me suis investi en cuisine. »

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Jean-Pierre Poulain, aujourd’hui professeur de sociologie à l’université de Toulouse en charge de la chaire sur les « food studies », se souvient lui aussi très bien de Paul Pairet, élève brillant et « jeune cuisinier qui cherchait un peu sa voie ». Les deux ne se sont d’ailleurs jamais vraiment quittés, le chef revenant dans la Ville rose régulièrement faire le bilan avec son ancien prof.

Dans les années 1980, Toulouse est un haut lieu de réflexion sur les métiers de l’hôtellerie et de la gastronomie. C’est aussi le centre de formation de tous les futurs professeurs des lycées hôteliers. Jean-Pierre Poulain se pose à l’époque plusieurs questions : comment enseigner la cuisine différemment et comment puiser dans les sciences naturelles une meilleure explication des phénomènes culinaires ? « On était dans une logique de réformes. On voulait dépasser le cadre du "montrer comment faire" pour atteindre celui de "pourquoi fait-on ainsi" en montrant les processus scientifiques qui se cachaient derrière les gestes, explique Jean-Pierre Poulain. De plus, si vous passez par les beaux-arts ou le conservatoire, vous allez apprendre l’histoire de votre discipline. Pourquoi pas dans l’enseignement culinaire ? Il fallait ajouter à la technique une dimension culturelle et sociétale. »

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Poulain sent que ses idées prennent chez Pairet. « Cette approche un peu scientifique, on le sent quand des jeunes mordent. Les carottes, c’est simplement pour montrer qu’il y a quatre ou cinq grands phénomènes physico-chimiques et que, quand on les a compris, on n’est plus dans la répétition des gestes. On comprend ce qu’on fait et on comprend ce qu’on pourrait faire », ajoute le professeur. « Il était en avance sur son temps, renchérit Pairet. Ce qui est intéressant, en plus d’apprendre pourquoi on met du sel dans de l’eau pour faire cuire les haricots verts, c’est comprendre qu’il y a justement quelque chose à comprendre. »

Ce bagage en poche, Paul Pairet peaufine sa technique au CEPROC, le Centre européen des professions culinaires, pendant trois années, au gré des interventions des Meilleurs ouvriers de France (MOF) et des profs de pâtisserie ou de charcuterie qu’il croise. Trois années qu’il met à profit, pour étudier et « mettre les choses au point ». Son départ à l’étranger, il le qualifie de circonstanciel. « Je suis parti en Chine parce qu’on ne me laissait pas ouvrir un petit laboratoire de recherche au sein du CEPROC et un chagrin d’amour. Puis, je me suis retrouvé à Hong-Kong un peu par hasard. Je n’ai pas voyagé parce que j’avais le goût du voyage, j’ai eu le goût du voyage en voyageant – explique-t-il, pas loin de l’hommage aux Shadocks.

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« Une fois la recette élaborée, on définit un scénario, ce qui va être fait au niveau de la lumière, du son et de l’odeur pour pouvoir immerger chaque plat dans un contexte qui lui est propre »

Là, il y vit une épiphanie, moment bouleversant pour le jeune cuisinier qu’il est, un repas mémorable de cuisine cantonaise. « Je me suis dit "On nous aurait menti ?". C’est une découverte de techniques et de textures. Je comprends qu’il y a des choses à prendre de partout, qu’il n’y a plus de grandes ou de petites cuisines, qu’il ne faut plus avoir ces certitudes qu’on a parfois quand on quitte la France, persuadé qu’il n’existe rien ailleurs. »

La France, Paul Pairet la quitte aussi parce qu’il sait que le monde de la haute gastronomie y est plus rigide. Que Paris est un jeu de chaises musicales et qu’il lui faut être très patient pour accéder à une cuisine qui lui donnerait les moyens de ses ambitions. Finalement, c’est à Shanghai qu’il trouvera son bonheur. Il ouvre Ultraviolet en 2012, là on lui offre la « liberté de s’exprimer ». « Cette liberté passe par les moyens qui me sont donnés pour travailler. Ici, j’ai tous les ingrédients qu’il faut pour faire la cuisine que je veux. » Il insiste, difficile de parler d’Ultraviolet à quelqu’un qui n’y a jamais mis les pieds. Une expérience multi-sensorielle qu’il décrit articulée autour de plusieurs concepts, le sense of place, (sens du lieu en VF) qui définit le plat et le psycho taste, (goût psychologique, toujours en VF) provoqué entre autres par l’utilisation des diffuseurs d’images et d’odeurs.

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Il prend comme exemple ce homard poché dans de l’eau de mer auquel il apporte un contrepoint de sauce ponzu, une petite mousse qui rappelle l’écume des vagues. Un plat très marin, souvenir d’une cigale pêchée dans les calanques à Marseille puis cuite sur le bateau, servi devant des images de vagues s’écrasant sur les rochers alors qu’une odeur d’iode et d’embruns emplie la salle. « La majorité des plats me ressemblent. Ils sont tous inspirés par une anecdote, une histoire, un voyage. Une fois la recette élaborée, on définit un scénario, ce qui va être fait au niveau de la lumière, du son et de l’odeur pour pouvoir immerger chaque plat dans un contexte qui lui est propre, raconte le chef. C’est quelque chose d’assez primitif. Par exemple, ce homard cuit vapeur et servi dans son bouillon, il suppose une mer rocailleuse et démontée, pas un décor tropical. »

Selon Paul Pairet, le scénario imaginé doit rester évident et donner plus de poids au plat. « Ce n’est pas une couche artistique qu’on applique mais une immersion qu’on cherche à provoquer. L’habillage n’est pas forcément plus important que dans d’autres restaurants. L’idée c’est aussi de concentrer le mangeur sur le plat. Il n’est pas nécessaire d’avoir été à Bali ou de savoir jouer du gamelan pour apprécier le gado gado indonésien qu’on sert sur une sucette de concombre givré avec des cacahuètes. »

On ne va pas se mentir, il y a de fortes chances pour que ni vous, ni moi ne foutions jamais les pieds dans le resto de Paul Pairet – question de budget – mais pendant quelques semaines, on a pu observer le chef cabotiner et dévoiler un peu de sa personnalité de mec sympa. Peut-être s’est-on laissé flouer par sa casquette et son tablier de révolutionnaire sandiniste. « Le parcours de Paul a été un long avant d’arriver à la personnalité professionnelle et artistique qu’il est devenu. Ce n’est pas un autodidacte. S’il a explosé les codes c’est parce qu’il les connaît », reprend Jean-Pierre Poulain qui n’aimerait rien d’autre que voir le chef venir faire une petite démonstration de ses talents à Kuala Lumpur, en Malaisie, à la Taylor's University dans laquelle il a contribué à fonder une école de hôtelière.

Paul Pairet jette, lui, un dernier regard sur le passé : « J’ai fermé trois restaurants avant de pouvoir en garder un et de commencer à me faire connaître. J’ai traversé une longue période de sueur, de travail et d’échecs dans laquelle ma passion pour la cuisine ne s’est jamais démentie. Au final, c’est un champ d’exploration infini qui nous dépasse tous, nous les chefs y compris. »

« La raison fondamentale pour laquelle on fait de la cuisine c’est l’idée de partager ce qu’on aime en espérant que certaines personnes l’aimeront, ce qui voudrait dire que, peut-être, ils nous aiment aussi un petit peu », conclut-il avant de désamorcer dans un sourire. « Bon, là je fais de la psychologie de cuisinier à deux balles mais c’est un peu ça quand même. »

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