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Musique

Hey, le Liban : ce rappeur à barbe n’est pas un terroriste !

L’histoire d’une célébrité de Beyrouth arrêtée pour sa ressemblance avec Action Bronson.

photos : Mélinda Trochu

Depuis fin décembre, les attentats et incidents sécuritaires se multiplient au Liban. Dernier en date : un kamikaze s’est fait exploser lundi 3 février dans un minibus qui devait rejoindre la banlieue sud de Beyrouth (Dahieh), un fief du Hezbollah. La paranoïa gagne du terrain et un rappeur local en a fait les frais. Hussein Sharafeddine aka Double A The Preacherman, 32 ans, [" target="_blank">a été arrêté le 22 janvier dernier](http://<iframe width=) à Dahieh, juste à cause de sa tronche. Sous prétexte que Hussein est costaud et barbu, les policiers du coin, à cran à cause du climat actuel, l’ont l’embarqué sans la moindre raison devant une foule qui immortalisait la scène sur smartphone.

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La veille, le 21 janvier, un attentat suicide revendiqué par le groupe salafiste – et branche la plus répandue d’Al-Qaïda en Syrie – Jabhat Al-Nosra a fait 4 morts dans ce même quartier de Haret Hreik. Un précédent attentat, le 2 janvier, toujours dans la banlieue sud, avait été revendiqué par l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), également affilié à Al-Qaïda. Autant dire que si vous portez une grosse barbe au Liban en ce moment, vous avez de grandes chances d’être suspecté d’appartenir à l’un de ces groupes terroristes.

Malgré une forte mobilisation sur les réseaux sociaux, Hussein, membre du groupe Banana Cognacs, diplômé de psychologie et chargé de communication dans la vie de tous les jours, a été détenu plus de 24 heures par la police libanaise. Il m’a raconté ce qui lui était arrivé dans un café de Beyrouth, en fin de semaine dernière.

VICE : Salut Hussein, qu’est-ce qui s’est passé le 22 janvier ?
Hussein Sharafeddine : Je vis à Saïda, à une heure au sud de Beyrouth mais je viens à Dahieh dès que je peux. Je connais beaucoup de gens là-bas, j’y ai de la famille et des amis, comme partout au Liban. J’avais promis à ma mère d’emmener sa voiture chez le mécanicien. J’étais en train de conduire quand j’ai aperçu deux flics à côté de ma voiture qui me disaient de lever les mains en l’air. Pas d’arrêter la voiture, juste de lever les mains !

OK.
Du coup, j’ai essayé de garer la voiture et l’un des deux flics s’est mis à me frapper à la tête avec son flingue. Le flingue était chargé, il aurait pu me mettre une balle en pleine tête si sa main avait glissé. Je l’ai regardé droit dans les yeux et je lui ai dit : « OK, je me rends. Je ferai tout ce que demanderez. » Mais il s’en foutait. Il voulait juste montrer à ses supérieurs qu’ils avaient attrapé un terroriste.

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J’ai eu plein de problèmes avec les flics. Mais ce n’est pas parce que je leur fais peur qu’ils ont le droit de me buter !

Pourquoi tu leur fais peur ?
Parce que j’ai un look qui fait peur. Je suis un grand mec, j’ai une barbe. Je me rase la tête et j’ai l’apparence d’un mec qui va tuer quelqu’un. Évidemment, quand on me parle deux minutes, on se rend compte que c’est des conneries.

Pendant l’arrestation, quelle a été l’attitude de ces policiers ?
Ils m’ont fait défiler dans la rue pour montrer aux gens qu’ils faisaient du bon boulot. Ils ont arrêté quatre autres mecs de Haret Hreik qui me connaissaient et essayaient de les raisonner.Ensuite ils m’ont insulté, ont insulté ma mère et m’ont frappé. Ils ont bousillé la bagnole – ils l’ont lacérée avec des couteaux ! Dix minutes après, au poste, ils avaient mon identité. Ils s’attendaient à ce que je réagisse comme un gangster, que je sois violent. Mais non. Je voulais juste faire réparer la voiture de ma mère !

Raconte-moi comment ça s’est passé au poste. Ils t’ont relâché ?
Non ! Au bout de dix minutes, un policier a reçu un message sur Whatsapp disant que le Hussein qu’ils venaient d’arrêter allait leur « poser des problèmes ». Ils se sont mis à faire des recherches sur Twitter, Facebook et m’ont demandé qui j’étais. Je leur ai répondu que j’avais beaucoup d’amis. Ils ont vu la mobilisation et ont commencé à s’excuser.

Ensuite, ils ont téléphoné au procureur, qui m’a interdit l’usage du téléphone. Je venais de recevoir des papiers de sortie – je restais tout de même menotté – mais le proc en a décidé autrement parce qu’il a vu que je venais de Saida ; il m’a dit : « Je veux être certain que vous ne recommencerez pas. ». Recommencer quoi ? Tout le monde me connaît au Liban ! Le procureur a tenu à ce que je sois interrogé par la section antiterroriste le lendemain.

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Tu as donc passé la nuit là-bas ? Qu’a dit la section antiterroriste ?
Oui. Au réveil,j’ai passé trente minutes avec la section antiterroriste. Ils se sont encore excusés, prétextant qu’ils devaient suivre la procédure. Ils ont traité leurs collègues d’idiots pour ne pas avoir enquêté un minimum.Ils m’ont demandé de dire aux médias que les policiers étaient vraiment sous-payés, sous-entraînés. Ils se sont excusés platement, disant que j’avais le droit de porter plainte au pénal. Arrêté la veille vers midi, j’ai été relâché le lendemain à 17h.

Tu penses quoi de la police au Liban ?
Pour moi, les flics constituent un vrai gang ici. Ils travaillent dans l’ombre pour des intérêts. Et il y a beaucoup de zones d’ombres au Liban… Ils assurent : « Le seul moyen de contrer le terrorisme c’est de vivre votre vie normalement », mais ils nous harcèlent quand on le fait. Dans mon cas, ils ont présumé que j’étais terroriste juste parce que je porte une barbe…

60% des flics ne sont pas de bons flics. Il y a 40% de bons policiers et les gens pris au milieu ce sont nous, les citoyens. Franchement, je ne blâme pas les terroristes mais les policiers – ils ne savent pas ce qu’ils font. Ils ont réussi à arrêter l’opposé d’un terroriste.

Quelle est l’atmosphère au Liban en ce moment ?
C’est la même depuis 25 ans, mais en plus intense depuis quelque temps. On a ce sentiment de malaise, de manque de sécurité. Dans ma musique, je parle de cette ignorance, de comment les traditions sont en train de tuer notre société. Je parle aussi beaucoup de la police. Je ne sais pas s’ils m’écoutent mais s’ils le faisaient je serais sûrement arrêté plus souvent ! Cette histoire, au final, c’est tellement embarrassant pour le Liban…

Tu te te sens comment aujourd’hui ?
Eh bien, mon père est mort une semaine après cet incident et je suis heureux qu’il n’ait pas eu à m’enterrer. Quand tu sens le flingue d’un policier sur ta tête, qu’il te frappe avec et que tu ne sais pas quand la balle va sortir… C’est flippant.Je n’ai pas mangé pendant six jours après ça. Je viens de lancer une pétition avec plusieurs milliers de personnes pour que l’État rembourse la voiture de ma mère. Et il y a des dizaines d’avocats qui veulent me défendre.