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reportage

J’ai essayé de trouver un premier emploi en France en sept jours

Plein de mails envoyés, quatre rendez-vous, plusieurs faux CV et un job de serveuse à l'arrivée : l'Occident avec un grand NO.

Photo de Philippe Leroyer, via Flickr.

On est à la fin du mois d'août 2016. Il me reste environ une semaine pour assurer ma transition vers l'âge adulte. J'ai 25 ans, je ne suis plus étudiante depuis déjà trois mois et, malgré l'offre généreuse de l'État français, je ne pourrai plus m'assumer financièrement ces prochains mois sans l'équivalent d'un Smic. Je suis une grande fille, et comme toutes les grandes filles, en septembre, fini la chambre étudiante. Je rejoins à mon tour le monde des loyers parisiens exorbitants.

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Depuis début juin, je passe donc mes journées à envoyer des candidatures tous azimuts et à me promener de musée en musée, puisque je ne paye plus l'entrée en tant que personne « à la recherche d'un emploi ». Tous les soirs, je vide ma boîte mail. Dans celle-ci s'entassent de nombreux mails de refus, lesquels se ressemblent plus les uns les autres que les chemises de ma conseillère Pôle Emploi. D'ailleurs, ses idées pour me remonter le moral me laissent chaque jour plus dubitative.

Je suis adulte, ce qui signifie que je sens désormais plus que jamais le fait que je me décompose progressivement en déchet. Après avoir été usagée de l'université, je ne vois pas d'alternative.

« Dis-moi, Mercredi, tu me laisses encaisser ton chèque pour le mois de septembre ? » Le SMS de mon futur colocataire ne pouvait pas mieux tomber. Tandis que je lui assure tranquillement que j'ai « ce qu'il faut sur mon compte », le Seigneur Thune sonne à ma porte dans son costume de Chtulhu. Je réalise brutalement l'extrémité de ma situation : cette fois-ci, va falloir se sortir des pelures de bananes et autres offres désolantes du chômage pour apaiser son courroux. J'ai précisément sept jours pour lui fournir une offrande de 500 euros.

Jour 1

Je me rends, le cœur lourd, sur les lieux de mon ancien boulot étudiant. À l'époque, j'étais serveuse dans un café populaire. Arrivée au tournant de la rue, je repère un des habitués en train de fumer un joint sur la terrasse. Celui-là même qui m'a faite virer pour une remarque de trop sur son sens de l'amabilité très particulière. Je pèse moins de 50 kg et je suis hémophile donc je fais demi-tour aussi sec et je m'assois dans un café pour la connexion Internet.

Par ailleurs, je me dis que mes études étant terminées, j'ai tout intérêt à plutôt chercher un « vrai » travail, c'est-à-dire un emploi cohérent avec les études que j'ai faites et les quelques stages que j'ai entrepris. Dans mon cas, la tâche est rude et demande beaucoup d'endurance, puisque je cherche un emploi dans la culture. L'urgence me pousse à postuler à toutes les offres que j'arrive à trouver sur le site de référence dans mon domaine : ProfilCulture. Aussi, je relance les employeurs qui m'ont donné un premier retour poli. À la fin de la journée, j'obtiens deux rendez-vous pour la semaine.

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Jour 2, 11 heures du matin

J'ai rendez-vous avec un professeur d'université dans un café de la rue de Rivoli. Il dirige une revue bimensuelle sur laquelle il travaille depuis plusieurs années. Il a, je cite, « besoin de tout un tas de monde pour le faire fonctionner », mais malheureusement, il n'a « pas de moyens ». Il me propose un travail bénévole, tandis que l'annonce mentionnait bien précisément un « CDD- Attachée de Presse ». Je le salue bien cordialement et je paie mon café à quatre euros. Je prends la sage décision de réfléchir à mon avenir professionnel et financier dans le domaine de la culture.

Même jour, 19 heures

Après avoir maudit le méchant prof de fac auprès de toutes les personnes capables de supporter mes geignements d'ado outragée, je me suis assise devant la liste des offres de la newsletter Profilculture. Pour une dizaine de stages et autres services civiques, une ou deux offres d'emploi-paye-loyer auxquelles je suis bien loin de correspondre. Faute, soit d'expérience, soit d'un parcours plus technique ou spécifique que j'ai abandonné après ma troisième année de licence professionnelle dans les métiers de la culture. Je ne peux m'empêcher de penser à tous les mails de refus que j'ai reçus, mentionnant pour la plupart la non-adéquation de mon profil au regard des « exigences du poste ».

Situation ontologique qui me pousse à réfléchir au sens de mon existence, en tant qu'être vivant économique. Me retrouver, à 25 ans passés, aussi inexpérimentée sur le plan pratique que technique, serait-ce un coup du sort ? Une réalité très banale en réalité : voilà le cas typique de l'étudiante attardée, un parmi la masse de ceux qui se présentent aux portes de l'emploi, tous avec la même chemise trouée. Combien d'anciens élèves de lettres nuls en sciences, aimant lire et détestant la compétition ? En conséquence, j'ai fait des études intéressantes mais sans grand prestige, j'ai plusieurs expériences dans des univers très variés, trop courtes et éclatées pour que je puisse les faire passer pour de véritables compétences professionnelles. Le cas typique, comme l'explique ce sinistre article du site L'Étudiant.

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Manifestement, l'univers économique dans lequel je vis n'est pas fait pour moi. Il me manque un boulon, une fonctionnalité, ou peut-être aussi la bonne technique pour accéder à des offres plus adaptées. Cette fameuse histoire de « réseau » et d'offres d'emplois cachées que ma conseillère de Pôle Emploi m'avait révélée. Pour la case « Réseau personnel ou professionnel », comprenez : demandez à vos amis pour trouver du travail. Mes amis cherchent tous un job. C'est à peu près tout ce que vous devez savoir.

Toutefois, je harcèle toute la nuit les amis Facebook assez aimables pour me supporter et m'envoyer généreusement des offres glanées sur Internet. Je n'ai pas la force d'y répondre. Pourtant, je prends conscience de la diversité des moyens de trouver un emploi par Internet. Au géant Profilculture s'ajoutent les non moins intéressants Indeed, Asfored, Jobenstock (un site qui dépend de la CAF), et deux groupes Facebook qui réunissent les offres d'emploi les plus dignes d'intérêt dans mon domaine, avec des retours d'expérience. L'un d'entre eux, comporte en guise d'introduction, la phrase suivante : « Je cherche un CDI – et une licorne. »

Je vous laisse méditer sur cette tentative d'autodérision de la part de toute une génération qui rêve de faire un travail qui lui plaît, dans un domaine qui lui plaît, à une époque où c'est impossible.

Jour 3, 9 h 45

Un jeune homme aimable au bout du fil de mon portable Alcatel. Je suis à peine réveillée. Je comprends au bout d'un quart d'heure qu'il ne s'agit pas d'une tentative de vente intempestive mais bel et bien d'un « entretien d'embauche » que j'avais programmé il y a plusieurs semaines et qui, sait-on pourquoi, ne figure pas dans mon agenda électronique Google. Il s'agit de la vente de cours de musique par correspondance, une sorte de call-center amélioré, du temps où je prévoyais encore de trouver « un travail pour l'été ».

Au téléphone avec mon non-futur-patron, je me confonds en excuses et prévois un rendez-vous ultérieur. Il n'a pas l'air très convaincu et moi non plus. Je mets ma plus belle robe et je sors toute la nuit pour oublier.

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En théorie, voici à quoi ressemblera votre vie après avoir chopé un job. Photo de Chris Jagers, via Flickr.

Jour 4

Je n'ai pas eu le temps de rentrer chez moi pour me laver et je porte toujours ma ravissante robe portefeuille à motifs batiks. J'ai rendez-vous avec une compagnie de danse hip-hop, l'un des entretiens programmé le jour 1 (pour ceux qui suivent).

Le type me donne une adresse qui m'amène en bas d'une tour, dans un quartier assez peu rassurant d'une petite ville de banlieue. Au bout de dix minutes après l'horaire du rendez-vous, je me rends compte que je me suis trompée de rue. Le concierge de l'immeuble m'accompagne par la main à la bonne adresse, une annexe de bureau du Parti communiste. Le type a l'air sympa, on échange à propos de danse hip-hop et de Bourdieu. Au bout d'une heure il relit mon CV. Là, il me dit, avec le maximum de gentillesse possible, que j'aurais été « la candidate idéale, il y a cinq ans ». Il me rappellera plus tard pour me donner sa décision finale.

Jour 5

Désespoir. La compagnie de hip-hop ne me prend pas. Je poste une annonce sur Facebook, rapport à ce fameux mystérieux réseau évoqué par la conseillère Pôle Emploi.

Un échec en partie puisque la plupart de mes amis proches ou lointains ont des « problèmes » assez similaires aux miens. Je décide de lâcher un peu mon ordinateur et je décide de fabriquer des faux CV afin de travailler dans la restauration.

Je distribue ces derniers dans des bars cool du côté du canal Saint-Martin, parce que, quitte à me faire agresser, je préfère encore que ce soit à coup de burgers vegan. Je rencontre sur le chemin ma pote Matilda, qui cherche aussi un emploi dans la culture. Elle a vingt ans de plus que moi et quarante fois plus d'expérience. Elle ne trouve pas non plus de licorne, mais pense que je devrais continuer à me former et à réfléchir « plus sérieusement » à mon avenir professionnel.

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Je me rends compte que la notion d'avenir professionnel me terrifie au point que je suis prête à vendre des virgin-mojito plutôt que d'enrichir mon théorique potentiel en reprenant le chemin pénible et mal rémunéré du stage, dans le bois bordélique de la formation. Ou peut-être que je ne crois plus au monde de la formation et des stages, qui sait, puisqu'ils ne me permettent pas plus que ça de me défendre contre l'atroce Seigneur des Thunes. Il prend son bain dans la Seine, non loin de nous.

La salle de concerts Le Point FMR me rappelle pour un essai, le lendemain, tard dans la soirée. Je lance un caillou sur l'eau, je pense que j'ai touché quelque chose.

Jour 6

En journée, je propose toutes les idées de sujets journalistiques qui me passent par la tête à des rédactions plus ou moins proches de mes centres d'intérêt. J'envoie ma candidature à une start-up qui « cherche des éditorialistes ». Je relis trois fois la lettre. Je mange. Je la relis une quatrième fois après l'avoir envoyée. Je me rends compte que j'ai fait une faute d'orthographe et je me dis qu'il ne faut jamais relire ce qui ne peut-être réécrit. Je pleure. Première réponse du site Jobenstock : une proposition de la part d'IKEA pour refaire mon aménagement d'intérieur pour moins de 3 000 euros. Soupirs.

Puis vient le soir, au Point FMR. Tout un tas de gens que j'ai déjà croisés à diverses soirées viennent me commander des trucs impossibles au bar. Mes collègues en plein rush se rendent compte assez vite que je n'ai jamais composé le moindre mojito. En sortant du bar pour prendre ma pause, je perds 10 euros de pourboire. Je pleure. À 00 h 13 minutes, heure de Belzébuth, Chtuhlu gronde à ma porte, mais j'arrive à le calmer avec un bloody mary, double dose de vodka. Maintenant, je sais au moins les faire.

Jour 7

Je fais un autre essai dans un autre café branché du dixième arrondissement. À la fin de la journée, le directeur exécutif ne me dit pas si j'ai bien travaillé ou non, comme je le prévoyais. En équilibre sur son vélo de carbone, le voilà qui me déclare que, de toute façon, c'est un travail « facile » pour lequel « il ne faut pas plus de deux bras et un demi-cerveau ».

Je ne sais pas trop comment analyser cette remarque. Pendant que je servais des cookies sans gluten à des enfants capricieux, j'ai été recontactée par la start-up qui a besoin d'éditorialistes. Je les avertis tout de suite pour la faute. Le Seigneur Chtuhlu me bouffe un bras et m'avertit qu'il « reviendra dans un mois ». Affaire à suivre.