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Hey la France : et si le Brexit était la meilleure nouvelle de l’année ?

Sans surprise, les élites s'affolent lorsque la démocratie rend son verdict.

« Le quoi ? » Voilà la teneur d'un grand nombre de réactions récoltées ce matin alors que je sortais de chez moi aux alentours de 9 heures du matin. Ma question était pourtant assez basique : « Que pensez-vous du Brexit ? » Si l'on évitera de succomber aux charmes de la synecdoque référentielle – genre, micro-trottoir = l'avis du peuple français – on peut tout de même en déduire deux trois choses au sujet du rapport entre une large partie de la population et l'Union européenne.

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Tout d'abord, le ballet des Torquemada habituels de la scène médiatique française – qui répètent à l'envi que quelque chose est pourri au royaume de sa Majesté – en dit beaucoup sur ce qu'est l'UE en 2016. Se moquer de Bernard Henri Lévy est toujours un plaisir, mais sa position traduit parfaitement le jugement de certaines élites à l'encontre de la décision des Britanniques : à savoir, une haine à la vue de l'exercice de la souveraineté par le peuple, haine dissimulée sous un glacis de bonne conscience béotienne par l'intermédiaire de mots tels que « populisme » ou « xénophobie ». À cette haine s'ajoute la surprise, bien réelle : « Mais enfin, l'Europe, c'est la paix ! Pourquoi seraient-ils assez cons pour la quitter ? »

Bernard-Henri Lévy faisant du Bernard-Henri Lévy

Pourtant, si l'on réfléchit deux secondes et que l'on ne se soumet pas aux variations hystériques des marchés financiers, force est de constater que l'Union européenne et ses leaders ont semé les germes du Brexit depuis un grand nombre d'années. Des États-Unis d'Europe défendus par Victor Hugo, il ne reste plus rien, hormis un immense gloubi-boulga institutionnel difficilement compréhensible pour qui n'a pas étudié pendant plusieurs années le fonctionnement des institutions de l'UE. Ce sont d'ailleurs ces gens-là – ceux qui ont passé pas mal d'heures à bûcher sur « la procédure de codécision » – qui me donnent l'impression d'être les plus atterrés par le vote des Britanniques. Ma timeline Facebook – pleine de gens qui ont étudié, comme moi, dans un Institut d'Études Politiques – pullule de commentaires désolés pestant contre une décision allant à l'encontre du sens de l'Histoire, et du bon sens supposé.

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Et je les comprends, ces gens. Quand on n'a rien à craindre de l'avenir, on n'est que peu critique des forces qui nous y conduisent. Comme le précise de manière involontairement incisive Sylvain Courage dans les colonnes de l'Obs, « les gagnants » d'aujourd'hui se foutent des problématiques des culs-terreux qu'ils aimeraient reléguer à hier : « À l'heure de l'humanité connectée, les individus se rattachent à d'autres communautés. Un londonien partage plus de valeurs et de communauté de destin avec un parisien, un milanais, un berlinois ou un new-yorkais qu'avec un agriculteur du Devonshire. Un étudiant de Glasgow préfère rencontrer ses semblables de Séville, Athènes ou Copenhague… » Y a-t-il besoin de préciser que les étudiants et les habitants des centres-villes ne représentent pas la majorité du corps électoral, au grand dam de la plupart des journalistes et des hommes politiques des « partis de gouvernement » ?

Malgré tout, aujourd'hui, l'Union européenne n'est pas morte. Après plus d'un demi-siècle de construction progressive, elle est touchée par une grave crise de légitimité, comme la plupart des régimes politiques du globe qui laissent s'exprimer les opinions divergentes. Cette crise n'a rien d'inéluctable. Les recettes sont connues depuis longtemps, en fait – à savoir abandonner les compétences de l'UE qui s'avèrent peu efficientes sur le terrain ; se recentrer sur les domaines où l'UE est plus à même d'être unanime et de faire entendre sa voix ; accepter l'idée d'une Union à plusieurs vitesses en recourant constamment à la coopération renforcée ; faire du Parlement européen l'organe suprême de l'UE ; ne pas hésiter à se demander si l'euro n'était pas, au fond, une belle idée de merde. Ne manque que la volonté des décideurs politiques d'appliquer tout cela. À ce titre, les élections françaises de 2017, avec la perspective de voir Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon surfer sur le Brexit, permettront peut-être enfin de parler un peu de l'Union européenne, et d'abandonner cette religion de l'économicisme qui gangrène pas mal de pays.

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Au-delà des quelques mesures évoquées plus haut, il serait de bon ton d'envoyer à la retraite un mec comme Jean-Claude Juncker – ancien dirigeant d'un paradis fiscal – capable d'avancer sans coup férir une phrase appelée à devenir le cri de ralliement de tous les détracteurs de l'UE : « Il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens. »

Réformer l'UE passera par une meilleure explication de ce qu'est cette « machine bureaucratique » – qui compte pourtant moins d'employés que la marie de Paris, à titre de comparaison. Reformer l'UE passera, surtout, par le respect des décisions du peuple – qui, après le scandale de 2005, a compris que son avis ne comptait pas s'il allait à l'encontre de celui de ses dirigeants. Un peu comme celui d'un gamin à qui l'on demande ce qu'il veut bouffer, qui répond « des frites », et qui finit par être gavé de brocolis.

En humiliant les peuples à Athènes et à Paris, en confondant populisme et démagogie, en dissimulant des politiques ultralibérales sous l'argument éculé du « There is no alternative », l'Union européenne n'a fait que creuser son propre tombeau. Les anathèmes jetés à la face des extrémistes de tous bords – qui profitent de la médiocrité des élites pour prospérer – n'y changeront rien.

Bossuet écrivait il y a plusieurs siècles la chose suivante : « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu'ils en chérissent les causes. » Autant vous dire qu'en ce vendredi 24 juin, j'en connais Un qui, là-haut, doit rire à ventre déboutonné.

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