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Cartes sur table avec un skinhead guatémaltèque

C'est peut-être le seul truc vrai que la jeunesse anglaise et celle de New York avaient en commun dans les années 1980, outre le fait de se branler sur les clips de Madonna.

C'est peut-être le seul truc vrai que la jeunesse anglaise et celle de New York avaient en commun dans les années 1980, outre le fait de se branler sur les clips de Madonna. C'est la décennie où le mouvement Skinhead a fracassé le visage de la scène musicale underground avant de plonger dans la culture mainstream – putain, même Russel Crowe a joué un skin dans Romper Stomper. De l'East End de Londres jusqu'à Jackson Heights dans le Queens, tous les skins étaient ces kids (blancs pour la plupart) fauchés et frustrés, qui trouvaient leur salut dans la violence d'une subculture née du reggae. Côté américain, les skins formaient un ensemble hétéroclite d'immigrés irlandais et latinos à la fois au carrefour et en marge de l'impact croissant du hip-hop et du hardcore. J'étais au festival TNT dans le Connecticut pour parler d'art avec eux quand j'ai rencontré Irvin et son crew, le B49. Et comme aucun des mecs présents n'avait l'air de penser comme moi que Vincent Van Gogh était le premier skin de l'Histoire ni n'avait la moindre opinion sur la proposition de Mitt Romney visant à supprimer les budgets accordés à l'art, j'ai décidé que boire plein de bières avec ces mecs était la meilleure chose à faire.   VICE : Je peux vous poser quelques questions, pour VICE ?
Irvin : Ouais, en général les skins ne font pas confiance aux médias, mais ton frère a l'air cool donc pourquoi pas. Vous pensez vraiment que je suis une pipe parce que j'ai les cheveux longs ?
Eh, personne n'a dit ça. Pour moi c'est un style bizarre, mais chacun son truc, je ne juge personne ! La plupart du temps, on dépeint la culture skin avec ce double cliché race blanche et nationalisme, or vous vous n'avez l'air ni blancs, ni nationalistes.
Bah, les skinheads sont apparus en Angleterre avec le reggae. L'histoire, on la connait tous. L'explosion planétaire est venue après, avec le punk. Nous on est tous de New York, on est donc très fiers d'avoir apporté un nouveau genre musical au mouvement, le hardcore. La culture skin a bien évolué, elle n'a jamais été aussi diversifiée et multiraciale qu'aujourd'hui. Mais comme dans toute subculture, vous allez y trouver de tout politiquement, y compris les extrêmes. Mon point de vue, c'est qu'avant toute chose on est skinhead ou on ne l'est pas, qu'importe ses opinions. Mais je pense aussi qu'on trouve du racisme partout. On trouve une forme de nationalisme chez tout le monde. Et dans le monde entier : ici, en Californie, en Angleterre, au Brésil, au Japon ou en France, partout on trouve des skins fiers d'être ce qu'ils sont, mais malgré tout, on reste à l'image des clivages de nos sociétés. Quelle est, selon vous, la voix commune à tous les skins ?
C'est d'être pauvre, dans la merde, sans espoir et sans futur. Et de faire ce qu'on doit faire. C'est ça la voix du Oi! OK. Où et comment avez-vous découvert le mouvement skin ?
Dans mon quartier de Jackson Heights, dans le Queens. Jackson Heights était très DMS. Y'avait des Doc Marten Skinheads qui vivaient juste en face de chez moi. J'ai grandi dans un quartier hispanique, donc à la base on était tous à fond dans le hip-hop, dans les trucs de la rue. Après j'ai découvert le metal grâce à un cousin. Quand t'as grandi comme moi dans une famille très catho, vénérer Satan n'est-il pas le meilleur moyen de se rebeller ? J'écoutais Venom, Motörhead, des trucs comme ça. Après j'ai rencontré les skaters de mon quartier, et ils m'ont fait découvrir Black Flag, Circle Jerks, Rest in Pieces, ce qui m'a amené à la scène hardcore de New York et du Lower East Side. Tous ces gars vivaient comme moi, et ils avaient aussi ce côté street. Des gosses de prolo qui se font niquer par les flics, c'est ça le vrai mouvement skin. Et moi j'étais genre « rien à foutre, ce truc c'est moi. Je vendrais mon âme pour ça ». Et voilà. J'aime être skin et je porte fièrement le drapeau depuis. Ça remonte à 1991. Tu disais que tout le monde avait un côté nationaliste.
Ouais. Le nationalisme et le Oi! pour moi, surtout ayant grandi à cette époque, c'était comparable au rap. Putain de Public Enemy, NWA et tout, tu vois ? J'adorais ça, et j'adore encore. Le hardcore à l'époque était une musique plutôt positive, et moi j'étais un mec bien énervé, donc j'écoutais du rap. On essayait juste de retrouver ce truc, ce côté street, ce truc véner qu'il y avait dans le hip-hop. Enfin bon, j'adorais les trucs straight edge. Youth of Today, Bold, Judge. Mais je voulais aussi quelque chose de plus énervé, de plus street. Un jour j'ai volé l'album Dead and Burried de The Oppressed. J'ai entendu le morceau « Victims » et tout a changé. Mon pote et moi on a pris tous nos disques de heavy metal, on les a bousillés au marteau et on a jeté tout ça par la fenêtre du 5e étage. Je n'ai gardé que mon disque des 4 Skins et celui de The Oppressed. On s'est dit, « Nique le reste. Pas de retour en arrière ». Le pire c'est que maintenant j'en pleure, parce que la plupart de ces disques vaudraient putain de cher sur eBay. En tant que skinheads latinos, comment vous-êtes vous imposés dans une scène essentiellement WASP ?
Ouais on était une bande d'hispaniques, ma famille vient du Guatemala, mon pote ici est Sud-Américain et ce mec là-bas est Mexicain. On est tous des putains de latinos. Au début dans la scène hardcore, les latinos étaient mal vus. On se sentait rejetés, donc on s'est mis à écouter toute cette merde RAC, et tous les groupes bonehead venus d'Europe. Pour nous, les Européens avaient le droit de dire aux gens « hors de chez nous » ; et en même temps il n'était pas question de laisser des blancos nous dire la même chose à nous ici. Parce que, même si on est tous hispaniques, on est tous nés ici et on se sent américains de cœur. Certains d'entre nous se sont battus pour ce pays, en Afghanistan ; d'autres ont fait de la prison ou sont encore dans la rue. Tout le quartier de Jackson Heights était taré. On s'embrouillait avec tout le monde : hispaniques, renois, tout le monde. Bien sûr, aujourd'hui on ne trouve que des hipsters. Tout s'est embourgeoisé. Justement, l'embourgeoisement de New York, vous en pensez quoi ?
Mec, je ne suis pas totalement contre. Merde quoi, ça rend le quartier plus sûr. Ma mère vit ici. Et j'ai envie qu'elle puisse sortir le soir et faire ses courses sans se faire emmerder. Donc je suis pour, gros. Vous ne trouvez pas ça ironique que des skinheads américains blancs – surtout ceux de droite – puissent s'identifier à un mouvement anglais issu d'une musique noire, le reggae ?
Politiquement, oui bien sûr. Mais en même temps y'a plein de gars en Europe qui ont repris la langue de la rue, celle du rap. La culture de la rue, c'est la culture de la rue. On s'identifie à une culture, une culture qui n'est pas forcément celle d'un seul pays, et on en reprend les codes. Après c'est aux gens de faire leurs preuves. Un type peut parler comme un gros bouffon, si le gars est capable de tenir son rang au moment voulu, il aura mon respect, tu vois ? Le mec le plus ouf peut très bien ne ressembler à rien, et le plus gros des mammouths peut s'avérer être en réalité la plus grosse des fiottes. L'habit ne fait pas le moine. La politique des États-Unis divise beaucoup ces derniers temps.
Je ne suis pas la politique. Tout ce que je sais c'est qu'un renoi a été élu président et que ça me va. C'est un début de changement. J'ai un casier judiciaire, je n'ai pas le droit de voter et honnêtement, je m'en fous. Je pense que mon vote ne compte pas. D'ailleurs, je pense qu'aucun vote n'a le moindre effet. Pour moi ce sont les connards qui ont du fric qui contrôlent tout. C'est le pognon qui décide et nous on n'en a pas. Si Joe Hawkins se présentait, je voterais pour lui. À part ça, Obama peut aller sucer des bites, Romney peut sucer des bites, tous les deux peuvent aller s'enculer, faire un 69, j'en ai rien à branler. Rien ne changera. Bourre-toi la gueule, nique un bon coup, c'est ça la vie mon pote ! Tu vois ce que je veux dire ? Faut profiter de la vie avant de mourir. Prends soin de ta mère, bois, bastonne-toi, baise, profite de ta vie !