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LE NUMÉRO CLOWN

Qu’est-ce que c’est que ce cirque ?

Vice : Qu’est-ce que tu faisais avant d’être clown ?

Vice : Qu’est-ce que tu faisais avant d’être clown ? Gabooba : Je travaillais comme intérimaire. J’ai été assistant cuisinier. J’ai aussi bossé au Service des jardins de la ville de New York. J’avais gagné un concours de clowns au lycée, ça m’a donné l’idée de m’essayer au stand-up pendant quelques années. La vie est parfois bizarre. Un de mes derniers vrais métiers consistait à booker des réservations pour des clowns et des magiciens. J’étais vendeur de clowns, quoi. Et puis un jour notre meilleur gars a quitté l’agence, des shows étaient déjà prévus et j’ai dû m’y mettre. Des mecs à l’agence m’ont montré les rudiments mais j’avais que trois jours pour être prêt. Après ça, j’ai fait pas mal d’allers-retours entre le monde réel et le clowning, ça va faire 13 ans maintenant et c’est pas fini. En gros, ton boulot consiste à être une machine à faire rire les petits enfants dont les parents ne veulent pas s’occuper. Quels sont les obstacles principaux ? Les DJ’s. Certains DJ’s qui bossent dans cette ville sont vraiment des demeurés. Ils mettent la musique tellement fort que tu te demandes si tu ne vas pas devenir sourd. Et ils passent des trucs tellement dégueulasses, genre le rap le plus hardcore qui existe avec des paroles à faire pleurer Martin Luther King, des paroles carrément pires que n’importe quel truc que Don Imus ait pu dire, et ils sont là pour des fêtes de gamins de 4 ans. La plupart n’ont même pas le hokey pokey (N.D.L.R. : danse pour les gamins très répandue dans les pays anglo-saxons) ou la « Danse des canards », par contre ils vont te passer des trucs interdits en radio. Un autre problème quand tu es clown, c’est que ça tue ta vie sociale. La plupart des gens sont libres le week-end et c’est précisément le moment où tu es le plus occupé. J’ai perdu des copines à cause de ce job. Rompre avec quelqu’un parce qu’il est clown, c’est vraiment injuste. Ouais. Si je trouvais une personne qui en valait la peine, j’arrêterais, mais j’ai pas encore rencontré quelqu’un de fantastique à ce point. Il y a eu cette fille pour qui j’avais des sentiments, mais c’était pas non plus du genre « je t’aime, mon amour ». La première année était vraiment bien parce qu’elle avait ses mardis et ses jeudis de libre, et ce sont mes journées les plus calmes. Mais ensuite elle a eu des horaires normaux. Je revenais à la maison vers 10 heures ou 11 heures et j’étais trop crevé pour faire quoi que ce soit. Un jour, elle m’a dit : « La prochaine fois que quelqu’un me demande de sortir avec lui un samedi, je dirai oui. » Je savais que c’était le début de la fin, mais j’étais pas prêt à laisser tomber le clown. Depuis, on est très bons amis. Je garde son chat en ce moment. Tu penses rester là-dedans pour un bon bout de temps ? Je ferai ça jusqu’à ce que je sois vieux et gris. Mais, peut-être qu’un jour je m’essaierai à l’enseignement. J’ai fait une UV en sciences de l’éducation à la fac et certaines parties de mon numéro sont pédagogiques. Par exemple, j’essaye d’apprendre un peu d’espagnol aux enfants. Je dis des trucs comme conejo, qui veut dire « lapin ». Tu parles espagnol ? Yo hablo un poquito, seulement quand c’est approprié. À un anniversaire je dis feliz cumpleaños à la place de « joyeux anniversaire », mais seulement si les gamins ne parlent pas espagnol. Si c’est chez des Latinos, je le fais pas. Comment tu calmes les gamins quand ils ont peur ? Ça arrive au moins une fois par spectacle. Plus tu mets de maquillage et d’accessoires sur ton visage, plus ils flippent. Parfois je ne mets pas le nez rouge tant qu’ils ne se sont pas habitués à moi. Je dis un truc comme : « Ne dis jamais de mensonge, parce que si tu mens ton nez va grossir, et moi je n’ai jamais menti de toute ma vie… Jamais jamais jamais jamais. » Et je me retourne avec le nez rouge sur le visage. Si un gamin en particulier est vraiment flippé, je lui dis que je ne suis ni démocrate ni républicain, que je suis inscrit comme indépendant, que c’est un système bipartite et que mon vote ne compte pas. Il me regarde comme si j’étais cinglé, et ça le calme. Je sais pas pourquoi. Qu’est-ce qui se passe les jours où tu n’as pas envie de mettre ta perruque et de peindre des papillons sur le visage des enfants ? Une des raisons pour lesquelles je continue, c’est que c’est thérapeutique. Donc les jours sans, je me rappelle pourquoi j’aime ça. J’ai fait quelques dépressions, rien de grave, quelques méchants coups de blues. J’ai jamais pris d’antidépresseurs, juste du café et de l’herbe de la Saint-Jean. Il y a dix ans, mes grands-parents sont morts, j’étais très proche d’eux. Je me suis même demandé si je n’allais pas me trouver un boulot normal, j’étais tellement au fond du trou que j’ai cru que je ne pourrais plus faire le clown. Mais j’ai continué, et faire rire les gosses m’a fait beaucoup de bien. Si je commence à déprimer ou à m’énerver ou quoi, je fais un ou deux spectacles et ça va mieux. Quelle est la soirée la plus bizarre à laquelle tu aies participé ? Un jour, j’ai été engagé pour un enterrement de vie de garçon. Le futur marié était super déçu parce qu’il voulait une strip-teaseuse. J’ai fait des blagues, quelques ballons, et au bout d’à peine dix minutes, ils m’ont pratiquement ordonné de m’asseoir. Juste après, une strip-teaseuse a débarqué. C’était un coup monté. Je dois être le seul clown sur Terre à avoir gagné 100 $ pour regarder une femme se déshabiller. J’ai même eu une lap dance gratuite.

Comment es-tu tombé dans ce métier ? Cappy da Clown : J’allais à la fac à Rochester et j’ai laissé tomber pour devenir acteur à New York. Avant de quitter l’école, j’ai volé un costume de clown dans mon département de théâtre, je me disais que je pourrais faire des trucs marrants avec. Un ami voulait que je fasse le clown pour les 5 ans de sa fille. J’avais pas la moindre idée de ce que je faisais, j’étais juste là à faire le con. Ensuite, j’ai bossé pour un magasin de cartes de vœux. Bref, j’avais un ami qui animait des fêtes pour les gosses pour se faire un peu d’argent. Un de ses shows était un numéro « moitié-moitié » où il était déguisé pendant 30 minutes, puis il faisait le clown le reste de l’heure. Il détestait les déguisements, donc il m’a filé quelques billets pour que je mette un costume en fourrure et que je m’occupe du hokey pokey. Tout ça m’a amené à bosser pour Zack’s Funhouse comme agent de réservations. J’ai commencé en étant Sam le Pirate, quand ils en ont eu besoin pour une fête, et c’est plus ou moins comme ça que je suis tombé dans le clown. Mais ça c’est seulement la moitié de l’histoire, parce qu’une bonne partie de mon numéro vient du temps où j’étais catcheur pro. Est-ce que t’étais un genre de clown catcheur qui faisait fuir les gens avec de l’eau gazeuse après leur avoir fait un frankensteiner ? Non, j’étais Captain America. C’est un thème récurrent dans la plupart des persos que j’ai incarnés, d’une manière ou d’une autre. J’ai collectionné les comics pendant des années et Captain America a toujours été mon préféré. J’ai même un tatouage de lui sur le bras. J’étais surtout manager, mais quand ils avaient besoin de quelqu’un ils me filaient un masque et me mettaient sur le ring. Les gens ont commencé à m’appeler Cap. Je suis devenu photographe, j’ai commencé à vendre des photos et à en filer aux promoteurs et aux catcheurs. Alors je me suis acheté un tampon « Photos by Cap » pour le dos des images. J’ai aussi bossé un certain temps aux Caraïbes et je me suis fait un nom là-bas. Une fois, je suis même allé en République dominicaine pour le titre poids lourds. Tout ça, c’était du mi-temps, quand j’étais greffier. Maintenant tu gagnes ta vie comme clown ? C’est toujours le boulot de greffier qui me fait gagner mon pain. Il me reste exactement 2041 jours avant la retraite, après ça je continuerai à faire le clown. Mais je suis super actif et j’ai créé plein de personnages : Cap’n Dandy, Louis Lo’ser, le Kanarsie Kid et un clown clochard qui s’appelle Mugglesworth « Muggsy » Aloisus McGuirk. Je suis clown depuis bientôt 30 ans et je suis pas près de m’arrêter. Comment est-ce que tu choisis ton costume ? Il y a quelques années, on avait des contrats avec des stades de baseball qui accueillent des petites équipes de New York, les Staten Island Yankees et les Brooklyn Cyclones. En tant que clown, tu ne peux pas vraiment être fan des deux parce qu’ils s’affrontent souvent, donc j’ai commencé à aller aux matchs des Yankees en tant que Cap’n Dandy. Il a une bouche un peu plus sophistiquée et il est un peu plus classique, à la limite du « ne me parlez pas ». À Brooklyn j’étais Cappy. Les gens me voyaient dans mes costumes différents et me demandaient : « T’es pas le type de l’autre stade ? » et je leur répondais : « Non, c’est mon jumeau maléfique de Staten Island, ou c’est mon crétin de frère de Brooklyn. » Donc j’entretenais la rivalité entre les deux. J’ai compris que ça fonctionnait le jour où je peignais le visage d’une petite fille à Staten Island. En voyant nos affiches, elle a demandé : « Eh, c’est lui ? » Sa copine a fait : « Non, c’est son frère de Brooklyn. Ils se ressemblent. » Muggsy ne fait pas ce genre de boulot. D’habitude, quand Muggsy sort, c’est pour la promo du King Henry Show. Est-ce que ton travail de clown est encadré par des règles ? En tout cas, je les suis probablement plus strictement que la plupart de mes collègues. Dans le monde du clown, schématiquement, le clown blanc lance une tarte sur l’Auguste, l’Auguste se baisse et le clochard se prend la tarte. Au début, j’étais un clown blanc, mais c’est devenu lourd d’avoir à mettre tout ce maquillage tout le temps, du coup, comme beaucoup d’autres, je suis devenu un Auguste. En fait, ce que je fais en tant que Cappy est plutôt un Auguste light, mais les règles des différentes organisations de clowns sont assez strictes et, techniquement, si l’on se fie à celles en vigueur, je ne peux pas être un Auguste light si je porte une veste et si je mets des paillettes sur mon visage. Sérieux ? Il y a vraiment des règles de clowns ? Ouais, bien sûr ! Les principales associations organisent des compétitions et publient des règlements chaque année dans leurs magazines. J’appartiens aux deux plus importantes, Clowns of America et la World Clown Association. Mais j’aime pas trop les compétitions, pour moi c’est pas ça. Le clown est là pour s’amuser et aider les autres à s’amuser. Je n’ai pas besoin du jugement de mes pairs. Si les gosses ne rigolent pas, je serai jugé. Que pense ta famille de ta clownitude ? Ils se sont résignés à ce que je sois parti vivre à New York pour être acteur, ils s’attendent à ce que je fasse de la scène. Ils m’ont vu faire des trucs cinglés toute ma vie. Quand t’y as goûté, t’es accro. Il y a un passage de la comédie musicale Applause que je ressors toujours : « Quand j’avais 8 ans, j’étais dans la pièce de théâtre de l’école. Je ne l’oublierai jamais, j’avais une ligne à dire. Quand mon tour est arrivé, j’ai dit  “Héla, mais voici le Prince.” Ma sœur a applaudi. Depuis, je suis mordu ! » Une fois que t’as eu les spotlights dans les yeux, ils te quittent plus.

Vice : Quelle est ton histoire dans le monde des clowns ? Bubbly da Clown : J’ai commencé à 17 ans. Mon frère était à fond dans les tours de magie à l’époque et ça m’intriguait, donc je suis allée chez Zack’s Funhouse pour trouver des tours et rencontrer des magiciens. King Henry est venu me voir et m’a demandé si je voulais essayer. Ils avaient une école de clowns, je me suis inscrite et c’est comme ça que tout a commencé. Au début, je faisais ça à plein-temps, puis j’ai arrêté pour trouver un job dans le monde de l’entreprise, pendant environ huit ans. Et puis j’ai repris en 2005 parce que je me suis rendu compte que c’était ce que j’aimais vraiment faire. Pourquoi tu avais arrêté le clown ? J’ai eu une fille, Destiny, à 17 ans. Je me faisais pas mal d’argent en tant que clown, mais après quelques années, je me suis dit que j’avais besoin d’une assurance santé. J’ai commencé comme secrétaire, puis je suis devenue assistante administrative et j’ai continué de grimper. J’ai fini spécialiste de l’information en réseau. C’était un super bon boulot, mais j’étais pas heureuse. As-tu passé des fêtes cauchemardesques en tant que clown ? Ouais, j’ai eu des sales soirées. Les gosses peuvent être méchants, surtout quand ils essayent de faire rire leurs amis. Une fois, j’ai eu deux gamins de 8 ans qui se sont ligués contre moi, je parlais à une petite fille, ils sont arrivés par-derrière et m’ont arraché ma perruque et mon nez en même temps. Je me suis sentie complètement nue parce qu’ils avaient cassé mon personnage, alors j’ai essayé d’en rire, genre « OK, maintenant vous allez me rendre ça ». Mais les parents s’en fichaient éperdument. C’est vraiment l’horreur quand les parents ne font rien et se foutent de ta gueule, ambiance « mes enfants te maltraitent ! Ha ha ha ! ». C’est rare, mais ça arrive. On a déjà essayé de te draguer alors que tu étais déguisée en clown ? J’essaye d’être la plus androgyne possible. Le problème, c’est pas que je sois mignonne. Je mets des gros pantalons, une perruque, du maquillage, un gros nez rouge et de grosses chaussures. Mais y’a quand même des types qui ont l’air d’aimer ça. Certains mecs demandent : « Vous faites des soirées privées ? » J’essaye d’ignorer la question en déconnant et en leur mettant un coup de pied au cul ou quelque chose dans le genre. Les plus vieux sortent des trucs comme : « Je peux le voir dans tes yeux, t’es mignonne là-dessous. » C’est bizarre. Sinon, quand tu fais un ballon en forme de cœur, il faut le serrer au milieu pour le caler et le faire aller et venir de haut en bas. Et y’a toujours un type pour te dire : « Waouh, tu fais ça vraiment bien. » Comment as-tu trouvé ton nom ? C’était pas compliqué. On m’a dit toute ma vie que j’étais gonflée (bubbly), ça me paraissait logique de l’utiliser. Ton nom doit refléter ta personnalité. Ma fille Destiny vient de se lancer, ça a été un peu plus délicat pour son blaze. Moi, je suis pas un clown très féminin, mais Destiny joue sur le côté prude. Quand elle a commencé, je lui ai dit : « Je sais pas, peut-être que t’as l’air d’un Floopsy da Clown » parce que son perso fait tellement petite fille mimi. Elle trouvait ça mignon mais elle a préféré Oopsy. Je lui ai conseillé : « Tu pourrais être Floopsy et dire des trucs genre “Oopsy, Floopsy did a poopsy” (N.D.L.R. : Oups, Floups a fait un prout). » Finalement elle a préféré Oopsy. Toi et ta fille utilisez toutes deux da dans vos noms, à la place de the. Beaucoup de clowns utilisent da. Moi, je fais ça parce qu’à chaque fois que je participe à une fête, je demande leurs noms aux garçons et aux filles, puis je fais exprès de les mélanger et de faire l’idiote. Et puis je leur dis : « Laissez-moi me présenter, je suis Bubbly daaaaaaaaaa Clown. » J’allonge longtemps le « da ». Ou parfois je leur dis que Bubbly est mon prénom, daaaaaaaaaa mon deuxième prénom et Clown mon nom de famille. Les gosses adorent quand j’allonge le « da ». Est-ce que c’est toi qui as poussé ta fille à devenir clown ? Je l’aurais jamais forcée. Il faut posséder un tempérament d’artiste pour faire ça, tout le monde ne peut pas s’improviser clown. Je savais qu’elle avait ça en elle, elle était juste un peu inquiète pour la personnalité de son personnage. Elle a tendance à être assez calme par moments, rien à voir avec moi pour ça. Elle est plus réservée, mais quand tu la mets dans son costume, laisse tomber. C’est juste tellement différent d’être déguisée, les gens s’approchent de toi, les gamins viennent te voir alors qu’ils ne te connaissent pas. Ils te prennent dans leurs bras et te disent : « Je t’aime. » Elle a du talent, et elle aime ça. Y a-t-il de la compétition dans la communauté des clowns ? Non, parce que dès qu’ils débarquent, ils savent qu’ils sont sur mes plates-bandes… Je rigole. Parfois, les gens s’embrouillent un peu, mais on ne laisse pas ça aller trop loin. Quand je fais un show avec quelqu’un, on se voit avant pour se mettre d’accord. Genre : « Bon qu’est-ce que tu veux faire ? T’es meilleur en ballons ou en peinture sur visage ? » Et on se tient à distance, parce qu’un clown peut facilement voler le show à l’autre. Qu’a dit ton mari quand il a appris que tu étais clown ? Il l’a pas vraiment su au début. Un jour, je voulais être romantique, je lui ai fait un ballon en forme de cœur. Il m’a demandé où j’avais appris ça et je lui ai tout raconté. Quand il m’a vue dans mon costume il a fait : « Waouh. » Je l’ai interrogé : « Ça va ? T’as pas honte de moi loulou ? – C’est génial, il m’a dit. » Ça va faire 14 ans qu’on est ensemble. Je lui vole des bisous, mais on fait gaffe, il faut pas que les gosses voient quelqu’un peloter le clown.