Se saper en fille de dix ans quand on en a 25 : être une « lolita » en 2016

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Se saper en fille de dix ans quand on en a 25 : être une « lolita » en 2016

À la rencontre des meufs qui adorent avoir l'air d'une petite fille.

À peine suis-je entrée dans le bâtiment abritant la convention de London dans l'Ontario que je pars déjà à la recherche des perruques et robes à froufrous ornées de dentelles que portent les femmes que je suis venue rencontrer. Après dix minutes à flâner devant les BD, figurines et tapis de souris, je finis par repérer leur cachette : les toilettes. Des toilettes publiques qui ressemblent plutôt à un stand magique, où une poignée de jeunes femmes vêtues de couleurs pastel discutent, enfilent des tenues élaborées et se maquillent devant un miroir qui couvre toute la largeur du mur.

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Sans doute avez-vous déjà entendu le terme de « lolita ». Celui-ci s'inspire de l'héroïne éponyme de Vladimir Nabokov qui, à l'âge de douze ans, entretient une liaison sexuelle avec son tuteur, un homme de quarante. Quoi qu'il en soit, les lolitas que je rencontre aujourd'hui n'ont rien à voir avec celle du roman. Elles sont plutôt issues d'une sous-culture née au Japon dans les années 1990.

Les lolitas sont souvent comparées à des poupées de porcelaine, mais leur style est bien plus nuancé. Leur mode – elles n'utilisent pas le mot de « costume » – est influencée par les époques victorienne et édouardienne, et se décline en trois variantes : sweet, gothic et classic. Ses adeptes sont prêtes à débourser des milliers de dollars pour importer des robes depuis l'Asie. La mode lolita est l'objet d'une véritable passion et, dans ce cadre, nombre de communautés ont proliféré dans la société occidentale. C'est notamment le cas du Southern Ontario Lolitas, un groupe qui compte plus de 500 membres, et du London Ontario Lolitas, un groupe plus réduit dont je rencontre les membres aujourd'hui.

Et non, ce n'est pas sexuel. En fait, c'est même tout le contraire.

Oasis (à gauche) et Jenna (à droite)

Alors que je me faufile dans un coin derrière le dernier lavabo – dépitée par la banalité de mes vêtements de ville –, j'installe mon dictaphone sur une poubelle et laisse les lolitas exprimer leurs doléances quant aux idées fausses qui gangrènent leur communauté.

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« Le nom du mouvement est vraiment mal choisi – les Japonaises pensaient, à tort, que ce mot était mignon, girly et féminin », m'explique une lolita nommée Oasis (son vrai nom) alors qu'elle examine sa tenue dans le miroir : une robe vert pastel incrustée de roses accompagnée d'un panier rempli de fausses fleurs.

« Souvent, des gens nous disent que nous alimentons la pédophilie », déclare Shalane en retouchant son kimono. « Ils viennent, soulèvent notre jupe et demandent ce qu'il y a dessous. »

L'étrange sexualisation des lolitas ne pourrait s'éloigner davantage de la réalité. Elles préfèrent, si possible, que leur tenue ne laisse pas apparaître leurs genoux. D'ailleurs, l'une des devises les plus connues dans la communauté est « Modest is hottest » (la discrétion est plus sexy). Quoi qu'il en soit, les lolitas comme Oasis et Shalane ont l'habitude d'attirer l'attention, notamment celle d'inconnus dans la rue qui n'hésitent pas à les suivre et à les photographier.

Si certaines lolitas – appelées les « lifestyle » lolitas – arborent leurs adorables tenues au quotidien, mes interlocutrices, quant à elles, ne les sortent que pour les occasions spéciales – comme les sorties à l'aquarium ou les dîners dans un restaurant de sushis. Aujourd'hui, elles se préparent pour un défilé.

Valentina (à gauche) et Enith (à droite)

Les filles retouchent leur look final devant le miroir des toilettes, se frayent un chemin à travers la convention et entrent dans les coulisses.

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C'est là que je croise Enith, une étudiante venue tout droit du Panama. Elle m'explique ce qui l'attire dans cette mode. « Quand j'enfile ma tenue de lolita, je le fais pour moi-même : pour me sentir féminine, élégante. Nous vivons dans une société où la mode pour femme a pour seul but de plaire aux hommes ; c'est vraiment triste. » Enith me montre sa tenue – une robe rayée marron et crème avec des bas bordeaux – et m'explique en détail le choix de chaque pièce, avant d'aller se mettre en rang pour le défilé.

Une fois que Meagan, l'une des fondatrices du groupe London Ontario Lolita, a appelé toutes les lolitas sur scène, je l'aborde derrière le rideau afin qu'elle m'en dise un peu plus sur les origines du groupe.

Meagan (à gauche) et Heather (à droite)

« Mon amie Sophia a contribué à créer cette communauté [à la fac] il y a cinq ans… Je suis l'une des premières à avoir été entraînée dans cette mode et j'ai aidé à faire [du groupe] ce qu'il est aujourd'hui. Quiconque rejoint notre communauté fait partie de la famille ; nous faisons toujours attention les unes aux autres et traitons tout le monde avec le plus grand respect. » Meagan, âgée de 20 ans, ajoute que le groupe est kid-friendly, puisque certains de ses membres sont de jeunes mamans.

Malgré l'apparente bonne humeur qui règne dans le groupe, il leur est arrivé d'avoir de sérieux ennuis. Suite à un incident lors d'une sortie à l'aquarium de Toronto, elles ont dû bannir une nouvelle membre, coupable d'avoir proféré des insultes racistes à l'encontre d'un agent de sécurité noir.

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« Elle était à deux doigts de se faire arrêter, poursuit Meagan. Je sais qu'elle avait des problèmes de santé mentale, et j'ai eu une conversation avec elle juste après. Je lui ai expliqué qu'elle était plus qu'encouragée à porter la mode lolita mais que dans la communauté nous ne pouvions laisser un tel incident se produire. »

Si la communauté possède une politique stricte pour ce qui est d'éviter les drames, la méchanceté gratuite envers certaines tenues peut parfois diviser les membres. Meagan et d'autres administratrices sont chargées de régler les conflits qui surviennent dans leur groupe Facebook d'environ 60 membres. Victoria, présente dans la communauté depuis près de trois ans, fait souvent office de médiatrice.

« En général, ça se passe bien, mais si le problème ne peut être résolu, nous leur demandons de rester un minimum courtoises l'une envers l'autre », dit-elle. Malgré ces conflits occasionnels, beaucoup de femmes nouent des amitiés solides. Malheureusement, en dehors du groupe, il arrive que les membres soient victimes de harcèlement en ligne.

Milky Swan

Milky Swan, lolita et enseignante de 28 ans, m'accueille dans son appartement de London afin de me montrer son impressionnante collection de robes et accessoires. Cette dernière est située dans une chambre immaculée occupée par son oiseau de compagnie et le PC de son petit ami. Nous nous asseyons pour discuter du harcèlement en ligne dont elle a été victime.

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« Beaucoup de lolitas [en dehors de notre communauté] peuvent être vraiment méchantes sur Internet », m'explique Milky, tandis que son chat se blottit contre nous. Elle mentionne Behind the Bows, un forum sur lequel des lolitas humilient d'autres lolitas sous couvert d'anonymat. Traiter quelqu'un de « ita » – le terme des lolitas pour « novice » – est commun, mais elle affirme avoir vu bien pire.

Mais ce fameux vendredi soir, juste avant 20 heures, alors que la grande majorité des filles du coin s'apprêtent à sortir en boîte, les lolitas de London se réunissent à l'occasion de leur Comic-con local pour boire le thé. Ici, les dames – et même quelques hommes, ou « brolitas », comme on les appelle – échangent, grignotent des sandwichs et des macarons roses. Tous passeront les deux prochaines heures assis à des tables rondes couvertes de nappes blanches à colorier des poupées de papier, bavarder et rire sur fond de J-pop.

Après avoir partagé le quotidien des lolitas de l'Ontario, j'ai emmagasiné assez de kawaii pour toute une vie et suis prête à rentrer chez moi. Mais alors que le photographe et moi-mêle sommes sur le point de partir, Victoria nous rattrape : « Vous devez absolument revenir, la prochaine fois nous allons vous habiller ! »

Suivez Allison Tierney sur Twitter. Le reste des photos de Hayley Stewart sur son site.