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Il y a 900 ans, la Lune a mystérieusement disparu

Les scientifiques pensent enfin avoir trouvé une explication.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
Château Caudilla, Espagne
Château Caudilla, Espagne. Image: vpogarcia 

Il y a près d’un millénaire, un observateur anglais a été le témoin d’un étrange phénomène. Alors que le ciel était dégagé et étoilé, la Lune a tout simplement disparu. « Durant la cinquième nuit du mois de mai, sa lumière diminua petit à petit jusqu’à ce que, quand la nuit arriva, elle eût complètement disparu sans qu’aucune lueur ni sphère ni rien du tout ne fût visible. Cela continua ainsi jusqu’à l’aube et alors elle apparut pleine et brillante », peut-on lire dans la Chronique de Peterborough, un manuscrit qui relate l’histoire de l’Angleterre.

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Pour tenter de comprendre ce qui a pu se passer, des chercheurs ont analysé des données issues des cernes d’arbres, des carottes glaciaires et des archives historiques. Dans un article récemment paru dans la revue Scientific Reports, ils suggèrent que des éruptions volcaniques majeures et
« oubliées », survenues entre 1108 et 1110, pourraient être à l’origine de cet obscurcissement. Le coupable serait le mont Asama au Japon. « J'ai de la chance de pouvoir travailler avec de vieux arbres, des textes anciens et des données issues des carottes de glace, expose Sébastien Guillet, auteur principal de l'étude et paléoclimatologue à l'université de Genève. J'ai l'impression de voyager dans le temps. »

Et du temps, il en faut pour étudier les sources historiques de l'Europe du XIIe siècle, dont la plupart sont en latin. « Il nous arrive de passer des journées entières à parcourir des textes médiévaux sans trouver quoi que ce soit de pertinent sur les conditions climatiques de l’époque, poursuit Sébastien Guillet. Il faut beaucoup de patience. »

Heureusement, les efforts ont fini par payer. Comme le soulignent les auteurs de l’étude, les « éclipses lunaires les plus totales » enregistrées depuis 1600 « sont toutes liées à des éruptions volcaniques majeures, et la Chronique de Peterborough est le compte rendu le plus détaillé que nous ayons de celles survenues entre 500 et 1800 ». « Nous avons rapidement fait le lien entre l'éclipse de 1110 et les volcans, poursuit Sébastien Guillet. Ce mystérieux événement a longtemps attiré l'attention des astronomes, et nous connaissions son existence bien avant de commencer à travailler sur les éruptions de 1108-1110. »

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Ils ont ensuite analysé les archives extraites des carottes glaciaires du Groenland et de l'Antarctique, qui sont des mines d'informations précieuses sur les phénomènes climatiques passés, et notamment sur les éruptions volcaniques, qui peuvent émettre des poussières et des aérosols partout à travers le monde.

Les pics de sulfates détectés aux environs de 1110, année où l'éclipse s'est produite, indiquent que de larges éruptions ont eu lieu à cette époque. Et comparé aux événements volcaniques connus, celui-ci est le septième le plus important en termes de quantité de soufre rejeté dans l'atmosphère.

Pour étayer leurs observations, les chercheurs ont étudié des cernes d’arbres datant de la même période. Les cernes, dont la croissance est conditionnée par le climat, suggérant que l'année 1109 a été particulièrement froide et pluvieuse en Europe, une anomalie climatique potentiellement causée ou exacerbée par les effets d'une éruption volcanique.

Et les récits historiques le confirment. En Irlande, « les gens jeûnèrent et firent des offrandes à Dieu pour chasser la pluie et le mauvais temps, en été comme en automne », lit-on dans le manuscrit Annals of Inisfallen. En France, la Chronique de Morigny rapporte que « la grave famine a ainsi tué beaucoup de gens et réduit un nombre incalculable de riches à la pauvreté ». La Chronique de Peterborough, de son côté, fait mention d’une année 1110 « absolument désastreuse » en Angleterre.

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Tout pointe vers le mont Asama, un volcan encore actif au Japon et dont l’éruption catastrophique en 1108 a été documentée dans le journal Chūyūki par l’homme d'État Fujiwara no Munetada.

Bien entendu, de plus amples recherches sont nécessaires pour retracer et confirmer l'origine de ce voile de poussière dans la stratosphère, ainsi que des éruptions qui ont contribué à cette « année désastreuse » de famines et de cieux noirs flippants. « Nous pensons que le mont Asama, au Japon, a contribué au dépôt de soufre au Groenland, mais cette hypothèse doit encore être confirmée, précise Sébastien Guillet. Il y a beaucoup de traces d’éruptions dans les carottes de glaces, et la plupart n'ont jamais été étudiées en détail. Il reste encore beaucoup de travail à faire pour comprendre l'impact de ces éruptions sur le climat et les sociétés dans le passé. »

Quoi qu’il en soit, cette étude nous rappelle une fois de plus que notre planète et ses civilisations sont profondément interconnectées. Une catastrophe naturelle dans un coin du monde peut plonger des communautés à des milliers de kilomètres dans le chaos, et peut même faire « disparaître » la Lune par une belle nuit étoilée.

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