Danser effet santé mentale club coronavirus
Photo : Elena Majecki 
Culture

L’interdiction de danser nuit à notre santé (mentale)

Danser régulièrement diminue les risques de démence de 76 %. Faudrait peut-être en tenir compte lors du prochain Conseil de sécurité ?
Arkasha Keysers
Antwerp, BE

Avant la pandémie, j’avais l’habitude de sortir tous les week-ends, dans un bar ou en club. Non seulement pour voir mes potes, boire des coups et me changer les idées après une grosse semaine de boulot, mais aussi et surtout, pour danser. Le sentiment que j’éprouve sur un dancefloor en club est difficile à décrire. Tu peux être entourée de centaines de gens, et pourtant, c’est comme s’il n’y avait que toi et la musique. Les gens qui me connaissent savent que je quitte rarement mon spot devant le dj, et que je ne suis pas du genre à taper la discute pendant une soirée.

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Quoi qu'il en soit, danser n'est plus autorisé maintenant. Les clubs sont tous fermés. Par contre, ça ne veut pas dire qu’on ne peut plus du tout y danser. J'ai fait des recherches sur l'importance de la danse pour notre santé mentale et physique, et je suis aussi allée au C12 pour une session un peu particulière.

« Pas de danse lors des mariages », « La danse est interdite », « Aucune perspective pour les boîtes de nuit » ; le Conseil de sécurité ne s'est pas fait tendre pour les amoureux·ses des corps en mouvement, ni pour notre santé mentale d’ailleurs. Pourtant, selon diverses études, de tous les sports, le plus sain reste la danse.

« La danse est reliée aux centres émotionnels de votre cerveau », explique au Telegraph le Dr. Peter Lovatt, psychologue de la danse à l'université du Hertfordshire. « Pour beaucoup de gens, la danse est un exutoire émotionnel – elle libère souvent de la joie pure, mais aussi de la tristesse. La danse est une catharsis, un lâcher prise de ce qui est foutu. »

« Quand vous dansez, vous laissez votre corps libre, loin de toute cette rigidité, de ces normes et de ces structures. »

« C'est pour ça que les gens vont en club le week-end », explique au téléphone Pedro Gutierrez. Pedro est danse-thérapeute à Barcelone. « Les enfants, par exemple, jouent, chantent et dansent. Et la société le permet. Mais en vieillissant, cette spontanéité s'estompe et on devient plus rigides. Quand vous dansez, vous retrouvez cette dynamique. Vous laissez votre corps libre, loin de toute cette rigidité, de ces normes et de ces structures. »

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La thérapie par la danse

Contre quoi se battent les personnes qui viennent à ses cours ? « L'anxiété n’a jamais été aussi omniprésente », dit Pedro. « Tout est incertain, personne ne sait ce qui va se passer. Nos structures et nos habitudes s'effondrent à cause du Covid et on commence à avoir peur. À travers la thérapie par la danse, on apprend à respirer calmement, on établit un lien avec les autres et on s’enfonce dans notre propre corps. La musique crée un espace sacré dans lequel on permet à notre corps de bouger et dans lequel on se laisse aller. »

Des bienfaits, il y en a d’autres. Des chercheur·ses de l'Université de York et de Sheffield ont fait écouter de la musique pendant cinq minutes à un groupe de personnes. Ces personnes pouvaient alors choisir entre l’écouter assis·es, en faisant du vélo ou en dansant. À l’étape suivante, chacun·e était invité·e à effectuer quelques tâches cognitives. Parmi tous ces gens, ceux qui avaient choisi de danser avaient une capacité nettement plus élevée à résoudre les problèmes après avoir dansé qu'avant. Leur niveau de bien-être avait augmenté et ils était plus aussi plus créatifs.

Danser régulièrement diminue les risques de démence de 76 %

La danse permet en fait à notre cerveau d'établir de nouvelles connexions neuronales qui aident à soigner les blessures et les maladies. Et les prévenir aussi. Une étude menée au Albert Einstein College of Medicine de New York a comparé l'influence que pouvaient avoir un certain nombre d'activités physiques telles que la marche, la natation, le vélo et la danse sur la démence. Résultat ? La danse est la plus bénéfique. Le fait de danser régulièrement réduit le risque de démence de 76 %.

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Langage corporel

Selon le Dr. Lovatt, ce qui rend la danse encore plus intéressante, c’est la dimension sociale que ça implique : « Il a été scientifiquement prouvé que la danse favorise le lien social. La synchronisation qui se produit lorsque les gens dansent ensemble sur un même rythme est un moyen puissant d'établir une connexion. De plus, les contacts physiques induisent des endorphines et réduisent le cortisol, l'hormone du stress, ce qui nous rend également plus heureux·se. »

« La synchronisation qui se produit lorsque les gens dansent ensemble sur un même rythme est un moyen puissant d'établir une connexion. De plus, les contacts physiques induisent des endorphines et réduisent le cortisol, l'hormone du stress, ce qui nous rend également plus heureux·se. »

« Habituellement, les participant·es établissent un contact physique pendant mes cours », explique Pedro. « Mais maintenant que tout le monde porte un masque, le contact se fait avec leurs yeux. On danse ensemble, mais à distance. Et parce qu’on coordonne les mouvements, on échange encore de l'énergie. »

Danser avec quelqu’un, c'est comme une conversation. Avec mon ex, j'ai construit tout un dialogue sur la piste, avant même qu’on n’échange un seul mot. Mais faire la connaissance d'un·e bel·le inconnu·e en club n’est pas une option en ce moment. En période de Covid, on doit faire attention à ne pas passer tout notre temps assis·e derrière un écran, et à ne pas perdre le contact avec notre corps non plus.

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Chair dancing

Les clubs ont fermé, mais beaucoup tentent de se réinventer. À Gand, le Kompass Klub organise des « Bubble raves » lors desquelles vous pouvez assister au set d'une icône genre Adam Beyer tout en restant assis·e à une table avec votre bulle. Qui aurait cru qu’on paierait pour un événement techno où il faut rester le cul sur une chaise ?

« Dans le monde occidental, on passe notre vie sur des chaises, c’est absurde », déclare la danseuse et coach bruxelloise Shelbatra Jashari, également appelée Shelly lorsqu’elle performe. « Et depuis la crise du Covid, on doit plus que jamais rester assis·e. » Avec ses cours de Chair Dancing, Jashari donne à ces chaises une nouvelle fonction. Le mardi soir, elle prend le contrôle du C11, la plus petite salle du club C12, à Bruxelles. « La chaise c’est votre partenaire de danse, mais elle vous permet aussi de garder vos distances avec les autres participant·es tout en partageant la même énergie. »

« On est attaché·es au C12. Grâce aux cours, on peut encore y danser. »

Ce soir, les paroles de Lovatt, Pedro et Jashari prennent vie. Douze chaises sont installées dans la salle qui baigne dans une lumière rouge. L'une d’elles sera la mienne. Selon Zoë-Louise, dont ce n’est pas le premier cours, la plupart des personnes qui s'inscrivent sont des habitué·es du club. « On est attaché·es au C12. Grâce au cours, on peut encore y danser. »

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Les participant·es prennent place un·e par un·e. Sur les notes de « Wildest Moments » de Jessie Ware, Jashari rend les mouvements lents et sensuels. On agite nos jambes en l'air, les dépose sur le dossier de la chaise pour se laisser tomber la tête à l’envers sur le siège. Pas évident. La chaise reste un objet rigide autour duquel on doit essayer de balancer notre corps de la manière la plus élégante possible, ce qui demande beaucoup de force et de souplesse – et suscite un peu de maladresse. Mais à mesure que le cours progresse, on prend de plus en plus confiance en nous. On plaisante, on rit, on ressent une connexion. C'est donc ça, l'endorphine.

Je ne peux m’empêcher d'imaginer les membres du Conseil de sécurité se tordant autour de leur chaise pendant leurs réunions. Comment iels se sentent après avoir pris toutes leurs décisions ? Accablé·es ? Coupables ? Fier·es ? Je leur souhaite de passer un petit moment au C12 après une journée bien chargée à Bruxelles. Histoire de remuer un peu tout ça.

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