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Un traité va créer une immense zone de libre-échange en Afrique « du Caire jusqu’à Cape Town »

Les 26 pays signataires — de l’Égypte à l’Afrique du Sud — devraient signer le traité ce mercredi. Il s’agit d’une étape vers l’établissement d’un projet qui pourrait changer l'économie de tout le continent.
Pierre Longeray
Paris, FR
Photo by Themba Hadebe/AP

Un traité de libre-échange entre 26 pays d'Afrique orientale — de l'Égypte à l'Afrique du Sud en passant par le Kenya — doit être signé, ce mercredi, par les chefs de gouvernement réunis sur les bords de la Mer Rouge, dans la station balnéaire égyptienne de Charm el-Cheikh,. La signature de la « Tripartite Free Trade Area » (TFTA) met fin à 5 ans de longues négociations et doit encore être ratifiée par les parlements des 26 pays concernés, une formalité selon le ministre égyptien de l'Industrie et du Commerce, Mounir Fakhri Adel Nour.

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« Il s'agit d'une étape importante, » selon Jean-Joseph Boillot, Conseiller au Club du CEPII (Centre de recherche français dans le domaine de l'économie internationale), contacté par VICE News, ce mardi après-midi. « Cet accord permet de réconcilier le rêve d'une union panafricaine, né dans les années 1960, et les intérêts économiques des entreprises qui voient qu'un marché africain existe. » Ce marché est cependant, aujourd'hui, « balkanisé » selon le spécialiste — les barrières douanières et commerciales ne facilitant pas le commerce intracontinental.

L'accord, qui devrait être mis en place en 2017, permet de réunir trois blocs de pays préexistants : le Marché commun des États d'Afrique australe et de l'Est (Comesa), la Communauté d'Afrique de l'Est (EAC) et la Communauté de développement d'Afrique australe (SADC). La zone couverte par le nouvel accord rassemble 625 millions d'habitants et constitue un PIB de 900 milliards d'euros — ce qui représente 51 pour cent du PIB global du continent africain. Les trois communautés (Comesa, EAC et SADC) prendront à tour de rôle le leadership de la nouvelle union.

Le nouvel attelage peut être qualifié d'hétérogène, faisant cohabiter et collaborer des pays à des niveaux de développement très différents. L'Égypte et l'Afrique du Sud, signataires du traité, sont deux nations parmi les plus développées du continent. Le Nigéria — le pays africain le plus peuplé et avec le plus haut PIB — ne fait, quant à lui, pas partie de l'accord. Des pays comme le Kenya, l'Éthiopie ou l'Angola — jugés comme des économies dynamiques à fort potentiel — ont choisi de rejoindre la Tripartite, à côté desquels on retrouve notamment le Burundi (deuxième sur la liste des pays les plus pauvres du monde) ou Madagascar (5ème au classement).

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« Selon la théorie du libre-échange, il y a des échanges quand il y a des différences, » rappelle Boillot, quant à l'hétérogénéité du nouveau bloc. Pour le spécialiste, il y existe beaucoup de « complémentarité » entre les pays africains signataires, « cette hétérogénéité est un bon atout. » Selon Boillot, ce sont surtout les « petits pays spécialisés, comme le Rwanda par exemple » qui ont le plus à gagner de ce type d'accord, plutôt que les grands pays.

Cet accord, qui court du Caire au Cap, doit permettre de faciliter les échanges commerciaux entre les pays signataires. La plupart des pays d'Afrique souffrent de « l'épaisseur » de leurs frontières — comprendre qu'il est difficile de faire rentrer ou sortir des marchandises. Par exemple, le magazine Jeune Afrique note que 8 documents de douanes sont nécessaires, en moyenne, en Afrique contre 4 en Europe. Cette paperasse administrative ralentit immanquablement le flux des échanges. La radio RFI rapporte qu'il faut, en moyenne, 1 mois pour dédouaner des marchandises contre 10 jours en Europe.

Dans un premier temps, le nouvel accord permettra de baisser de 65 pour cent les frais douaniers entre les 26 pays concernés, pour arriver à une baisse de 85 pour cent dans les 3 ans, selon un membre du gouvernement égyptien.

Les démarches administratives compliquées doublées des frais élevés de douanes, n'encouragent pas le développement des échanges intracontinentaux. Aujourd'hui, seulement 12 pour cent des échanges sur le continent se font entre pays d'Afrique. En comparaison, le taux monte à 55 pour cent en Asie et jusqu'à 70 pour cent en Europe. Le président kényan, dont le pays fait partie de la nouvelle TFTA, déclarait qu' « Il ne peut pas y avoir de bonne raison à ce que nous commercions plus facilement avec l'Asie, l'Europe et les Amériques plutôt qu'avec nos semblables africains. »

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Si la TFTA doit permettre d'encourager les échanges entre les pays africains, il va aussi « stimuler l'intérêt de l'Asie pour le continent [africain] » pour Jean-Joseph Boillot, auteur de l'ouvrage Chindiafrique (Éditions Odile Jacob) — qui explore les relations commerciales entre les deux géants africains et l'Afrique. « Des compagnies comme le chinois Huawei ou l'indien Godrej (spécialisé dans les biens de consommations) se plaignaient de ces marchés balkanisés, » selon le spécialiste.

Pour le ministre égyptien de l'Industrie et du Commerce, Adel Nour, cet accord est un « pas en avant monumental » vers la réalisation du « rêve du continent africain, le rêve d'un marché unique. » Selon l'Union Africaine, l'adoption de la TFTA pourrait faire progresser le commerce intracontinental de 25 pour cent sur la prochaine décennie.

Si seulement 26 des 54 pays que compte l'Afrique sont concernés par le nouvel accord, l'objectif à long terme est de constituer une zone de libre-échange africaine, la CFTA (Continental Free Trade Agreement), qui couvrira tout le continent. Alors qu'une partie de l'establishment africain se trouve à Charm el-Cheikh, nombre de représentants sont présents depuis dimanche 7 juin, à Johannesburg en Afrique du Sud, pour le sommet de l'Union africaine (UA). Ce sommet, qui court jusqu'au 15 juin, donne le coup d'envoi de négociations qui vont durer deux ans pour s'entendre sur la CFTA.

Pour Jean-Joseph Boillot, l'établissement d'une zone de libre-échange généralisée sur le continent africain devrait prendre encore 10 à 15 ans. « Entre les grandes lignes d'un accord et la mise en oeuvre du libre-échange, vont se dresser les politiques commerciales des différents pays qui vont notamment mettre en place des barrières non-tarifaires — comme c'est encore le cas en Europe. »

Suivez Pierre Longeray sur Twitter @PLongeray