Pere Noel et des enfants qui pleurent

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Culture

Le guide des disques de Noël pour les gens qui n'aiment vraiment pas Noël

Trap, déluges de noise et complaintes suicidaires : tout ce qu'il faut pour mettre une sale ambiance le 24 au soir.
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR

La tradition du disque de Noël est un truc tellement rincé qu’il ne reste plus guère aujourd’hui aux artistes que l’angle ironique et méta (ces deux portes de l’enfer de la pop moderne) pour s’y attaquer. Il y a cependant une époque où cette tradition était parfaitement ancrée dans les mœurs musicales, jusque dans les années 60 environ, après quoi la norme a été de chier copieusement sur cette tradition, comme on dit merde au Père Noël une fois passé l’âge canonique de sept ans. Durant les années 90-2000 les mecs chiants de l’indie rock (qui d’autre ?) ont bien tenté de raviver la flamme des chansons de Noël, avec des résultats plus ou moins heureux - pour un Julian Casablancas calamiteux, les Flaming Lips étaient là pour redresser la barre. On a également vu les rappeurs U.S se coller à l’exercice, avec Gucci Mane pour fêter son retour triomphant l’an dernier, ou plus récemment XXXTentacion et sa mixtape de l’enfer. Entre tout ça, on a surtout vu pendant près d’un demi-siècle, des disques à côté de la plaque, à la lisière de l’expérimentation et de la franche rigolade, mal foutus et souvent géniaux, qui en disent finalement pas mal sur la manière de concevoir un disque à travers les époques.

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Paul McCartney - Christmas Disc (inédit, 1965)

Pendant des années, le débat anglais/américain dans le rock des années 60 est le genre de tannée qu'on a dû se fader dans la presse spécialisée « de niche », un peu comme les déjeuners dominicaux en famille pendant la période des fêtes, si vous voyez où je veux en venir. Comme si, depuis la British Invasion, les Américains s’étaient sentis dépossédés de quelque chose, de leur héritage, de ce truc très Oncle Sam des « racines », de l’Americana et de la guitare en bois qui crépite au coin de la cheminée - alors qu’à la base ce sont plutôt eux les colons et les pilleurs, mais bon passons.

Quoiqu’il en soit, cette incompréhension mutuelle a donné des allers-retours assez passionnants entre les deux tenants de la musique populaire occidentale de la deuxième moitié du vingtième siècle. Par exemple, en croyant qu’on leur avait piqué leur blues à eux en plus de le trahir (c’est fou comme ces gens peuvent être nombrilistes), les Américains se sont mis en tête de reprendre le pouvoir et de répondre aux Rolling Stones, Yardbirds et compagnie, en donnant leur propre avis sur la question - ce qui a donné par la suite les géniales compilations Nuggets, Pebbles et Back From The Grave. Dans le sens inverse, les Anglais se sont par la suite sentis floués par la techno de Detroit, laquelle leur aurait piqué toute leur identité européenne, à laquelle ils ont répondu en inventant la rave culture, etc, etc…

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Tout ça pour dire qu’on voit déjà cet échange plus ou moins amical dès les années 60 dans la manière qu’ont les deux entités d’aborder la tarte à la crème de l’album de Noël. Si l’école américaine prend l’exercice au pied de la lettre, façon mercantilisme total assumé, guirlandes dans les cheveux et zigouigouis farcis sous le sapin, les Anglais, eux, ont déjà ce truc de distanciation et de relecture du genre un peu flinguée. En témoigne cette mixtape de Paul McCartney sortie en 1965 et éditée alors à trois exemplaires (les vinyles de mauvaise qualité se seraient littéralement désintégrés depuis - mais on a retrouvé une cassette très récemment) à destination de ses quatre potes les plus fameux. On y entend des nursery rhymes, des sketches absurdes et des morceaux expérimentaux à base de tape loops, et même un morceau des rivaux américains des Beach Boys (qui, eux, voient évidemment l’exercice de l’album de Noël de manière beaucoup plus traditionaliste et premier degré). En bon rassembleur qu'il a toujours voulu être (mais qu’il n’a pas trop été au final, on rappelle que c'est lui le premier qui s'est barré des Beatles), l’ami Macca a voulu tout mettre dans ce cadeau farci comme une dinde mal dégrossie. C’est quand même une bonne occasion de découvrir le visage le plus aventureux de celui qui a été longtemps considéré comme le plus mièvre et timoré des Beatles. Un peu injuste lorsqu’on voit qu’il s’est adonné à l’expérimentation pendant une bonne partie de sa carrière, avec des résultats plus ou moins heureux certes.

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V/A - A Christmas Record (Ze Records, 1981)

Forcément, quand on dit chansons de Noël (et Noël en général), on se doute que c’est le genre de truc qui va mettre en rogne tous les indécrottables punks de ce monde. La cible est facile, et hyper évidente : qui n’a pas envie de conchier cette fête de dalleux pourrie jusqu’à la moelle, ou, comme le dit si bien ce génie de Bill Burr quand il est à New-York pendant les fêtes, « de scier l’immense sapin de la 5e avenue puis de l’observer lentement s’écraser sur la foule tandis que je marche dessus ». Il y a cette tentation très punk de faire l’exact opposé de tout ça, cette tradition de la confrontation qui fait que la relecture sataniste n’est jamais bien loin non plus, bien qu’un peu facile aussi.

À l’image du bien-nommé "Christmas With Satan" de James Chance/James White, son medley jingle bells déconstruit et dissonant avec son sax qu’il torture comme un cochon, morceau qui apparait sur la version reloaded d’une compilation de Ze Records en 2004. Originellement publié en 1981, A Christmas Record réunit le roster de l’épatant label disco difforme new-yorkais d’alors, et, à part sur le morceau suscité, il prend une tangente assez intéressante en déjouant pas mal nos attentes. À la face hostile à tout à laquelle on pourrait s’attendre de prime abord, le disque rassemble étrangement certains des morceaux les plus troublants et poignants écrits sur Noël. En premier lieu, « This Lord » et surtout « No More Christmas Blues » d’Alan Vega, où la beauté macabre, désincarnée et superbement ambiguë (est-ce une chanson sur le suicide ou sur la spiritualité ?) du crooner déviant est la plus éclatante. Comme si la petite fille aux allumettes revenait d’entre les morts brûler un dernier cierge.

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Crass - Merry Crassmas (Crass Records, 1981)

J'ai l’impression que Crass n’a jamais sonné aussi américain que sur leur disque de Noël - ce qui n’est pas totalement aberrant quand on réfléchit deux minutes d’où vient ce foutu concept. À mi-chemin entre les Fuzztones, Nervous Gender et toute la clique californienne des tarés synth et post punk de l’époque (Chrome en tête), Merry Crassmas n’est pas tant une prise sur le genre du disque de Noël qu’une joviale expérimentation, enregistrée uniquement à base de synthés et d'une boite à rythme de fortune. Le groupe de Penny Rimbaud n’a jamais vraiment sonné comme ça sur disque, ce qui place cette petite chose au moins un cran au-dessus de la simple curiosité.

V/A - The Christmas Album (Sony, 1996)

La pochette de cette compilation me fait assez penser à ce vieil épisode de South Park où des animaux magiques de la forêt en apparence tout ce qu’il y a de plus « magique » et de « Noël » se mettent à s’enculer dans une mare de sang après avoir trucidé leurs congénères, puis essaient de ramener l’Antéchrist sur Terre. Dessus, des cadeaux et un Père Noël en pain d’épice annoncent un disque de Noël plutôt classique – on se demande même s’il n’y a pas une combine caritative derrière pour en venir aux nécessiteux. Mais à l’intérieur, c’est, disons, un autre délire : les plus gros tarés de la noise music des années 90 (et Jim O'Rourke, alors dans tous les bons coups) reprennent des standards de Noël et leur mettent le plus possible la tête et la croix à l’envers. Ce qu’on se dit d’abord, c’est que c’est incroyable que ce disque soit sorti chez Sony. Puis, comme pour beaucoup de musique bruitiste, une fois passées la sidération et la décharge sonore post-apocalyptique, ça devient, osons le mot, vraiment trippant. À l’image de Merzbow et sa vision si particulière de « Douce Nuit » : le morceau commence comme une complainte satanique « basique », puis va finir sa course dans un déluge industriel massacré à la tronçonneuse qui vous fera recracher à coup sûr la grosse dinde du réveillon par plus d’un orifice.

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Gucci Mane - The Return Of East Atlanta Santa (Atlantic, 2016)

Pour un mec qui s'est tatoué une glace sur la joue, le fait de revisiter le concept de l'album de Noël en 2016 n'est pas si surprenant. Ce qu’il y a de plus surprenant par contre, c’est que le disque de Noël de Gucci Mane ne possède pas une once d'ironie. Mais c'est de bonne guerre : après une carrière en dents de scie, une décennie de paranoïa puis une renaissance inespérée, celui qu'on a pris à tort pour un idiot congénital pendant des années a bien le droit de se faire plaisir avec un gros sucre d'orge bien mérité.

Cerise sur le ghetto : la vidéo de NPR pour sa série des Tiny Desk Concerts, dans laquelle Guwop, tout sourire en compagnie de son fidèle producteur aux faux airs de pianiste de bar Zaytoven, interprète des morceaux juste avant les fêtes. Le geste est même assez émouvant pour qu'on se dise qu’on tient là un vrai, beau, authentique conte de Noël, garanti cette fois sans sarcasme ni second degré.

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