Vince Staples en a ras-le-cul de toutes ces conneries (et nous aussi)

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Vince Staples en a ras-le-cul de toutes ces conneries (et nous aussi)

Le dernier morceau du rappeur de Long Beach se mord tellement la queue qu'il nous en dit autant sur la déconfiture de l'industrie musicale que sur la merditude du journalisme qui l'accompagne.
Marc-Aurèle Baly
Paris, FR

La semaine dernière, Vince Staples postait une vidéo sur la plateforme participative gofundme, dans laquelle il proposait de « fermer sa gueule pour toujours » contre la bagatelle d'une somme de deux millions de dollars. Cette « offre » en forme de cagnotte arrivait, on se doute, suite à la réception en demi-teinte (c’est peu de le dire) de son album précédent Big Fish Theory de l'année dernière, et plus généralement des critiques formulées à son égard concernant son virage hip-hop de club. Dans la vidéo, Staples mentionne avec l'humour et le second degré qui le caractérisent « les beats de jeux vidéos de robot » que lui reprochent ses fans, puis précise qu'avec la thune éventuellement récoltée, il irait s'acheter une baraque à Palmsdale, mettre au soin ses homies en prison en leur offrant de quoi se sustenter pendant un an, s'acheter un chiot, une bagnole, bref, se mettre au vert et nous laisser tranquille.

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Visiblement saoulé par tant d'acharnement, mais également un petit peu plus malin que les autres (c'est en partie pour ça qu'il est connu), Vince Staples a donc décidé de jouer le truc en sa faveur, et de faire un petite vidéo promo pour à la fois mettre les mauvaises langues de son côté et annoncer son nouveau single. Car oui, bande de malins, c'était évidemment encore pour nous vendre quelque chose, soit « Get The Fuck Off My Dick », nouveau morceau dudit monsieur publié dans la foulée.

Ce titre est intéressant pour plusieurs raisons : déjà, Staples retrouve DJ Dahi, producteur déjà aux manettes de l’album Summertime ’06, ce qui veut dire que le rappeur a en partie abandonné les « beats de robot » de Big Fish Theory, qui, on peut le dire maintenant, était un bel album de merde. Mais surtout, on peut voir que Vince Staples n’est absolument pas dupe de la petite cuisine médiatique d’aujourd’hui qui fait justement que médiatisation, marketing et musique marchent désormais main dans la main et se court-circuitent les uns les autres.

Lui qui a été intronisé rappeur plus célèbre pour ses interviews que pour sa musique, lui qui a relativisé sur l'importance du rap des années 90 ou sur le freestyle d'Eminem contre Trump (soit deux points de vue tout à fait défendables, mesurés et justifiés, mais l'Internet ne retient bien souvent que les saillies sans le suc qu'il y a dedans, ma bonne dame) veut désormais qu’on lui lâche la grappe avec toutes ces conneries mais les inclut pourtant dans sa musique. Pire, elles font désormais partie de sa moelle épinière même, ce qui donne l'étrange impression que Vince Staples nous montre qu'il est en train de se noyer, qu'il en a parfaitement conscience, et qu'il n'en a plus rien à foutre. Dans « Get The Fuck Off My Dick », Staples fustige des médias comme NPR et XXL qui posent les mêmes questions, les VMAs et les Grammys qui le snobent, et se justifie presque de sa musique avec des phrases comme « avant-garde with this shit, get your jaws off my dick ». C’est cool tout ce truc d’autoréflexivité, tout le monde fait ça aujourd’hui, mais lorsque tu n'as plus rien d'autre qu'une posture pour vendre ta petite salade mais qu’en plus tu t’en désoles, qu’est-ce que tu fais, si ce n’est te mordre la queue et espérer qu’elle change de couleur ? C’est un peu ce qu’il se passe ici : à force d’étouffement, de bullshit et de problématiques extra-musicales, Vince Staples a de plus en plus l’air de ne plus tenir dans ce costume de mec à qui on ne la fait pas qu’il n’a de toute évidence plus envie d’endosser. Regardez la vidéo si vous n’êtes pas convaincus : sous ses airs malicieux, Vince Staples n’a ni plus moins envie que de se tirer une balle (mais si, tout est dans le regard).

Mais à vrai dire, tout le monde est dans le même bateau (médias, labels, disquaires, promoteurs, « influenceurs », accolez-y les pires qualificatifs possibles et ça marchera quand même), nous qui jouons tous ensemble à ce petit jeu pour exister alors même que l'on est parfaitement conscient que ça ne fait pas autre chose que de rendre tout le monde de plus en plus stupide. Comme si on ne savait/voulait plus faire autre chose que de donner la baballe pour que quelqu'un écoute notre musique ou lise nos articles, lesquels prennent le risque de ne plus rien dire du tout – ou de tous tirer dans la même direction, ce qui revient au même. Car à force de carottes et de klaxons, d'exclus en mondovision avec 45 médias à la fois et de musique-gadget, de questions-réponses binaires et d'interviews pour simplets, de communiqués de presse et de harpons tellement élaborés qu'ils se substituent même à la musique et la manière d'en parler, on ne se trouverait-y donc pas avec un gloubi-boulga informe et sans queue ni tête, tout heureux qu'on est tous de baigner dans un océan de merditude auto-satisfaite ? Je ne tire aucune conclusion apocalyptique, hein, je pose juste une question.

C'est fou ça, on en oublierait presque que c'est le premier morceau de Vince Staples qui défonce depuis longtemps, tiens.