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Mexique

Une petite histoire du « panga », le bateau préféré des narcotrafiquants mexicains

Les pangas sont bon marché, faciles à construire, légers, rapides, et passent inaperçus dans la région de la Basse-Californie.
Photo par le Sergent Marc Hammill du bureau du shérif du comté de Santa Barbara.

Le matin du 16 février 2015, Eric Bjorklund, un plongeur professionnel, a fait une drôle de découverte. Alors qu'il cherchait des oursins dans les eaux de San Miguel Island (Californie), Bjorklund est tombé sur la poupe d'un bateau abandonné et presque entièrement submergé, accompagné de deux moteurs de hors-bord. Le plongeur de 61 ans s'est dit qu'il pouvait récupérer le bateau et le revendre à un bon prix.

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Mais cela n'était pas n'importe quel bateau : le navire d'une dizaine de mètres était un « panga », un type d'embarcation qui serait utilisée par le cartel de Sinaloa pour faire rentrer de la drogue aux États-Unis. Après avoir passé près d'une heure et demie à écoper le bateau et à le ramener sur la terre ferme, Bjorklund et son assistant ont été accueillis par des policiers armés de fusils, se rappelle-t-il.

Depuis quelques années, les « pangas » sont de plus en plus utilisés pour faire rentrer de la drogue en Californie. Pour certains officiers de la DEA (l'agence antidrogue américaine), ces embarcations prouvent que la répression et les saisies de drogue à la frontière ont un impact, forçant les cartels à passer par l'océan. Mais l'usage répété de ces bateaux montre aussi que les méthodes du cartel n'ont pas beaucoup changé depuis la capture du boss du cartel, Joaquin « El Chapo » Guzman, en 2014 (avant qu'il ne s'échappe et se fasse à nouveau attraper en 2016).

Si la contrebande par voie maritime présente divers risques, les « pangas » semblent être devenus le moyen de transport préférentiel des trafiquants en tout genre – qu'ils soient ou non liés aux cartels. En comparaison avec les « picudas » (des bateaux rapides utilisés par les trafiquants dans les Caraïbes), les pangas sont peu chers, faciles à construire, légers, rapides, et passent inaperçus dans la région de la Basse-Californie. Les gardes-côtes disent que ces deux types d'embarcations sont des bateaux de « go-fast », ce qui laisse entendre qu'ils ne sont pas particulièrement sûrs.

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« La plupart des drogues sont encore transportées dans des véhicules qui franchissent la frontière avec de petites quantités, » explique un agent de la DEA, par le biais d'un porte-parole. « C'est très risqué de transporter de la drogue en haute mer. »

Mais les pangas semblent avoir encore de beaux jours devant eux, alors que le cartel de Sinaloa est embarqué dans une guerre de territoire avec le Cartel de Jalisco Nuevo Generacion (CJNG). Le 19 mai, un panga de 10 mètres a été trouvé près de Refugio State Beach dans le comté de Santa Barbara. Cinq ballots de marijuana ont été retrouvés dans les fourrées alentours, a indiqué le bureau du shérif du comté de Santa Barbara.

L'inventeur du panga, Mac Shroyer, a expliqué à VICE avoir commencé à construire ces bateaux au début des années 1970, quand un nouveau service de ferrys et la construction d'une autoroute de 1 600 kilomètres de long reliant la péninsule au continent, ont facilité l'export de poissons. Aujourd'hui âgé de 82 ans et originaire de Barrigton (Illinois), Shroyer dirige encore une marina avec sa femme et son fils, à La Paz au Mexique.

Shroyer a commencé à construire des pangas en bois de 8 mètres de long, avant de passer à la fibre de verre. Construire un bateau de ce type est « assez facile », selon lui. Il faut former la coque grâce à un moule, en ajoutant plusieurs couches de fibre de verre et de résine, puis il suffit de le peindre. C'est un travail fatigant, ajoute Shroyer, mais il est possible de construire plusieurs bateaux à partir du même moule, et le procédé n'a pas beaucoup évolué depuis sa création.

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« Les bateaux étaient construits grâce à un système de moules très performant, les employés étaient très vite formés pour les construire, » se rappelle Shroyer.

La forme du panga, « en V », permettait de le modifier facilement, et la résistance du bateau permettait aux pêcheurs de transporter des quantités énormes de poissons, d'après Shroyer. Ils sont aussi très bon marché : Shroyer estime qu'ils coûtent entre 10 000 et 15 000 dollars. Ces bateaux se sont si vite répandus, que Shroyer pense qu'ils sont sans doute en partie responsables de la surpêche le long des côtes de la Basse-Californie.

De plus gros pangas sont apparus au fil des années. Ces bateaux pouvaient alors supporter des moteurs de hors-bord de 125 chevaux. Puis, les cartels semblent avoir adopté ce type d'embarcations. Les habitants du bord de mer ont commencé à en voir de plus en plus dans la mer de Cortez (Californie), alors que les voitures et camions chargés de drogue attendaient de passer la frontière.

La légèreté et la forme du panga permettent de débarquer rapidement sur une plage exposée pour déposer la marchandise, indique Shroyer. Et leur prix défiant toute concurrence permet de les abandonner en cas de pépin.

Les bateaux sont considérés comme dangereux par les locaux. En décembre 2012, un panga est rentré dans un bateau des gardes-côtes, tuant le Premier-maître Terrell Horne III. Et ils sont aussi très compliqués à repérer dans une zone de transit plusieurs millions de kilomètres carrés. Parfois les bateaux sont recouverts de bâches pour éviter d'être repérés. « L'immensité de la zone à couvrir fait qu'il est très difficile d'arrêter des trafiquants, » explique le Lieutenant Max Franco, un porte-parole du Onzième district des Gardes-côtes, qui s'occupe des eaux californiennes. « Vous pouvez mettre tous les États-Unis dans les eaux du Pacifique est. »

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Depuis l'épisode tragique de décembre 2012, on trouve parfois des pangas sur des plages de Californie, particulièrement dans le comté de Santa Barbara, où on a recensé 30 incidents en 2013, d'après des statistiques du bureau du shérif.

Les découvertes de pangas sont plus rares depuis 2013, mais on en trouve de temps à autre sur la côte, un peu plus au nord, dans les comtés de San Luis Obispo et Monterey. En juillet et en septembre 2013, deux pangas qui transportaient de la marijuana, ont été saisis par le bureau du shérif de Santa Cruz, d'après un rapport.

Si le nombre de bateaux saisis a diminué, les quantités de marchandise transportées restent substantielles.

Des statistiques des gardes-côtes recensent 13 cas de pangas (dont sept interceptions) pour la dernière année fiscale. En tout, ce sont plus de 10 tonnes de marijuana qui ont été saisies sur ces embarcations. La valeur marchande de la weed saisie est estimée à 20,7 millions de dollars.

Un « super panga » de plus de 15 mètres a été trouvé en 2012 par un crabier près de Tajiguas Beach dans le comté de Santa Barbara. Tout laisse à croire qu'il appartenait au cartel de Sinaloa. Des enquêteurs du Département de la Sécurité intérieure ont étudié les numéros de série des quatre moteurs du bateau, ce qui les a menés vers Marcel Quintero, un homme soupçonné d'être en lien avec le cartel, selon des documents juridiques.

La présence de GPS, d'emballages alimentaires, de documents écrits en espagnol et de réservoirs pleins sont autant d'indices qui permettent de dire qu'un panga sert au trafic, d'après le Sergent Marc Hammill, de la police de du comté de Santa Barbara. Une fois à terre, les conducteurs de pangas rencontrent parfois des membres des gangs locaux, qui aident à écouler la marchandise, indique Hammill.

« On met la main sur de grosses livraisons, » dit Hammill. « C'est devenu le standard. »


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