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Drogue

Le jour où j’ai appris que mon fils était accro à l’héroïne

Une mère raconte comment elle s’est retrouvée au milieu de l’épidémie d’opioïdes et du système de traitement corrompu en Floride.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
Lesha Cuttaia et son fils Frankie Holmes
Photo de gauche : capture d'écran de Lesha Cuttaia via VICELAND. Photo de droite : Frankie Holmes par Mike Beyer

Il y a dix-huit ans, Lesha Cuttaia a reçu un appel de son fils, Frankie Holmes. « Il voulait savoir si je pouvais aller le chercher », raconte Cuttaia, qui se fait appeler Mama Dukes. « Je pensais que c'était un problème de fille, parce que lui et moi sommes très proches. » Au lieu de cela, son fils a largué une bombe : il avait un problème d'héroïne et avait besoin d'aide.

« Nous nous sommes arrêtés dans neuf hôpitaux différents sur le chemin du retour, poursuit-elle. La dépendance aux opiacés n’était pas une épidémie à cette époque. On nous a dit qu’il pouvait arrêter s’il le voulait, il suffisait de lui donner de l’Imodium et de l’enfermer dans une chambre – des réponses des plus absurdes. Maintenant, j’ai un fils qui va en désintoxication et dont je ne sais rien. »

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Très vite, Cuttaia a quitté son poste dans une concession automobile pour se lancer dans le social afin d'aider ceux qui, comme son fils, sont coincés dans ce qu'elle appelle la « roue du hamster » de la désintoxication. Aujourd’hui, ils vivent tous les deux dans le sud de la Floride, une sorte de ground zéro de l’industrie de traitement contre les opiacés. Un endroit où les gens vont pour devenir clean, mais où ils finissent souvent dans la rue à cause d’une assurance périmée ou d’un manque de places dans les centres. Le duo mère-fils s’est associé pour créer son propre groupe de militants, la Fuck Heroin Foundation, afin d’aider les personnes dans le besoin sans se montrer hostiles et sans faire la guerre contre la drogue. Ce qui a commencé comme un groupe Facebook est devenu un refuge pour des familles comme les leurs.

Aujourd'hui, le fils de Cuttaia, Frankie, participe à l'émission VICELAND, Dopesick Nation, une série documentaire sur la crise des opioïdes et l'industrie du traitement dans leur région. Pour en savoir plus sur son combat personnel, j’ai discuté avec lui de l’épidémie croissante, des scandales de corruption au sein de l’industrie de la désintoxication et de la meilleure manière de soutenir des proches toxicomanes.

VICE : Selon vous, quels sont les plus gros problèmes auxquels font face les toxicomanes ?
Lesha Cuttaia : La stigmatisation sociale est l’un des problèmes les plus importants car, outre le combat qu’ils mènent pour se débarrasser de la stigmatisation de la dépendance, il existe en eux un conflit interne. Si vous n’assistez pas aux AA, alors vous n'êtes pas clean. Si vous prenez du Suboxone ou du Vivitrol, alors vous n’êtes pas clean. Selon moi, c’est justement cette stigmatisation qui entraîne des rechutes si fréquentes. C’est une bataille quotidienne et continue. C’est difficile pour les autres de comprendre cela. Très souvent, la famille et les proches se disent : « Ils ont été soignés, ça veut dire qu’ils sont guéris. » Ils ne se rendent pas compte que c’est un combat de tous les jours. L’envie de consommer ne disparaît jamais, contrairement à ce que les gens pensent.

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Il y a eu beaucoup de scandale dans l'industrie du traitement. Qu'avez-vous appris à ce sujet lorsque vous avez travaillé avec Frankie ?
Quand j'ai déménagé en Floride, je croyais que quiconque aide les gens le fait par passion. Je pensais que tout le monde avait de bonnes intentions et le faisait pour les bonnes raisons. Malheureusement, j’ai vite déchanté. Je me suis rendu compte que bon nombre des personnes impliquées dans l'industrie étaient des escrocs et que leurs centres étaient de véritables moulins à pilules. Au-delà de ça, j'ai vu beaucoup de personnes qui, au début, étaient bien intentionnées, avant de voir l'argent qui pourrait être gagné. Au fil des années, nous nous sommes éloignés de beaucoup d’endroits de ce type après avoir constaté la cupidité qui y régnait. Les escrocs venaient à des réunions, distribuaient leurs cartes de visite et essayaient d'attirer des enfants dans leur propre centre de traitement de la toxicomanie. Le tout était entièrement commercialisé.

Les familles pensent que leurs proches suivent un traitement et qu’ils se débrouillent vraiment bien. Les propriétaires ou gérants de ces centres n’hésitent pas à mentir : « Oui, votre enfant va très bien », alors même que la famille ne sait même pas où l’enfant se trouve. Ou bien les centres facturent encore la famille alors même que l’enfant a laissé tomber le programme il y a plusieurs jours. Mais heureusement, il y a encore beaucoup de bons endroits. Il suffit de poser les bonnes questions avant d’envoyer vos proches quelque part.

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« Ils doivent se séparer. Lorsque les patients deviennent clean, doivent-ils payer un loyer ? Une vie sobre est censée vous aider à adapter vos compétences sociales et à revenir à la vie quotidienne »

Quelles questions, par exemple ?
L’une des plus importantes est le rapport entre le nombre de psychothérapeutes et de patients. À quelle fréquence le patient verra-t-il le psychothérapeute ? Certains ne le rencontrent qu'une fois par mois. Un bon ratio est de cinq fois par mois. À quoi vont servir les groupes ? Quels sujets vont-ils aborder ? Le trouble de stress post-traumatique ? L’automutilation ? Le trouble de l'alimentation ? Quels sont les problèmes sous-jacents de la toxicomanie ? Les psychothérapeutes sont-ils équipés pour faire face à tous les problèmes rencontrés ?

Surtout, la famille est-elle invitée à participer à tout cela ? Des sessions familiales ont-elles lieu ? Le psychothérapeute est-il disposé à inclure la famille lors des séances ? Autorisent-ils les couples ? Parce que je n’ai jamais vu un bon endroit qui permette aux couples de vivre ensemble. Ils doivent se séparer. Lorsque les patients deviennent clean, doivent-ils payer un loyer ? Une vie sobre est censée vous aider à adapter vos compétences sociales et à revenir à la vie quotidienne. Si vous ne payez pas de loyer pour rester là-bas et que vous n'êtes pas prêt à trouver un emploi, apprendre à bien gérer vos obligations et à payer les factures, quand vous allez revenir à la réalité, vous allez tomber de haut. Ce sont des questions importantes qui, à mon avis, méritent d’être posées.

Les mentalités autour de la crise des opiacés ont-elles changé au cours des dernières années ?
Les gens se rendent bien compte de ce qui se passe. Je ne pense pas qu'il y ait vraiment quelqu'un qui n'ait pas été influencé d'une manière ou d'une autre – qu'il connaisse une personne ou un proche qui a été impliquée dans tout cela. Je pense que les personnes âgées de 50 à 70 ans se posent beaucoup plus de questions et veulent en savoir plus à ce sujet, mais je pense aussi qu’il y a beaucoup d'attention négative.

Quel conseil donneriez-vous aux parents qui découvrent que leur enfant est aux prises avec une dépendance ?
N’essayez pas de comprendre ce que vous avez mal fait, car ce n’est probablement pas de votre faute. Cessez de vous inquiéter et essayez d'être aussi ouvert que possible avec votre enfant. Ne le jugez pas. Essayez d’obtenir le plus d’informations possible sur le sujet afin de comprendre ce qu’il traverse vraiment. Lorsque votre enfant vous promet qu’il va arrêter en vous regardant dans les yeux, et qu’il reprend de la drogue 12 heures après, cela ne veut pas dire qu’il ne pensait pas ce qu’il vous a dit.

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