Tinder repas maison
Illustration d'Adam Waito

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Food

RIP le rencard à domicile autour d'un bon petit plat

La culture du « swipe » ? La peur des interactions IRL ? Pourquoi on a tant de mal à inviter un « match » à bouffer chez soi.

Au printemps dernier, Rosimar Nieves a commencé une conversation numérique avec un type sur Bumble. L’échange a démarré de la même manière que la plupart des conversations sur ces applis de rencontres : le mec swipe à droite, la nana brise la glace puis le mec demande quel genre de trucs la nana kiffe.

Nieves, 28 ans, a dit à son interlocuteur qu’elle aimait profiter de la scène artistique et culturelle de Chattanooga, dans le Tennessee, et qu’elle adorait faire la cuisine. Préparer des bons petits plats pour sa famille et ses potes est une manière de leur montrer son affection.

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Cette confession a, semble-t-il, attiré l’attention du type. Ça serait chouette que leur premier date se fasse autour d’un repas qu’elle aurait gentiment cuisiné. Quand est-ce qu’elle pense pouvoir le faire ? Nieves se souvient : « Il était très suggestif et demandait presque à venir chez moi pour que je lui fasse à bouffer. »

Voyant venir le loup, Nieves propose une première rencontre autour d'un café. En guise de réponse, le type supprime son contact. Cette course à la rencontre physique aux dépens de la « connexion émotionnelle » est un aspect de la drague en ligne qui rend Nieves pour le moins méfiante quant aux intentions des gens qu'elle croise.

Nieves aimerait avoir un de ces rencards où l’on profite d’un petit plat fait maison, mais elle a peur que tout ne soit qu’un plan machiavélique pour fourrer. Pourquoi irait-elle dévoiler l’intimité de son cocon, son domicile et ses passions à un coup d'un soir qui s’empressera de disparaître juste après ?

Les célibataires sont-ils en train de sacrifier l’intimité inhérente au fait de préparer un repas ensemble sur l'autel de la baise ?

« Quand je fais la cuisine pour ou avec quelqu’un, je partage une expérience qui me permet d’être moi-même parce que j’aime vraiment ça », raconte Nieves. « C’est un moment où je dévoile une partie de ma personnalité. »

Préparer la cuisine pour une autre personne implique forcément de dévoiler quelques facettes de son intimité – voire quelques failles plus si affinité. Vous allez forcément mettre en avant vos préférences et montrer comment vous communiquez et vous vous comportez sous pression. Même votre vaisselle et votre électroménager peuvent être l’objet d’un jugement silencieux.

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Mais comme on l’entend souvent, et à juste titre, dans les conseils de psychologie les plus élémentaires, le chemin le plus direct vers le cœur d’une personne passe souvent par son estomac.

Des études ont souligné que faire la cuisine à la maison aide les gens à établir des liens sociaux et, dans certaines circonstances (quand on a suffisamment de temps pour préparer un repas dans un environnement familier et sous contrôle), faire la cuisine peut être une activité des plus apaisantes.

Une autre étude révèle que le fait d’offrir de la nourriture est un moyen de dissiper les émotions négatives de la personne qui les reçoit, et que « l’utilisation de nourriture dans une stratégie de soutien augmente la proximité entre les personnes. »

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La plupart des rencontres Tinder se font dans des bars et des cafés — pas dans la cuisine d'un inconnu qui vous prépare des spaghettis bolo. Photo : Getty Images

Alors que la durée de vie des relations continue de se réduire, qu'en est-il des rencards ? Zappent-ils à toute vitesse l’étape du petit plat fait maison – pourtant cruciale dans la phase de découverte de l’autre ? Les célibataires sont-ils en train de sacrifier l’intimité inhérente au fait de préparer un repas ensemble sur l'autel de la baise ?

Terri Orbuch, docteur, auteur de Finding Love Again: 6 Simple Steps to a New and Happy Relationship ( Rencontrer l’amour à nouveau : 6 étapes simples pour avoir une nouvelle relation heureuse) et professeur de sociologie à l’Université de Oakland, Michigan, souligne que les relations à long terme et les nouveaux couples passent à côté des bénéfices qu’impliquerait le fait de réaliser une activité ensemble, et privilégient des repas et des expériences ostentatoires dont ils pourront se vanter.

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Faire la cuisine est une activité qui renforce les liens entre les personnes, mais en plus, ceux qui ont mis la main à la pâte peuvent savourer leur gloire pendant le repas, comme l’explique Orbuch. Ce qui peut être très sexy. « Vous avez préparé un repas tous les deux, et maintenant, vous pouvez manger le produit de votre travail », souligne-t-elle. « Cela donne lieu à une relation plus forte, à une certaine excitation et à de la passion. »

Elle poursuit : « Il est important de noter que préparer un repas pour un rencard montre votre capacité d’écoute. Si l’autre personne vous a révélé qu’elle était intolérante au gluten, et que lorsqu’elle arrive, vous avez préparé un superbe plat de spaghettis avec des boulettes de viande, elle va vite en conclure que ce date n’est pas le meilleur en matière de communication. »

« Un rendez-vous autour d’un petit plat fait maison est une preuve indéniable que celui qui vous a invité s’intéresse à vous », avance Matt Moore, chef et auteur de Have Her Over For Dinner ( Invitez-la à dîner). Alors qu’il était encore un cœur à prendre, Moore (qui est aujourd’hui marié) ne recevait dans sa cuisine que les femmes avec qui il souhaitait vivre quelque chose de sérieux.

« Pour moi, les rencards étaient simples. Si je n’étais pas intéressé par la personne, je n’y consacrais pas de temps ou d’efforts », explique-t-il. « Que je lui coure après ou pas. Si j’étais vraiment intéressé par une personne, je lui préparais un dîner. » Mais il ajoute un détail important : « Cependant, il convient de ne jouer la carte du cuistot à domicile que lorsque vous avez déjà eu quelques rendez-vous. Inviter une personne chez soi pour une première rencontre peut être quelque peu intense. »

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« C'est une intention plutôt mignonne de vouloir cuisiner pour quelqu'un et d'établir ce rapport intime. Mais pourquoi veux-tu que je me sente absolument à l'aise chez toi ? »

Pour Janis Spindel, entremetteuse, il est plus sûr d’attendre au moins le troisième rendez-vous avant de mettre en avant vos dons culinaires, surtout si vous avez passé de bons moments lors des deux premières sorties. Cuisiner pour quelqu’un est un choix assez fréquent parmi ses clients, majoritairement des hommes de la haute, et cela permet de montrer que l’on est une personne détendue qui a les pieds sur terre. Toutefois, Spindel souligne qu’il est important d’exprimer ses attentes : « Si vous l’invitez à venir savourer un repas que vous lui aurez cuisiné, cela ne veut pas dire que vous serez le dessert. »

Ces allusions rendent Kiki Feliz extrêmement réticente à l’idée d’inviter des gens chez elle ou d’aller chez eux. Avec le climat politique actuel et la nature des applis de rencontres, elle est constamment inquiète pour sa sécurité et sélectionne de manière rigoureuse les personnes qu’elle accepte de recevoir chez elle, expliquant que certains de ses amis n’ont jamais vu l’intérieur de l’appartement dans lequel elle vit à New York. Ses rencards, elle les préfère dans un lieu public. « C’est une intention plutôt mignonne que de vouloir cuisiner pour quelqu’un et d'établir ce rapport intime » explique-t-elle, « Mais pourquoi veux-tu que je me sente à l’aise chez toi ? ».

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Pour Feliz et ses amis, un rencard qui s'articule autour de petits plats maison est quelque chose de très rare. Elle trouve notamment que l’idée est démodée. Qu'elle n'est pas en phase avec la culture du rencard actuelle, où les gens se la pètent, sous couvert d’une fausse couche de modestie. Cette représentation se traduit par une mise en scène de l’endroit où ils sont allés ou de ce qu’ils ont fait plutôt que d’esquisser le moindre geste gentil. (Elle reste tout de même ouverte à l’idée de prendre un cours de cuisine avec quelqu’un dans un lieu public.)

Feliz reconnaît cependant l’attitude contradictoire de ses pairs en ce qui concerne les rendez-vous galants. Beaucoup de filles accepteront d’aller chez un inconnu rencontré sur Tinder pour fumer un pét’, mais elles n’accepteraient jamais d’aller chez cette même personne pour manger un repas fait maison. « C’est peut-être trop romantique », imagine-t-elle, « ou trop passionné. »

« Je ne sais pas pourquoi mais l’idée d’aller chez quelqu’un fumer de la weed aura plus de succès que celle d’aller chez quelqu’un qui vous préparera un petit dîner. C’est bizarre. Le romantisme a changé dans notre génération et peut-être qu'il s'éloigne des classiques. »

Malgré des débuts difficiles avec le mec de Bumble, Rosimar Nieves ne se laisse pas décourager. Elle compte bien trouver un Jules à qui elle pourra préparer des bons petits plats. Elle voit une personne depuis quelques semaines, elle a déjà rencontré sa famille, et pense qu’il est temps de lui ouvrir sa cuisine. « J’espère que ça nous conduira à l’étape suivante » dit-elle. « Que ça soit une nuit tous les deux sous la couette ou la découverte de l'autre à travers des discussions plus sérieuses. »


Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES US

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