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FRANCE

Un psychiatre nous explique comment nous réagissons à un attentat

Christian Navarre décrypte pour nous le choc psychologique chez les rescapés des attaques, chez les proches des victimes, et chez la population française dans son ensemble.
Pierre Longeray
Paris, FR
VICE News / Etienne Rouillon

Une semaine après les attaques de Paris, Christian Navarre, psychiatre au centre hospitalier du Rouvray près de Rouen, décrypte le choc psychologique qu'ont connu les rescapés des attaques, les familles et proches des victimes, mais aussi la population française dans son ensemble.

Christian Navarre est l'un des pionniers de la création des cellules d'urgence médico-psychologiques en France, et il est l'auteur d'un livre intitulé Psy des catastrophes.

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VICE News : Juste après les attaques de vendredi, des rescapés témoignaient dans les médias, certains souriaient ou étaient extrêmement calmes. Comment explique-t-on ce phénomène ?

Christian Navarre : Ces personnes sont touchées par un stress aigu, ce que l'on appelle un « syndrome dissociatif », ce qui correspond en quelque sorte à rêver éveillé. L'état de confusion et de sidération est tel après un épisode traumatisant comme un attentat, qu'un phénomène neurophysiologique et psychique crée cet état second. Cela fait office de mécanisme de défense.

Des cellules psychologiques d'urgence ont été mises en place dans la nuit de vendredi à samedi. À quoi servent-elles ?

Depuis les attentats de Paris en 1995, des cellules psychologiques ont été créées pour venir en aide aux victimes — auparavant on s'occupait uniquement des blessures physiques. Historiquement, ces cellules ont été créées dans l'armée, pour les soldats qui retournaient à la vie civile. Ces cellules psychologiques permettent de « faire tampon » entre l'horreur à laquelle le patient n'était pas préparé, et la « vie normale ». Ainsi, comme dans l'armée — puisque ces attentats sont comparables à des expériences de guerre — les cellules psychologiques permettent d'éviter les risques de stress post-traumatique.

Dans la nuit de vendredi à samedi, ces cellules ont permis aux rescapés de verbaliser ce qu'ils venaient de vivre. Parler permet parfois de sortir de l'état dissociatif, en réalisant ce qu'il se passe. Les psychiatres, psychologues et infirmiers psychiatriques présents soulagent la tension psychologique et l'émotion des rescapés — parfois simplement en les aidant à pleurer. Le pire dans une situation pareille, c'est de se retrouver seul, ainsi les cellules ont un rôle d'accueil : il faut faire sentir aux rescapés qu'ils ne sont pas seuls, qu'une empathie se crée autour d'eux et que les professionnels « souffrent avec eux » en quelque sorte.

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Comment se reconstruit-on après une telle épreuve ?

Les rescapés peuvent parfois passer plusieurs jours, semaines ou mois sans réellement se rendre compte ce qu'il leur est arrivé. Une fois cette phase passée, va s'installer une période de colère et de révolte. D'autant plus pour ceux qui vont devoir faire face à de graves séquelles physiques — puisque ce sont bien des armes de guerre qui ont été utilisées. Après une phase de dépression, il va ensuite falloir accepter la situation et accepter de vivre malgré la blessure — qu'elle soit psychique, physique, ou les deux.

Et pour les proches et familles des victimes, comment faire face à un tel événement ?

C'est une situation différente de celles des rescapés. Il y a forcément un sentiment d'injustice dominant, propre aux attaques terroristes — les familles et proches se demandent bien ce que leurs proches ont fait de mal, c'est un « massacre d'innocents ». Pour les catastrophes naturelles, il est encore possible d'incomber le drame au triste hasard.

L'expérience de vendredi a été extrêmement brutale — contrairement à un décès de vieillesse, de maladie, où il est possible de « préparer la mort » — notamment parce que les corps ne sont parfois pas reconnaissables et que les familles apprennent le décès du proche après plusieurs jours d'attente.

Pour les proches, les rituels de deuil sont très importants, que ce soit les hommages rendus par la nation, les politiques, mais aussi les funérailles, notamment religieuses. La minute de silence est une sorte de prière laïque, mais pour beaucoup de familles, la religion peut jouer un rôle thérapeutique dans le deuil.

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Arrive ensuite la phase de résilience, afin de pouvoir envisager de vivre avec. Dans le cas de vendredi, les victimes sont en majorité très jeunes, ce sont donc beaucoup de parents qui ont perdu les enfants et vont devoir le porter toute leur vie. Mais on ne guérit pas de la perte de son enfant.

D'un point de vue collectif, on sent le pays à cran, notamment avec la multiplication de mouvements de panique. C'est normal ?

Nous faisons face à un deuil collectif national, où l'on vit un mélange d'effroi (dû au traumatisme), de peur (qui peut se maîtriser à terme) et d'inquiétude (quant à la possibilité d'une réplique).

C'est notamment le rôle des politiques d'offrir un discours rassurant pour essayer de maîtriser la peur des Français — notamment grâce aux dernières annonces qui ont été faites ces derniers jours. Je ne juge pas ces décisions d'un point de vue politique, mais au niveau psychologique, cela peut aider à rassurer les gens.

Mais que penser quand Manuel Valls annonce un risque potentiel d'attaques chimiques contre la France ? Cela aussi c'est censé rassurer les Français ?

En France, nous n'avons pas vraiment la culture du risque, donc Valls fait le choix de dire la vérité aux Français, puisque des mesures sanitaires préventives sont prises en ce moment contre ce type d'attaque. Il vaut sans doute mieux que le Premier ministre annonce que le risque est pris en compte, plutôt qu'un journal dévoile que des antidotes sont livrés au SAMU. La population française pourrait ensuite penser qu'on lui a menti ou caché quelque chose.

Ce type d'annonces représente en quelque sorte une sortie de l'état de naïveté, somme toute agréable, dans lequel nous étions. Nous sommes tristement confrontés au principe de réalité, ce qui peut aussi être thérapeutique et nous permettre d'être plus solidaires. Nous avons déjà connu d'autres vagues d'attentats, notamment en 1985 et 1995, où régnait cette même panique collective larvée. Mais nous sommes parvenus à en sortir afin de retrouver une certaine inconscience.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray