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Belgique

Une journée dans Bruxelles en alerte maximale

La capitale belge entrait ce mardi matin dans sa quatrième journée d’alerte attentat niveau 4 — synonyme de risque d’attaque terroriste « sérieuse et imminente » imposant un blocage total de la ville.
Pierre Longeray
Paris, FR
Deux agents de sécurité, devant un bus prêt à partir, ce mardi dans le centre de Bruxelles (VICE News / Pierre Longeray)

Devant la gare de Bruxelles-Midi ce mardi matin, on trouve un camion militaire qui stationne au milieu de la rue avec deux soldats armés. Un genre de véhicule qu'on est plus habitué de voir sur un champ de bataille que dans les artères feutrées de la capitale belge. Aux côtés de l'imposant transporteur de troupes « Dingo2 » couleur kaki, duquel on a retiré la mitrailleuse montée sur tourelle, stationne une voiture accidentée. Rien de bien grave, juste un phare cassé. Mais ce mardi, un petit accrochage motive une présence militaire.

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La capitale belge entrait ce mardi matin dans sa quatrième journée consécutive d'alerte attentat niveau 4 — synonyme de risque d'attaque terroriste « sérieuse et imminente » qui impose donc un « lockdown », un blocage, de Bruxelles. Ainsi, tout événement suspect, comme ce banal accident de la route devant la gare, est traité avec la plus grande précaution.

Pour rejoindre Bruxelles en alerte, depuis Paris martyrisée, il a fallu arriver une demie-heure avant l'horaire habituel. Pas de dispositif particulier visible à l'entrée du Thalys — là aussi un lieu marqué par une tentative d'attaque terroriste, en août dernier, déjouée par des passagers — si ce n'est un contrôle des billets sur le quai, avant de monter dans le wagon. D'ici les fêtes de fin d'année, ce contrôle sera plus strict, avec l'annonce ce mardi par la France de l'installation de portiques de sécurité à Paris et à Lille. Un contrôle notable en revanche au retour, où nos bagages seront fouillés en gare de Bruxelles par la police belge.

Depuis samedi dernier, la capitale du plat pays vit au ralenti. Ceux qui le souhaitent peuvent travailler depuis chez eux et s'adonner à la pratique du « télétravail ». Pour les autres, le métro est fermé, il faut donc prendre sa voiture ou un des rares bus qui circulent. Les grands magasins ont baissé leur rideau de fer, les écoles sont vides, tout comme les universités, les garderies, mais aussi la plupart des théâtres, cinémas et salles de concert qui ont gardé portes close. Les gares de la ville sont elles restées ouvertes, mais sont sous surveillance militaire.

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Des militaires dans la gare de Bruxelles-Midi ce mardi matin (Pierre Longeray / VICE News)

« Les morts sont à Paris, mais le lockdown est ici », s'étonne Marco, la petite quarantaine et les cheveux grisonnants, dans un café situé en lisière du quartier d'affaires de Bruxelles. « Les camions, les militaires, tout ça c'est du show pour le gouvernement. C'est sans doute dissuasif, mais on ne se sent pas plus en sécurité, » alors que l'on voit passer des militaires en armes, à travers la vitre du café.

Ces mesures sont aussi censées faciliter le travail de la police. Depuis les attaques de Paris, la Belgique fait la chasse aux suspects potentiellement liés aux attentats meurtriers de la capitale française, notamment parce que nombre d'assaillants ont résidé ou sont passés dans le pays. Ce dimanche, la police belge a procédé à 16 interpellations dont une s'est soldée par une inculpation ce lundi. Ce mardi soir, un autre individu a été inculpé du chef de participation aux activités d'un groupe terroriste et d'assassinats terroristes par la justice belge.

Les perquisitions et interpellations de dimanche soir se sont d'ailleurs faites dans une drôle d'atmosphère médiatique. À la demande de la police, les médias belges n'ont pas posté des informations sur les opérations en cours, qui auraient pu alerter de possibles suspects. À la place les Belges ont publié des photos et « GIF » de petits chatons.

Sur la Grand-Place de Bruxelles ce mardi matin (VICE News / Pierre Longeray)

Pour Marco qui feuillette 7 Dimanche (un journal gratuit belge) un peu périmé, ces 4 jours passés sous tension ont surtout permis au gouvernement belge de montrer qu'il « prenait le problème au sérieux, suite aux forts reproches adressés à la Belgique, » qu'il accuse d'avoir été trop laxiste « au sujet de la radicalisation depuis près de 20 ans », se faisant l'écho de reproches venus notamment de France.

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Ces quatre journées de blocus n'ont pas permis de mettre la main sur l'homme le plus recherché d'Europe, Salah Abdeslam, ancien résident de Bruxelles et suspecté d'avoir participé aux attaques de Paris. Abdelhamid Abaaoud, qui aurait participé à l'organisation des attaques de Paris et a été éliminé mercredi dernier lors d'un raid de la police française, était lui aussi passé par Bruxelles. Ce mardi soir, on apprenait par le Procureur de la République à Paris qu'Abaaoud aurait pu prévoir une nouvelle vague d'attaques dans le quartier de la Défense en région parisienne, quelques jours après les attaques qui ont fait 130 morts à Paris et à Saint Denis.

Soucieux de trouver Salah Abdeslam, le Roi des Belges a demandé l'aide des renseignements marocains à Mohammed VI, le Roi du Maroc. Ce serait d'ailleurs grâce à des informations des services marocains que la police française a mis la main sur Abaaoud à Saint-Denis. Le Roi Philippe espère sans doute le même résultat pour Abdeslam.

Si le lockdown permet de faire avancer, doucement, l'enquête, tout cela a un coût pour l'économie belge : plus d'un milliard d'euros selon les premières estimations. Les premiers à payer l'addition sont notamment ceux qui vivent de l'industrie touristique. Sur la Grand-Place, les touristes ont été remplacés par quelques journalistes qui font leur direct sous les arcades de l'Hôtel de Ville bordant la vaste esplanade. Le crachin glacé qui balaye la capitale belge ce mardi explique aussi en partie l'impression de se balader dans une ville abandonnée.

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Une rue qui mène au Mannenken Pis, habituellement pleine de touristes. (Pierre Longeray / VICE News)

« Généralement la pluie et le froid donnent envie aux gens d'acheter des chocolats, c'est réconfortant. Mais en ce moment c'est le calme plat, » nous explique une vendeuse de chez Neuhaus, un chocolatier belge bien connu, installé sur la Grand-Place. Un journaliste qui dit être « de la télé française » rentre dans le petit magasin pour prendre des infos sur la fréquentation du magasin depuis samedi — voilà sans doute un des seuls « clients » de la journée de la chocolaterie.

À quelques pas de la Grand-Place, après être passé devant un commissariat transformé en fourmilières de policiers et de soldats, on retrouve le Mannenken Pis — un des emblèmes de la capitale belge. En temps normal, il faut jouer des coudes pour prendre une photo correcte du petit bonhomme qui urine. Mais ce mardi, seulement deux touristes espagnols tentent de prendre un selfie avec le Mannenken Pis en arrière-plan. Ils peuvent même s'y reprendre plusieurs fois.

Le célèbre Mannenken Pis ce mardi matin (VICE News / Pierre Longeray)

Là où l'on retrouve le plus de touristes, c'est sans doute au McDonald's de la Rue Neuve. En couple ou en famille, on échange en japonais, en espagnol ou en allemand sur la suite à donner au voyage, ce qui n'est pas chose aisée puisque tous les musées sont fermés. La seule activité disponible pour le moment est de s'étonner de croiser un militaire armé aux toilettes du fast-food.

Dans les quartiers résidentiels de Bruxelles, notamment à Ixelles, le silence plane et les rues sont quasiment désertes. Tous ceux qui font vivre la ville et qu'on a tendance à ne plus remarquer — les éboueurs, les jardiniers, les ouvriers de voirie — semblent être les seuls à peupler les rues. On croise presque plus de personnes en uniforme fluo ou camouflage (la police, les employés municipaux, ou les soldats) que de Bruxellois en civil.

« Les bars étudiants où l'on sort habituellement ont été fermés sous ordre la police, » explique William, étudiant français en pharmacie à Bruxelles et qui habite à Ixelles. « Paradoxalement, je crois que ma famille, qui est en France, est plus inquiète que moi. Ma seule sortie de ces derniers jours a été d'aller au supermarché qui était fermé, » nous confie William qui est tout de même allé à son stage ce mardi.

Dès mercredi, les crèches, écoles et universités de Bruxelles vont rouvrir comme le métro, et la capitale va récupérer un peu de normalité. Une normalité toute relative puisque 300 policiers doivent être déployés dès mercredi pour assurer la sécurité des écoles, et 200 autres pour le métro. La ministre de l'Éducation belge a aussi proposé la création de « safe room » dans les écoles — une salle fortifiée où se réfugier en cas d'attaque.

En fin d'après-midi ce mardi, certains cafés commencent à se remplir. Les Bruxellois viennent décompresser après le travail, sentant la fin du lockdown poindre. « Il va falloir que les gens ingèrent cette menace et qu'on apprenne à vivre avec, » estime Marco alors que la nuit commence à tomber sur la capitale qui s'apprête à se réveiller d'un coma de 4 jours. « Sinon ils auront gagné, et c'est ça qu'ils veulent. ».

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray