L'OM à Bordeaux : 40 ans et jamais gagnant
Photo : Olivier Pon / Reuters

FYI.

This story is over 5 years old.

foot

L'OM à Bordeaux : 40 ans et jamais gagnant

La dernière fois que Marseille a gagné en Gironde, Valéry Giscard d'Estaing était encore président de la République. Mais cette série aussi irrationnelle qu'unique pourrait se terminer ce dimanche, sur la pelouse du Matmut-Atlantique.

Ce 1er octobre 1977, la double fracture du Bordelais Daniel Jeandupeux, qui voit sa carrière brisée en même temps que son tibia, fait passer le sportif au second plan. Et pourtant, en s’imposant 2-1 au stade Chaban-Delmas, l’Olympique de Marseille obtient un résultat qui entrera dans l’histoire. Depuis, l’OM ne s’est plus imposé à Bordeaux. Une malédiction unique dans le monde du football, qui dure depuis plus de 14 650 jours.

Publicité

Lorsqu’on lui demande une explication de la réussite de son équipe face aux Olympiens, Thibaud, abonné aux Girondins depuis douze ans, ne trouve pas les mots : « Je pense qu'il y a une bonne dose de surréalisme là-dedans. » À Marseille, on n’a pas plus de réponses. « C'est quelque chose qui dépasse le football, mais qui en fait sa légende », explique Romain, supporter de l’OM depuis son enfance, aujourd’hui journaliste pour Le Phocéen.

Sur les rives de la Méditerranée, on vit cette malédiction avec un poil de fatalisme, sans pour autant en faire une obsession. « De toute façon, on est maudit. On ne gagnera jamais. On ne compte jamais sur une victoire et l'OM nous le rend plutôt bien. Sinon, ce match semble plus important pour les Bordelais que pour les Marseillais ». Effectivement, chaque saison, à Bordeaux, la réception de l’OM est attendue avec impatience. « C'est LE match que coche tout supporter lorsque paraît le calendrier de la saison, bien avant celui face au PSG ou à Monaco », raconte Thibaud.

« Quand la saison commençait, je regardais immédiatement sur le calendrier. Pour moi, c’était le match de l’année » – Carlos Henrique, ancien défenseur brésilien des Girondins

Au fil des victoires et des matches nuls, cette invincibilité s’est ancrée dans l’histoire du club. « Cela fait partie de la tradition girondine ! Au centre de formation, on parle de cette série. Cela fait partie de notre ADN », détaille Thibaud. Un avis partagé par Carlos Henrique, qui a passé neuf saisons aux Girondins. « Les joueurs formés au club nous parlaient de cette invincibilité. Aux entraînements, avant ce match, tout était plus intense».

Publicité

Retourné aujourd’hui au Brésil, l’ancien défenseur central est pour les supporters celui qui « incarne parfaitement la passion » autour de ce duel. Joueur au tempérament fort, n’hésitant pas à chambrer les Marseillais, Henrique est à jamais lié à cette rencontre. « Quand la saison commençait, je regardais immédiatement sur le calendrier. Pour moi, c’était le match de l’année. Même aujourd’hui, en tant que supporter des Girondins », se remémore-t-il. Cette euphorie bordelaise tranche avec la vision des Marseillais, forcément plus nuancée. « C'est juste un fardeau. C'est le match qui rend pessimiste le plus optimiste des supporters. Ce sera le cas jusqu'à ce que la série se brise », assure Romain.

Aujourd’hui entraîneur de l’équipe réserve de l’AS Saint-Étienne, Laurent Battles a revêtu les tuniques des deux équipes au début des années 2000. Sous le maillot de l’OM, il se souvient ne pas avoir forcément ressenti le poids psychologique de cette malédiction. « La rivalité était plus forte dans les années 1980. Depuis, le match le plus important pour Marseille, c’est Paris ». Pour Romain, journaliste au Phocéen, l’impact moral n’est pas instantané. Il prend tout son sens au fil des saisons, lorsque les joueurs s’identifient au maillot olympien. « Ceux qui l'ont vécue comme Mandanda, ou les joueurs qui sont là depuis quelques saisons comme Thauvin ou Rolando par exemple. Mais sur les Mitroglou, Amavi, Rami, je ne pense pas que ça joue. »

Publicité

À Bordeaux, le constat est différent. Forcément, être invaincu à domicile depuis si longtemps donne une saveur particulière à la rencontre. « Même au Brésil, je n’ai jamais joué de match comme ça, avec une telle série », s’étonne Carlos Henrique. Cette part d’irrationnel motive les joueurs, qui s’en imprègnent pour perpétuer la série. « Personne à Bordeaux, n’a envie de rentrer dans l’histoire du club comme faisant partie de l’équipe qui a mis fin à quarante ans d’invincibilité », indique Carlos Henrique.

Les Bordelais célèbrent le but de Marouane Chamakh, le 13 septembre 2008 à Chaban-Delmas. Photo : Olivier Pion / Reuters

Si l’attrait principal de l’opposition entre les deux clubs repose aujourd’hui sur le côté mystique de cette malédiction, il ne ressemble en rien à l’antagonisme qui existait dans les années 1980. Une affiche nourrie par deux équipes au top sportivement et une rivalité entre deux présidents charismatiques, Claude Bez et Bernard Tapie. Arrivé à Bordeaux en 1987, l’ancien capitaine emblématique des Girondins Didier Sénac se souvient que ce duel entre les deux hommes a forgé celui entre les deux clubs. « Quand on jouait à Marseille, Claude Bez [ancien président des Girondins de Bordeaux, ndlr] arrivait avec sa limousine et il se faisait jeter des pierres. Ensuite, il allait dans la tribune avec ses gardes du corps, le torse bombé. Et quand Tapie venait à Bordeaux, c’était pareil ».

Avec deux présidents réputés pour leur franc-parler, l’aspect psychologique prenait plus l’importance. « On ne voyait Claude Bez que très rarement : lorsqu’il voulait faire passer un message fort ou qu’on n’avait pas été bon. Mais la semaine avant la rencontre face à Marseille, il descendait dans le vestiaire pour nous dire que c’était le match, qu’il fallait tout donner », commente Didier Sénac. La rencontre de championnat du 21 octobre 1989, fait partie des épisodes mythiques de cette malédiction et reflète parfaitement la nature des confrontations entre l’OM de Tapie et le Bordeaux de Bez.

Publicité

« Cette saison, le classement est un peu différent, c’est peut-être cette année où Marseille devrait aller chercher des points à Bordeaux » – Laurent Battles, ancien joueur de Bordeaux et de Marseille

À cette époque, les clubs professionnels ne pouvaient pas compter plus de trois joueurs étrangers dans leurs rangs. Les heures précédant le déplacement à Lescure, Bernard Tapie fait le forcing pour que la naturalisation de l’allemand Karl-Heinz Förster soit officialisée. Chose faite. L’OM peut donc aligner trois joueurs étrangers et Förster au coup d’envoi. Une action dont se sert la direction girondine pour stimuler ses troupes. « On nous disait : "Ce sont des privilégiés, ils ont droit de faire ci, de faire ça”. On était surmotivé. On voulait leur montrer que même avec Karl-Heinz Förster, ils n’allaient pas nous battre », se remémore Didier Sénac . Le jour du match, la tension est palpable. Malgré un coup de coude dans le thorax de Francescoli, Joseph-Antoine Bell n’est pas sanctionné. Après avoir arrêté un penalty de Ferreri, Gaëtan Huard, gardien de l’OM, lui adresse un doigt d’honneur. « Tout venait de l’animosité entre les deux présidents, ils ne pouvaient pas se voir », révèle Didier Sénac. Au final, Bordeaux remportera la rencontre 3-0, mais Marseille sera sacré champion de France quelques mois plus tard.

Aujourd’hui, Bordeaux-Marseille rime plus avec lutte pour les places européennes ou affiche de prestige qu'avec match du titre. La pression est retombée sur la pelouse, mais est toujours bien présente dans les gradins. Face à l’OM, le stade René Gallice – et auparavant Lescure – assume pleinement son rôle de douzième homme et s'époumone pour que son équipe perpétue la série qui fait partie de l’identité des Girondins. « Le stade est généralement plus garni qu'à l'accoutumée et l'ambiance plus relevée », détaille Thibaud. Une vraie opposition en tribune, surtout face à des Marseillais souvent nombreux en déplacement. Carlos Henrique, se rappelle très bien de son second match avec le maillot au scapulaire, son premier face à Marseille. « C’était en Coupe de la Ligue, le match avait beau être en semaine, j’ai senti que l’ambiance était particulière ». Une rencontre singulière, qui peut basculer dans la folie au moindre fait de jeu ou enjeu supplémentaire.

13 mai 2006. 38e journée de Ligue 1. Devant 32 765 spectateurs, Bordeaux, assuré de terminer second et de jouer la Ligue des Champions, reçoit Marseille, qui lutte pour la qualification en Champions League. Dans les tribunes ce soir-là, Thibaud résume le seul enjeu de ce match : « Ne pas mettre un terme à l’invincibilité ». Une tâche mal embarquée quand Maoulida ouvre le score à la 80e. Ce but, qui devrait doucher les espoirs bordelais, a l’effet inverse. « On s'emballe encore plus ! Ça résonne dans tout Lescure, partout dans le stade, on chante et on exhorte nos joueurs à revenir dans le match », se rappelle Thibaud. A la 88e minute, Fernando Menegazzo crucifie Barthez et égalise. « Un moment de folie unique que seule cette confrontation avec l'OM peut procurer. Rien qu'en répondant à cette question, j'en ai des frissons ». Avec ce nul, Bordeaux demeure invaincu depuis 29 ans, et prive Marseille de la qualification en Ligue des Champions. Dans l’effectif bordelais, au cours de ce match, Carlos Henrique se souvient que son équipe voulait gagner pour son public. « C’était la meilleure façon de finir le championnat, pour nous et pour les supporters qui ont le club dans le cœur ».

Malgré la longévité et la singularité de cette invincibilité, Laurent Battles trouve le terme malédiction un peu galvaudé : « Souvent, le niveau des deux équipes était proche. Cette saison, le classement est un peu différent, c’est peut-être cette année où Marseille devrait aller chercher des points à Bordeaux ». Dimanche, les Ultramarines, le principal groupe ultra bordelais, profiteront du match face à l’OM pour célébrer leur trentième anniversaire. Les Girondins pourront compter sur la ferveur de leur supporter. Et sur le poids de la malédiction ?

Clément Le Foll est sur Twitter.