L'Ukraine, dans les yeux d'un jeune photojournaliste français

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L'Ukraine, dans les yeux d'un jeune photojournaliste français

Rafael Yaghobzadeh, lauréat 2017 du Prix Rémi Ochlik, parcourt l'Ukraine depuis le soulèvement d'Euromaïdan et livre, dans un ouvrage auto-édité, un récit personnel de ce pays aux multiples facettes.

Si les médias du monde entier affluent sur la place de l'Indépendance à Kiev dès les premières semaines de manifestations contre le pouvoir en place à la fin de l'année 2013, peu de journalistes s'aventurent à rester couvrir la profonde crise qui secoue le pays depuis, bien au-delà de la « révolution de Maïdan » et des affrontements tragiques de février 2014 entre manifestants pro-européens et forces de l'ordre, de l'annexion de la Crimée par la Russie et du conflit larvé entre séparatistes prorusses et nationalistes ukrainiens dans le Donbass. Certains –, mais ils sont peu nombreux – s'y sont installés, d'autres s'y rendent régulièrement pour continuer de raconter l'Histoire en train de se faire.

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Parmi eux, Rafael Yaghobzadeh, photojournaliste français de 26 ans dont le travail a justement été honoré par le Prix de la Ville de Perpignan Rémi Ochlik – récompensant le meilleur reportage de l'année produit par un jeune photographe. Applaudi à Visa pour l'Image en septembre dernier, où il présentait l'exposition « Ukraine : D'une guerre à l'autre », il vient également de compiler une partie de ses reportages en Ukraine dans un livre auto-financé, Ukraïna, paru aux éditions Collection des Photographes. On en a profité pour lui poser quelques questions sur sa vision de l'Ukraine et l'expérience de l'auto-édition.

VICE : La première fois où tu te rends en Ukraine, cʼest en 2014, au moment dʼEuromaïdan – tu as alors 23 ans et tu dis ne rien connaître du pays. Là où beaucoup de photographes se sont seulement attachés à couvrir les manifestations pro-européennes et la guerre dans le Donbass, tu as fait le choix du reportage sur le temps long. Quelles ont été tes motivations, hormis le désir de couvrir lʼactualité, et comment as-tu appréhendé les bouleversements ukrainiens ?
Rafael Yaghobzadeh : La première fois que je me suis rendu en Ukraine, en janvier 2014, il est vrai que je ne connaissais pas grand-chose du pays. Jʼy suis allé sur un « coup de tête » , en comparant ce mouvement à ceux que jʼavais déjà couverts – dont les révolutions arabes en Tunisie et en Égypte mais aussi aux Indignés à Madrid en 2011 ou les soulèvements sur la place Taksim à Istanbul en 2013. Euromaïdan avait quelques similitudes – notamment lʼappellation de la place [maïdan en ukrainien, maydan en arabe, ndlr], où campements, citoyens, manifestations, barricades cohabitaient au jour le jour –, la différence étant qu'il faisait -25°C, que ça se déroulait en Europe de lʼEst, à quelques heures en avion de Paris, et que cʼétait assez photogénique.

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Un jeune Ukrainien dépose une gerbe sur la tombe du soldat inconnu lors des célébrations de la victoire de la Grande Guerre patriotique, à Odessa, le 9 mai 2014. Depuis 2015, suite à des lois de décommunisation, l'Ukraine célèbre la fin de la Seconde Guerre Mondiale le 8 mai, comme ses nouveaux alliés européens.

Après avoir couvert la révolution à Kiev, lʼannexion de la Crimée et le début de la guerre dans le Donbass, je me suis dit que je ne pouvais pas mʼarrêter là – l'Ukraine nʼétait plus trop dans le radar des médias mais plein de choses sʼy passaient encore. De fil en aiguille, jʼy suis allé une douzaine de fois en commandes ou en indépendant, je compte y retourner encore pour finir quelques reportages car il se passe encore des choses. Étant un féru dʼhistoire, lʼUkraine est un très bon terrain de jeu, il y a plein de dates et de lieux qui marquent la société, la culture et lʼhistoire de ce pays et de sa région. Cʼest assez intéressant, surtout en cette année du centenaire de la Révolution russe.

Tu abordes souvent la thématique de la jeunesse. Elle est particulièrement dynamique et engagée en Ukraine, notamment à Kiev – que ce soit par l'engagement militaire ou le militantisme citoyen. Comment appréhendes-tu la politisation des jeunes Ukrainiens ?
La jeunesse est une thématique que jʼessaie dʼaborder lors de mes voyages. En Ukraine, elle sʼexprime de plus en plus, une nouvelle génération post-soviétique et post-indépendance sʼaffiche de jour en jour. Il y a un engament militaire et un militantisme citoyen assez présents chez les jeunes mais aussi une création artistique très importante. Vingt-cinq ans après son indépendance, la société ukrainienne se trouve dans une recherche culturelle et identitaire qui est assez particulière et les jeunes sʼy retrouvent forcément confrontés.

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Le long du Dniepr, sur l'île Trukhanov, la jeunesse ukrainienne a pour habitude de se retrouver et de profiter des divers activités et festivals qui y sont organisés pendant la période estivale. Kiev, le 28 août 2016.

Tu tʼes intéressé aux multiples facettes de la société et de la culture ukrainiennes. Le livre qui regroupe une bonne partie de ces reportages, et que tu as auto-édité, est dʼailleurs découpé en trois chapitres – Slava (la gloire), Vremya (le temps), Zlemlya (la terre). Tu as également pris le parti de ne pas légender toutes tes images, donnant ainsi au livre une dimension de récit photographique, comme le suggère aussi le découpage en chapitres. Quʼest-ce qui a présidé à ces choix ?
Au fil du temps et des voyages, je devais trouver un moyen de mʼorganiser et dʼorganiser mes reportages. Lʼidée de découper ce travail en cours sur lʼUkraine, en trois chapitres, me trottait dans un coin de la tête. La désignation des chapitres mʼest venue en début dʼannée, en janvier 2017. Lʼidée de base était de sortir trois tomes indépendants les uns des autres mais se rattachant à un même pays. Quelques mois après mon dernier voyage, en avril, la surprise de la nomination du prix et de lʼexposition à Visa pour lʼImage a amené plus rapidement que prévu la réalisation de cette première édition – auto-produite, auto-financée, auto-distribuée. Donner une dimension de récit photographique était une chose que je souhaitais depuis le début : je souhaitais laisser parler les images, aux côtés de récits journalistiques. Pour mener ce projet, jʼai contacté deux amis journalistes, Stéphane Siohan – basé à Kiev – et Noah Sneider – basé à Moscou. À la fin du livre, il y a un tout de même un index qui répertorie les dates et les villes des 70 photographies.

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Peux-tu aussi me parler du choix de la couverture de ton livre ?
Le choix de la couverture sʼest fait avec lʼaide dʼun ami photographe, Pierre Terdjman, qui mʼa accompagné pour la sélection des images. Nous avions idée que la couverture devait être une accroche pour le lecteur et, quʼen même temps, elle devait se détacher du reste des images sélectionnées. La photo en question a été prise en janvier 2016, à lʼouest de lʼUkraine, dans le village de Kosmach, lors des célébrations de Malenka – une fête traditionnelle où les habitants se déguisent, chantent et dansent pour souhaiter la nouvelle année. La particularité de cette image, c'est que le protagoniste est habillé en soldat de lʼArmée rouge, dans un village connu pour sʼêtre opposé farouchement en 1944 contre lʼURSS.

Finalement, quelle a été ta plus belle surprise en Ukraine ?
Ma plus belle surprise, cʼest de vouloir y retourner…

Je vois. Merci Rafael !

Dans le centre-ville de Kiev, des jeunes Ukrainiens discutent dans le restaurant Veterano Pizza, le 11 avril 2017. Ouvert par Leonid Ostaltsev, un soldat vétéran ukrainien, la pizzeria décorée d'écussons et autres accessoires militaires emploie une dizaine de vétérans.

Un couple de jeune Ukrainiens marche à la périphérie de la ville d'Avdiivka, dans l'est de l'Ukraine, le 15 janvier 2017. Situé sur la ligne de front, la ville comptait 35 000 habitants avant la guerre, aujourd'hui on en dénombre 24 000.

Un jeune Ukrainien assiste aux célébrations traditionnelles de Malenka, dans le village de Krasnoyilsk, à la frontière roumaine dans l'ouest de l'Ukraine, le 14 janvier 2016. Les habitants ont pour coutume de confectionner des apparats faits de pailles et de décorations, ces derniers pesant plus 60 kilos.

Ukraïna est publié aux éditions Collection des Photographes.

Retrouvez le travail de Rafael Yaghobzadeh sur son site et sur le site de Hans Lucas.

Marie Fantozzi est sur Twitter.