« Je vais leur manquer à mes clients, c’est certain. » Maurice s’apprête à quitter son guichet. Le rideau tombe sur une longue période de sa vie. Durant 36 ans, ce Parisien d’adoption a été le propriétaire du Beverley, cinéma pornographique du 2e arrondissement de Paris, à deux pas du célèbre Rex, colosse d’argile du septième art.
Aujourd’hui, l’heure de la retraite a sonné et il a cédé ce lieu mythique à un promoteur immobilier. Les clés ont été rendues samedi 23 février 2019 et laissent le Vox de Grenoble – le dernier cinéma porno de France – orphelin, dernier cinéma X officiellement en activité en France.
Publicité
Bien plus qu’une page qui se tourne et des souvenirs qui s’enfouissent, c’est un métier qui s’éteint avec le départ du septuagénaire qui déborde de vie et d’humour. « Ce que j’aimais, c’était le contact. Les habitués venaient prendre le café dans la salle de projection, on ne s’ennuyait jamais », raconte-il, avant de poursuivre : « Oh, des anecdotes, j’en ai ! Mais les plus belles images sont dans ma tête et c’est ce qui compte », sourit-il.
Il consent tout de même à en partager une : « Je me rappelle de cette fois où j’ai vu arriver un groupe d’hommes, tous vêtus de noir, avançant lentement et groupés dans la rue comme un essaim d’abeilles. Et voilà qu’ils s'arrêtent tous devant mon cinéma ! Au moment de demander leurs places, ils s'écartent et laisse apparaître une femme entièrement nue ! Enfin presque : elle portait un chapeau noir et des escarpins ! »
« Mais tout de même, s’exclame Maurice, c’est puni par la loi l'exhibitionnisme dans mon cinéma ». Cette fois-là, Maurice semble avoir fait exception à la règle. Si cette pratique est interdite, certains transgressent encore et le gérant doit jouer au gendarme en faisant notamment appel à Patrick, un ami de longue date : « Patrick ! Tu peux surveiller le couple qui vient de rentrer ? Je ne suis pas certain qu’ils restent sages ! » Patrick n’hésite pas et descend dans la salle obscure afin de veiller au calme. Malgré cela, on retrouvera un préservatif jeté sur le sol le lendemain matin.
Publicité
Fauteuils en skaï rouge usés, affiches érotiques défraîchies, matériels anciens de projection, tout est à vendre pour les derniers jours du Beverley. « Vous pourriez me signer un autographe Maurice s’il vous plaît », demande poliment un jeune homme à 11h30, la veille du grand départ, juste avant l’une des toutes dernières projections. Ravi, le collectionneur repartira avec une dizaine d’affiches érotiques sous le bras et des objets disons suggestifs.
« Je me souviens d’un temps où mon cinéma rendait tout le monde heureux, aussi bien les hommes que les femmes. Les maris revenaient à la maison avec le sourire et leurs femmes étaient heureuses de les voir ainsi ! », partage le gérant avec bonhomie et une certaine nostalgie. « C’était un temps où les femmes s’habillaient en jupe, où elles ne craignaient pas de se faire insulter dans la rue », souligne-t-il.
Rêveur, Maurice vendra ces derniers tickets en après-midi, pour La femme à barbe et Les tontons tringleurs. À 12 euros la place et à l’heure d’Internet, il est surprenant de voir que les spectateurs ne manquent pas au Beverley cet après-midi.
Ce sont en majorité des hommes âgés de 30 à 70 ans, « surtout des habitués », précise Maurice qui note la baisse de fréquentation évidente au fil des années. Si le cinéma étaient ouvert de 12 heures à 17 heures, il fut un temps ou la salle obscure ne fermait pas ses portes avant 20 heures. « A 17 heures, il n’y a plus personne », regrette-il aujourd’hui.
Et lorsqu’on lui demande ses projets de jeune retraité, Maurice réplique cash : « Je n’ai pas pris le temps de lire pendant 30 ans, alors je compte bien me rattraper », affirme-t-il tout en précisant qu'il ne partira pas sans ses 200 films érotiques. « Mais, dans le fond, vous savez ce qui va me manquer ? demande-t-il d’un ton semi-inquisiteur. Le cul ! ». D’ailleurs, selon les dire, il posera ses cartons dans le Sud-Ouest, pas très loin d’une plage naturiste.
VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.