John B. Root
Photos : Rebecca Topakian pour VICE FR

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On a parlé de l'évolution du porno avec John B. Root

J’ai rencontré le célèbre réalisateur des films X de Canal+, fervent défenseur du cinéma pornographique de fiction, en guerre contre les plateformes à la Pornhub.

John B. Root était cadreur pour le service public et écrivain pour les jeunes jusqu’à ce que la « crise de la quarantaine » le fasse tomber dans le porno. Nous sommes au milieu des années 90, et Jean Guilloré, alias John B. Root, tourne ses premières scènes. Visionnaire, il se lance dans le X sur CD-Rom interactif, réalise des films pour Canal+ et devient vite le chouchou du porno intello made in France. Depuis, il compte à son actif 23 films de fiction X pour la chaîne cryptée, plus de 1 500 vidéos et des centaines de milliers de photos. Une carrière couronnée par un Hot d’or du meilleur réalisateur en 2009.

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À 60 ans, ce vieux briscard du porno a des airs de « seigneur déchu ». Avec le boom du porno en streaming gratuit, le cinéma X de fiction qu’il affectionne tant ne fait plus recette. Entre deux tournages, il se réfugie dans son appartement au cœur de Paris, avec son westie blanc Diogène et ses innombrables écrans de montage. Il m’a accueilli dans son antre pour discuter de sa vision – pessimiste – du X actuel, en fumant clope sur clope.

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VICE : Tu reviens du tournage en Crète de ton prochain film, Les Plaisirs de la chère. Comment ça s’est passé ?
John B. Root : Il a eu lieu fin octobre. Après, j’ai passé trois mois chez moi, entre le montage, l’étalonnage, le mixage… Pour les acteurs, c’était le plus beau tournage de leur vie. Le matin, ils se réveillaient et allaient se baigner. Le soir, on mangeait des feuilles de vigne, des côtelettes d’agneau et du poisson fraîchement pêché en buvant du raki et du vin crétois… Mais pour moi, c’était très stressant.

Ça avait pourtant l’air sympa…
J’ai eu 40 000 euros pour tourner ce long-métrage au bout de l’Europe, avec quatre filles, quatre garçons et une équipe de quinze personnes. Il y avait 40 séquences à mettre en boîte en cinq jours. Je filmais de l’oeil droit et regardais ma montre de l’oeil gauche. Dans une économie de crise, on se démerde !

Quand on voit que le budget moyen d’un film français est de plus de 4 millions , c’est vrai que ça ne fait pas beaucoup. L’industrie du porno va aussi mal que ça ?
Sur ce film, je n’ai pas gagné un centime. J’attendrai la diffusion pour toucher des droits d’auteur. L’argent de Canal+ [producteur du film, ndlr] a juste permis de couvrir les coûts réels. En France, Canal est le seul diffuseur qui met un peu d’argent sur la table – même s’il ne donne pas énormément par rapport à un téléfilm classique. Mais du fric, il n’y en a pas ailleurs. Depuis que les tubes [plateformes gratuites de streaming de vidéos pornographiques, ndlr] sont arrivés, il y a une grosse dizaine d’années, ils ont totalement détruit l’économie du X. Avant, on avait les films Canal, la VOD, les Blu-ray… Tout ça s’est écroulé. Moi, j’ai un gros site Internet. À l’époque, il cumulait 30 000 visiteurs par jour. Maintenant, j’en ai six fois moins.

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« Les jeunes consommateurs ont perdu l’habitude de payer pour se branler »

Les tubes ont tué le système payant ?
À cause d’eux, les jeunes consommateurs ont perdu l’habitude de payer pour se branler. Et ce sont des voleurs de contenu ! Moi, je crée une vidéo et je la mets en ligne sur mon site. Le lendemain, elle a été téléchargée sur 40 tubes et vue 150 000 fois – au passage, merci Google. Bref, pourquoi les gens iraient chez moi et paieraient 29,95 euros par mois alors qu’ils peuvent avoir les mêmes vidéos gratuitement ? Certes, il suffit de leur dire que la vidéo vous appartient pour qu’ils la suppriment. Mais je ne vais pas passer mes journées à envoyer des mails pour faire enlever mes vidéos, c’est matériellement impossible. Dorcel le fait, mais c’est un cabinet qui s’occupe de ça. Moi, je suis tout seul.

Le web a quand même permis de démocratiser le porno…
Les amateurs, ça c’est intéressant. Les couples font leurs mises en scène chez eux, personne ne les commande, ils font ce qu’ils ont envie de faire et rien d’autre. Nana, mec, hétéro, gay… C’est du bio en circuit court. J’aime bien, c’est source de créativité. Beaucoup de filles ne font plus de tournage porno, mettent leurs vidéos sur Clips4Sale et font leur pub sur Twitter. Mais ça reste une économie verticale : les patrons de Clips4Sale, de Chaturbate ou de CAM4 se remplissent les poches. C’est l’ubérisation du porno.

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Une idée pour sauver les films de cul à la papa ?
Qu’un organisme international décide qu’il est mondialement interdit de montrer du porno sur le web sans donner de numéro de carte de crédit ! Imagine si une loi comme celle-ci passait : ce serait la fin des tubes. Sur dix personnes qui matent une vidéo sur un tube, il n’y en a qu’une qui peut se payer un abonnement. Les neuf autres sont des « freeloaders » – ils consomment du gratuit et ne seraient jamais prêts à payer pour ça. Perdre des freeloaders, quand tu es créateur de contenu, ce n’est pas grave. Je rêve chaque soir que cette loi passe.

Outre l’aspect économique, est-ce qu’Internet a aussi changé la façon de faire du porno – plus de gonzo, des scènes sexuelles sans scénario ?
Du gonzo, j’en fais toute l’année pour nourrir mon site. Mais moi, je suis rentré dans le porno parce que, un, j’ai toujours été un obsédé sexuel, et deux, j’avais envie de faire du cinéma. Je suis un enfant de Kikoïne, Lanzac, Leroi… tout ce porno cinéphile marrant tourné en 16 mm. Je voulais faire des films qui racontent des histoires, avec des vrais morceaux de chatte dedans. Je suis arrivé à une époque où c’était encore jouable. Mais des films comme French Beauty (2002) ou XYZ (2003) dont même les Cahiers du Cinéma parlaient –, je ne pourrais plus les faire aujourd’hui. Avec l’arrivée de l’euro, tout coûte plus cher. Et, avec la même somme qu’avant, tu fais moins aujourd’hui.

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« Avant, les actrices restaient cinq ou six ans dans le métier. Maintenant, elles travaillent six mois, et on ne leur propose plus rien, à moins d’aller faire de la dilatation anale à Prague »

En fait, tu milites pour que le cinéma X fasse pleinement partie du septième art.
Exactement. On confond trop le sujet de la vidéo, la bite et la chatte, et sa forme. Le cinéma porno n’a pas acquis le droit d’être jugé comme du cinéma. Les gens ne voient pas le film autour du sexe. Résultat : il y a plus de porno qu’avant, tout le monde en regarde, et en même temps le genre s’appauvrit. Je ne veux pas qu’on me prenne pour un con quand je me branle, et c’est ce que font les tubes. Ils n’aiment pas le porno, ils aiment l’argent que ça génère. Dans Dis-moi que tu m’aimes (2010), j’ai fait danser et chanter les filles sur un bateau. Pour filmer, on était obligés d’avoir deux autres bateaux qui tournaient autour du premier. Ce n’est pas une scène de cul, mais je considère que ça participe à la qualité générale du film. J’ai envie de donner un plaisir cinéphilique en plus du plaisir sexuel. Mais aujourd’hui, quand je dis ça, j’ai l’impression d’être un dinosaure.

Pas trop dur pour les actrices et les acteurs de jouer la comédie en même temps ?
Quand on baise, le scénario ne doit pas s’arrêter. Sinon, la scène de sexe est une coupure pub. C’est très difficile pour les garçons : garder ton texte en tête tout en étant en érection, c’est un truc pour animal de cirque. J’emmerde mes acteurs avec ça, mais ils sont contents parce qu’ils aiment la comédie. Du gonzo, ils en font tout le temps. Et quand t’as quatre pages de dialogues à tourner en 1h30, t’as intérêt à ce que tes acteurs et actrices soient hyper pointus. Du coup, j’écris des scénarios sur-mesure pour leur donner des rôles proches d’eux-mêmes.

Tu reçois beaucoup de demandes pour jouer dans tes films ?
Avant, les actrices restaient cinq ou six ans dans le métier. Maintenant, elles travaillent six mois, et on ne leur propose plus rien, à moins d’aller faire de la dilatation anale à Prague. Respectez les gonzesses ! Moi, j’ai toujours eu très peur du reproche de misogynie. Qu’on me dise que mes films sont mauvais, je veux bien, mais qu’on me traite de misogyne, ça me donnerait envie de pleurer. Alors j’ai la chance d’avoir une bonne réputation. Des nanas m’écrivent régulièrement pour commencer chez moi. Elles savent qu’elles n’auront pas besoin d’être recouvertes de sperme pour tourner. Mais je ne peux pas toutes les embaucher : il n’y a pas d’argent dans la caisse. Les indépendants comme moi ne peuvent déjà plus payer leur loyer. Est-ce que je vais devoir changer de métier ? J’ai 60 balais, j’aime beaucoup le porno, en 25 ans de métier je ne me suis pas lassé. Mais je n’arrive plus à en vivre. Je fais plein de gonzos avec ma bite pour réduire les coûts mais, à moins de trouver un mécène, j’ai l’impression que c’est sans issue. On en est là.

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