Des chiens qui font l'amour
Photo: Benoit Paillé

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Ce que j’ai appris sur moi en recontactant les garçons qui m’avaient filtrée

Je devrais suivre une psychanalyse.

C’est le premier hiver que je m’apprête à affronter seule depuis le début de mon activité sexuelle. Seule, sans copain ni quelqu’un pour m’amuser. Le néant. Alors j’appelle mon pote Pierre que je ne veux voir qu’en cas de grosse déprime. Dans un élan de bienveillance, il me conseille un documentaire sur un anglais qui, accablé de solitude, recontacte ses ex pour comprendre ce qui a foiré. Le soir même, je m’y colle. A complete history of my sexual failures suit en effet Chris Waitt, un mec de 30 ans aux cheveux longs, complètement paumé, fauché, sans ambition ni raison de vivre, dans sa quête du bonheur. Il se filme, triste mais résolu, en expliquant à sa caméra que le célibat a bon dos. Il amorce ensuite une sorte de voyage initiatique dépourvu de sens pour devenir « meilleur ».

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Grondée par l’ennui et l’isolement, j’ai eu l’idée de faire pareil, à quelques nuances près. J’ai demandé aux garçons qui m’avaient filtrée du jour au lendemain pourquoi, en prétextant que c’était pour un article. Évidemment, le but était quand même de me les retaper. J’ai pensé qu’en somme, ce serait dommage de ne pas vraiment en faire un article quand il est clair que les plus perdus d’entre nous pourraient en prendre de la graine. Par soucis d’anonymat, je les appellerai interlocuteur 1, 2, 3 et 4 à la place de leur prénom. Voilà ce que j’ai appris.

Je devrais suivre une psychanalyse

« Tu parlais de ton ex en continu. Pour info, le mec n’a pas besoin d’être amoureux de toi pour que ça le gonfle », me dit le premier. C’est pourtant ce que je pensais. Je n’ai eu qu’une seule vraie relation, d’une durée de cinq ans et scindée d’environ 35 ruptures. Il était donc difficile d’imaginer passer à autre chose quand je m’attendais à chaque fois retrouver un confort amoureux quelques mois plus tard. Généralement juste après les vacances d’été.

Cette aversion pour les filles qui parlent de leur ex a pu être corroborée auprès de tous mes amis garçons. Pour la raison obscure selon laquelle le mec aurait besoin d’imaginer être le premier à s’acoquiner avec elle ? Comme ceux qui exigent des photos à poil prises en live, pas recyclées. « Plutôt parce que la plus grosse phobie d’un mec qui s’apprête à baiser une fille c’est qu’elle le considère comme sa meilleure copine », me confie un ami. « Tu étais obsédée et j’avais un peu le sentiment que tu m’en parlais autant pour me prouver que tu étais maquable », rétorque mon interlocuteur numéro 1. Il m’aimait bien, je ne m’en rendais pas compte et passais mon temps à éplucher les épisodes du passé. Me le dire serait revenu à en parler encore plus et d’après lui, il en était hors de question. Ma propension à pouvoir me lâcher à peu près partout et avec n’importe qui a eu raison de moi puisque de fil en aiguille, la fréquence des appels et textos de mon interlocuteur s’est affaiblie pour se dissoudre totalement. Apparemment, les psys sont faits pour ne pas intoxiquer tous les autres.

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Je simule comme une folle

À 19 ans, j’étais une chaudasse en herbe et être un « bon coup » m’obsédait. Mon interlocuteur numéro 2 en a fait les frais. En discutant avec les uns et les autres, j’avais compris qu’il était possible d’être inoubliable simplement en manifestant son plaisir de façon exacerbée. Hurler était donc l’option la plus radicale. « Les orgasmes quasi épileptiques en à peine deux coups de bite, ça n’existe pas », m’a rappelé ce garçon un peu plus âgé que moi (le numéro 2), donc sensiblement lucide quant au fait que la conséquence que générait la cause était impossible. En effet, parce qu’à l’époque, des orgasmes, je n’en avais jamais eus. Si dans l’intimité de la chambre, j’étais en train de me faire croire que l’intensité de ma sexualité s’hypertrophiait, mon interlocuteur numéro 2 m’a appris que je cédais à la caricature en général. Je n’étais pas sûre de moi, j’étais prête à tout pour plaire et m’inventais une personnalité « plutôt nulle en plus », selon lui. On s’est vus deux fois et à mon texto « Je n’ai jamais été aussi excitée qu’hier soir, on se revoit quand ? », je n’ai jamais eu de réponse.

J’ai un insatiable besoin de reconnaissance

Comme je suis convaincue que la frustration est une fabrique à serial killer, je m’étais investie corps et âme dans la lutte contre celle de mon interlocuteur numéro 3. S’engouffrant dans un énième master en affaires publiques et enchaînant les stages à La Défense, je pensais que tout le destinait à se jeter du haut d’une tour à 40 ans, entre deux conf’call, faute d’avoir trouvé une babysitter pour le soir même. Or, j’estimais qu’il écrivait presque assez bien pour tout plaquer et devenir romancier, mais sans doute lui témoignais-je mes spéculations avec abus. « Aujourd’hui, j’adore mon boulot. Jamais je n’ai eu besoin de quelqu’un pour me faire entendre que j’étais dans le déni. L’intrusion dont tu faisais preuve m’écœurait, alors j’ai bloqué ton numéro » - s’affranchissant ainsi de mes encouragements à tout envoyer valser.

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Ce n’est pas que j’aurais pu être coach de vie, c’est que je me disais qu’orienter des garçons dans la bonne voie me conférerait un certain pouvoir, une certaine réputation. Celle de transformer les mecs que je baise en énormes stars. Les couples « puissants » dont un des membres n’aurait jamais pu devenir ce qu’il est sans l’autre me faisaient fantasmer. Changer, avec une étreinte, la mentalité de quelqu’un qui va droit dans le mur, était une manière d’apporter ma pierre à l’édifice. « Ça ressemblait plus à une tentative foireuse de manipulation ». Si les branleurs qui manquent cruellement de confiance et de perspective ont tendu l’oreille aux espoirs que je plaçais en eux, mon discours était loin d’être audible pour les bourrins broyés par dix années d’études sépulcrales et déterminés à se battre contre un impitoyable marché du travail.

Je ne sais pas qui je suis

Mon dernier interlocuteur a pris ses jambes à son cou lorsqu’il a réalisé qu’il y avait tromperie sur la marchandise. « J’ai compris que c’était la fin quand tu as commencé à me masturber devant le comptoir d’un bar en expliquant au serveur comment tu allais me sucer plus tard ». Une anecdote dont je ne me souvenais pas, à raison. « Si la libération que tu avais me séduisait au premier soir, cette sorte d’insolence sexuelle a finit par me faire peur ». Avant, je croyais en la fille « cool », celle qui enchaîne les mecs sans jamais s’attacher, je croyais en être et revendiquais à tout bout de champ mon indépendance émotionnelle. « Pour avoir niqué près d’une centaine de filles, je peux garantir que le mythe de la fille cool est strictement imaginaire », poursuit mon interlocuteur numéro 4. Quand j’avais des sentiments, je préférais les traduire par une extension de la promesse initiale en manifestant mon ultra disponibilité sexuelle à coup d’attouchements inappropriés et d’appels pathétiques à cinq heures du matin un mardi soir.

Ce garçon, je l’aimais bien et étais tétanisée à l’idée de lui dire autrement qu’en lui faisant horreur. « Je n’étais pas prêt pour un truc aussi imprévisible, trop intense pour embrasser mon éducation protestante », a-t-il ajouté avant de me proposer de me niquer dans une salle de ciné. Heureusement, ce qu’on appelle incohérence à 21 ans se redéfinit avec le temps et mute en une condition autrement acceptable et répandue : celle d’une salope sensible. Aujourd’hui, je baise et je dis « je t’aime », mais sobre.

À la question, pourquoi filtrer quand on prétend ne pas être un enculé, je peux imaginer qu’avant de devenir complètement adulte, nous sommes et avons affaire à des handicapés des relations en général. Que dire à quelqu’un « tu ne me plais pas » sans que la personne remette toute sa vie en question est rare, presque impossible à l’ère où, pour la plupart d’entre nous, la valeur humaine correspond au nombre de followers Instagram. Alors trois conseils : lire beaucoup pour apprendre à communiquer « tu es bien mais pas pour moi », se rappeler comme le fait le gourou de tout un chacun, Ariana Grande, que tout s’apprend. Même la patience et la douleur et que les seuls à pouvoir le faire, ce sont nos ex, et enfin, tâcher d’au moins prétendre ne pas avoir d’ego. Il serait dommage d’oublier que de cultiver de bons liens avec tout le monde peut permettre de pistonner ses futurs enfants avec sérénité.

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