Comment une chanson vénézuélienne est devenue le tube mondial de supporters

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Comment une chanson vénézuélienne est devenue le tube mondial de supporters

Chanté aussi bien à Lille et Nice qu'à Madrid ou Istanbul, le Dale Cavese s'est imposé comme l'un des hits des stades du monde entier. De Julio Iglesias aux travées de La Bombonera, retour sur un succès fracassant.

On l'a tous entendu. Dans un stade ou derrière sa télé. Le Dale Cavese est un des chants de supporters les plus célèbres au monde. Un chant aussi simple qu'entraînant, composé de deux syllabes « Oh oh oh oh ! La la la la la ! ». Chanté aux quatre coins du globe, du Japon à l'Uruguay, en passant par Lille et le Real Madrid, cet air s'est imposé dans toutes les tribunes mondiales avec un égal succès.

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Lorsqu'il est mort le 14 juin 2015, à 75 ans, Hugo Blanco était-il au courant que sa chanson était devenue mondialement populaire chez les supporters de ballon rond ? Car c'est bien d'une chanson qu'est parti le Dale Cavese et sa mélodie entraînante.

En 1958, le jeune vénézuélien de 17 ans compose une chanson à l'origine instrumentale et sans titre. « Il s'avère que l'ingénieur son avec qui je travaillais a pris les mots Café Molido (Café moulu, ndlr) d'une liste de courses que j'avais avec moi, pour identifier le son qu'on enregistrait, a avoué Hugo Blanco dans une interview à la SACVEN, la société des auteurs et compositeurs du Vénézuela. Le titre ne m'a pas déplu. Le seul changement que j'ai fait a été une petite inversion, ce qui donna Moliendo Café. »

Hugo Blanco, l'auteur de ce succès planétaire. Photo bestsongoflove.com

Il y ajoute ensuite des paroles, qui sont un seul et même couplet répété tout au long des trois minutes de la chanson: « Lorsque l'après-midi touche à sa fin et que les ombres renaissent, dans le silence les plantations de café se remettent à entendre la triste chanson d'amour du vieux moulin qui semble dire : un chagrin d'amour, une tristesse amène Manuel le "zambo" à être amer, il passe ses nuits à moudre du café inlassablement. »

La mélopée n'est pas restée cantonnée au folklore vénézuélien très longtemps. De nombreuses adaptations ont été tentées, pour adapter l'air à d'autres genres comme la rumba, le flamenco ou la salsa. C'est grâce à ces artistes de l'ombre que la chanson s'inscrit aujourd'hui au panthéon des chansons vénézuéliennes les plus connues à l'international, avec Alma Llanera et Caballo Viejo. De l'ombre, mais pas seulement, puisqu'elle sera même reprise par Julio Iglesias en 1976. Le vrai début du succès à l'échelle planétaire.

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Mais c'est en dehors des studios que la mélodie d'Hugo Blanco va connaître une nouvelle vie. Après la chanson de Julio Iglesias, les airs du Moliendo Café s'insinuent dans les travées de la Bombonera, le stade de Boca Juniors, par le biais de la 12, le groupe mythique de supporters Xeneize. Le chant est renommé "Dale Dale Boca" et les percussions fusent.

Pendant trois décennies, les fans du club argentin sont les seuls à vibrer au rythme de la chanson d'Hugo Blanco. Ce dernier est d'ailleurs attaqué en justice par son oncle, Jose Manzo Perroni, pour s'être approprié son oeuvre. Le gringo affirme alors qu'il a composé la chanson et que Blanco lui a raflé le mérite. Pour le neveu, Perroni avait bien enregistré l'oeuvre à la SACVEN, mais seulement car il était encore mineur.

Le litige dura même bien après la mort de Jose Manzo Perroni. Les héritiers du tonton demandèrent à Blanco soixante-deux millions de bolivars pour « l'absence du paiement du droit d'auteur d'un travail plagié ».

Plagiat et reprises, c'est un peu toute l'histoire du Moliendo Café. En avril 2007, une vidéo publiée sur Youtube et nommée "Dale Cavese" montre des ultras déchaînés d'un petit club italien de Campanie, le SS Cavese 1919, chanter sur l'air du tube d'Hugo Blanco, lors d'un match contre Ancône. Youtube n'en est encore qu'à ses débuts mais la vidéo connaît un vrai buzz. Elle a depuis récolté plus de 4 millions de vues.

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Les supporters du SS Cavese en 2013. Photo La Grinta

L'histoire veut qu'après un voyage en Argentine, un des amis du capo des ultras de Cavese aurait ramené un CD des chants des barras bravas de Boca. Le capo l'aurait ensuite popularisé dans les tribunes du Stadio Simonetta Lamberti. Une légende invérifiable.

Mais la vidéo a, elle, bien un auteur. Il s'agit d'Attilio Rufolo. Ce photographe freelance et professionnel a alors 37 ans. Il suit les groupes Ultras en Italie depuis 1989 : « J'ai fait cette vidéo simplement parce que je me trouvais devant la Curva Sud du stade, pour faire mes photos comme d'habitude », témoigne-t-il dix ans plus tard.

La vidéo en question

Vu qu'il a sur son blog des photos et des vidéos des ultras de Cava de' Tirreni, le groupe chanteur, Attilio Rufolo poste la vidéo sur Youtube, sans se douter de l'impact de la vidéo. « J'ai été énormément surpris, raconte-t-il tout en refusant d'endosser toute responsabilité dans le succès du Dale Cavese. Au final, je me suis simplement contenté de filmer le spectacle qu'offrait la Curva Sud. C'est vraiment les ultras de Cava de' Tirreni qui sont les seuls architectes de ce mélange d'émotions, de performance et de passion ».

Autant d'ingrédients qui popularisent le Dale Cavese en Europe et dans le monde. Ironie de l'histoire, Attilio Rufolo n'est absolument pas supporter de Cavese mais du Torino ! Le chant, lui, va même jusqu'à trouver sa place dans le Dictionnaire des Supporters : côté tribunes du journaliste Franck Berteau : « Ce chant, il a émergé d'un coup dans l'Hexagone. On l'a entendu de Marseille à Créteil, c'était assez fascinant. C'est assez particulier parce que les groupes de supporters aiment bien avoir leur propre chant et ne pas copier les autres », indique ce dernier.

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Le fait que le Dale Cavese provienne d'un chant vénézuélien ne l'a pas étonné plus que ça. « Historiquement, les groupes de supporters vont piocher dans les cultures populaires des différents pays pour se réapproprier les chants. On a du Charles Aznavour, du Edith Piaf. En Italie, il y a beaucoup de chants de variétés comme Laura Pausini. Même les chants militaires trouvent leur place », rappelle-t-il. Il précise par exemple que le fameux "Aux armes" est un chant militaire italien scandé par les chemises noires de Mussolini.

Depuis les années 2000 et la démocratisation d'internet, « énormément d'ultras passent du temps sur Youtube et voient ce qu'il se fait à droite à gauche à l'étranger », détaille Franck Berteau, qui continue: « Dès qu'ils entendent quelque chose qui leur plaît, ils s'empressent de calquer des paroles sur les chansons. On peut le voir avec le chant napolitain qui fait rêver tout le monde en ce moment. Alors qu'à la base, c'est vraiment une chanson de leur club. Et il est chanté à Nice, à Madrid… Partout quoi. »

Le chant du Napoli en question

Pour lui, le succès du Dale Cavese tient à une notion de « rythme et de rendu visuel » que cela peut donner sur les plateformes de vidéos. Et sa propagation en France tient aussi de la conjoncture. La Coupe du monde 2014 a confirmé un véritable attrait pour les chants sud-américains. « On a eu une grosse période où c'était plus l'Italie le modèle, quand les mouvements ultras se sont développés en Europe, lance le journaliste. Et depuis quelques années, la puissance vocale des latino-américains, leurs chants, leurs rythmes soutenus, ça plaît. Il n'y a pas un club qui n'a pas repris des chants argentins en France. »

Mais pour certains clubs, cette universalité des chants pose problème. Sur les forums bastiais, par exemple, le sujet divise. Certains disent que le chant est « coghju » ("sale" dans la langue insulaire) et est « à utiliser dans les cirques qui font office de stades pour les autres équipes. » D'autres soulignent que le Dale Cavese « a connu une ascension fulgurante de Marseille à Dunkerque en passant par Metz, le Puy et Pontivy » (on sent l'ironie) mais que la plupart des chants chantés à Furiani « ont été pompés ailleurs, dont quelques-uns à Marseille ».

Le chant des Bastia 1905 "Ssu cantu fachu di turchinu", est par exemple un chant italien des années 70, « qu'ils ont remodelés avec des paroles corses, vu qu'ils ne chantent qu'en Corse », clarifie Franck Berteau.

Qu'on le clame ou qu'il nous sorte par les oreilles, le Dale Cavese est désormais un tube mondial et reste bien ancré dans le carnet de chants des supporters. Jusqu'à la prochaine chanson d'un ado vénézuélien, en espérant que d'ici là, Despacito ne se glisse pas dans les travées des stades de Ligue 1.