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Pourquoi "Skyrim" restera à jamais dans l'ombre de "Morrowind"

Pour les fans, le troisième jeu de la série est de loin le meilleur. Et depuis, The Elder Scrolls est condamné à imiter Morrowind pour l'éternité

Difficile de dire où se situe vraiment Bethesda. La compagnie a de quoi être fière - ces dernières années, elle a financé la franchise Dishonored, supervisé la résurrection de DOOM, et surtout, elle a transformé Fallout, que l'on croyait mort au tournant du millénaire, en un véritable blockbuster qui génère des sommes colossales.

Mais si vous ne deviez vous en remettre qu'à des forums spécialisés, à Twitter et au reste d'Internet pour vous faire une impression du studio, vous penseriez sûrement qu'il est sacrément vilipendé. Détesté, même. Ses jeux font l'objet de plaintes récurrentes - les combats sont nuls, la technologie datée, les scénarios mal écrits, etc. Les séries phares de Bethesda, Fallout et The Elder Scrolls, sont dans la même impasse étrange que Call of Duty : apparemment, tout le monde les hait, sauf que tout le monde les adore. Les chiffres ne mentent pas, et le compte en banque d'Activision non plus.

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Cette dissonance peut s'expliquer en s'intéressant à Morrowind, le troisième jeu de la série Elder Scrolls, sorti en 2002. Mais aussi à ses suites : Oblivion, sorti en 2006 et devenu un immense succès pour Bethesda au début de l'ère Xbox 360, et Skyrim, sorti en 2011, qui doit bientôt être remastérisé et constitue le dernier opus en date de la série (si l'on veut bien excepter The Elder Scrolls Online, qu'on taira par pudeur).

Les différences entre Morrowind et son successeur immédiat sont considérables. Bien qu'Oblivion soit indubitablement une suite, il avait abandonné une bonne partie de ce qui faisait l'intérêt de la série, et de ce qui avait créé un lien si fort entre Morrowind et son public. L'univers orientalisant, avec sa faune exotique et ses champignons géants, avait été abandonné en faveur d'un monde plus "Tolkien", fait d'architecture européenne, d'animaux européens, et de forêts européennes. Beaucoup de fans du jeu précédent ont été déçus, et les différences allaient au-delà du seul aspect cosmétique. Oblivion avait été conçu pour rendre The Elder Scrolls plus accessible et attirant pour un public plus large à une époque où l'adaptation cinématographique du Seigneur des anneaux était encore dans toutes les têtes. Peu importe que la magie ait disparu en bonne partie - le but était clairement d'attirer un maximum de monde. Pour la toute première fois, Bethesda visait explicitement le marché des consoles

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Et ça a marché. Le côté très accessible d'Oblivion a propulsé The Elder Scrolls au rang de phénomène pour canapés, alors qu'auparavant la série était réservée aux ayatollahs du PC. Le jeu s'est vendu à 1,7 millions d'exemplaires en un mois, un chiffre qui a depuis atteint la barre des 10 millions, et la critique était presque unanimement positive. Skyrim est sorti cinq ans plus tard et a conservé le même souci d'accessibilité - et pourtant, le cinquième jeu de la série a aussi tenté de retrouver ce qui avait rendu Morrowind si spécial, revenant un peu sur les pas d'Oblivion. Car même s'il est celui qui s'est le moins bien vendu au 21ème siècle - le jeu original, Arena, et sa suite, Daggerfall, remontent respectivement à 1994 et 1996 - Morrowind est le jeu qui revient le plus souvent dans la bouche des fans. Skyrim fait ce qu'il peut pour évoquer Morrowind et l'imiter, à chaque opportunité - mais il est difficile de comprendre pourquoi sans s'intéresser de plus près à la relation entre Bethesda et son public "hardcore".

Un nombre considérable de fans de Bethesda considèrent Morrowind comme le point d'orgue de la série, et c'est cette communauté qui a l'oreille de Bethesda. Cette relation particulière est évidente à travers les jeux, qui sont bourrés de références à des private jokes récurrentes sur les forums de fans, en particulier via un personnage récurrent, M'aiq le Menteur, qui lâche en permanence des sarcasmes sur le goût des forumeurs pour les rumeurs et la spéculation, et qui le fait dans tous les jeux depuis Morrowind. Les développeurs connaissent leur public, et adorent jouer avec lui.

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L'une des idées dominantes au sein de ce public, c'est que la volonté d'Oblivion d'être accessible en a fait une version "simplifiée", voire "abrutie", de Morrowind - et pour être honnête, il y a du vrai là dedans. Il n'y a pas de marqueurs de carte à la Oblivion dans Morrowind. Chaque quête est présentée avec des instructions écrites. Allez vers le nord jusqu'à trouver un arbre bizarre ; allez à l'est jusqu'à vouloir mourir ; ce genre de trucs. Oblivion vous donne quasiment un GPS et vous dit d'aller tuer des trucs. Skyrim conserve le GPS mais rend la traversée des terres plus difficile, avec des zones très dangereuses, une météo parfois extrême, et une verticalité inédite.

Oblivion a amélioré la présentation globale de la série, mais s'est planté sur les détails. Ses habitants sont presque débiles en comparaison avec Morrowind, ou presque chaque personnage a des romans entiers à raconter. Oblivion a été entièrement doublé, mais n'a presque rien à dire - ce qui est sans doute lié. Skyrim a conservé les doubleurs, mais leur a donné plus de dialogues et s'est assurée qu'il faudrait finir le jeu plusieurs fois avant d'avoir entendu tout ce qu'ils ont à dire.

Morrowind force le joueur à jouer un rôle. Si vous rejoignez la guilde des voleurs, n'espérez pas pouvoir ensuite vous joindre à celle des soldats - les quêtes s'annulent mutuellement. Vous pouvez appartenir à une maison noble, mais pas aux autres. Pour explorer l'intégralité des missions et du contenu proposé par Morrowind, il faut le finir plusieurs fois, avec des personnages différents et une solide connaissance du système de jeu et de ses évolutions. Le jeu est conçu pour les nerds. Oblivion ne s'embarrasse pas de tout ça, et ne propose qu'une seule classe de personnage : le joueur. Celui-ci peut passer sans problème d'une guilde à une autre, changer de vie et d'allégeance en permanence, quelles que soient ses caractéristiques. Pas besoin de se prendre la tête pour devenir l'habitant le plus puissant de Cyrodiil ou le président de tous les clubs. Après quelques dizaines d'heures de jeu, tout devient absurde.

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Les quêtes de Skyrim, elle, s'entrecoupent à des moments où le joueur est contraint de choisir entre deux camps qui sont en guerre, ou de décider de tuer (ou non) des personnages importants. Ce n'est pas non plus l'immense richesse narrative de Morrowind, mais au moins cela empêche les joueurs d'absolument tout voir en une partie - ce qui a beaucoup énervé les fans dans Oblivion.

Au centre de la carte de Morrowind, on trouve la Montagne Rouge, un immense volcan qui crache des cendres dans le ciel, condamnant les champs et les récoltes aux alentours, privant le joueur de visibilité, et frappant les habitants de maladies horribles. Au centre d'Oblivion, on trouve une tour elfique, tout droite sortie des films de Peter Jackson. C'est tristement banal comparé à l'immense montagne cracheuse de suie du jeu précédent. Les fans de The Elder Scrolls ont toujours regretté les biomes extrêmement variés de Morrowind, ses champignons géants et sa faune monstrueuse.

Et c'est sans doute pour ça que l'extension d'Oblivion sortie en 2007, Shivering Isles, rappelait fortement Morrowind - les fans ont adoré retrouvé les champignons géants et les arcs narratifs complexes à choix multiples. Ce DLC est généralement vu comme la meilleure chose qui soit sortie d'Oblivion, et il est truffé de références directes à Morrowind - qu'il s'agisse de créatures ou de personnages. En tant qu'extension d'Oblivion, c'est assez étonnant. Mais en tant que lettre d'amour adressée aux fans de Morrowind, c'est parfait.

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Skyrim contient aussi de nombreux clins d'oeil à Morrowind, mais ceux-ci sont un peu plus tristes. La légende de son univers raconte que le territoire que le joueur explorait dans Morrowind, l'île de Vvardenfell, a été détruit par une éruption volcanique dévastatrice. Au cours des siècles passés, la Montagne Rouge a poussé ses derniers râles, détruisant la terre sur laquelle tant d'aventures s'étaient déroulées, annihilant tout espoir de retour dans la région - ce qui était certainement l'espoir des développeurs, on s'en doute.

Malgré quelques allusions folkloriques à Morrowind, et une continuité survantée avec les événements d'Oblivion, l'histoire et l'environnement de Skyrim s'en distinguent très fortement. Le jeu, riche en mythologie nordique et en putains de dragons, ressemble à l'aboutissement de tout ce que Bethesda a pu apprendre en une décennie passée à produire des Fallout et des Elder Scrolls. Les joueurs doivent faire des choix importants, les systèmes sont intuitifs, le scénario est riche, les personnages marquants. On aurait pu se dire que la compagnie avait établi un nouveau standard, et n'aurait plus besoin de rappeler en permanence à sa communauté ses exploits passés.

Et pourtant, Skyrim n'a pas pu s'empêcher de permettre aux joueurs de retourner à Morrowind dans sa dernière extension, Dragonborn. En revenant sur l'île de Solstheim, là où l'extension Bloodmoon de Morrowind se déroulait dix ans plus tôt, elle donnait aux fans l'occasion de revoir de vieux repaires, de se promener dans les ruines d'endroits visités auparavant, et - sans doute le plus important - de voir de près les restes encore fumants de Vvardenfell.

Il est tentant de penser, comme moi, que c'était purement symbolique. Bethesda veut enfin se défaire de Morrowind. Le studio veut que ses fans oublient enfin Morrowind. Mais vous ne pouvez voir les ruines de Vvardenfell que depuis Solstheim. La boucle est bouclée. The Elder Scrolls reste enfermé dans la prison créée par Morrowind, et est condamné à s'autoréférencer pour l'éternité. Dans The Elder Scrolls Online, vous pouvez visiter Morrowind. Vous pouvez même croiser M'aiq le Menteur. Pour Bethesda, il n'y a pas d'issue possible.

Ils devraient peut-être remasteriser Morrowind, en fait.