Playlist Imposée : Orval Carlos Sibelius

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Playlist Imposée : Orval Carlos Sibelius

Ce n’est pas seulement l’auteur d’un des plus beaux disques de 2017, c’est aussi et surtout la seule personne avec qui il est possible d’évoquer en quelques minutes Metallica, Yellow Magic Orchestra, Franco Battiato, Richard Gotainer et Judas Priest.

On a été parmi les premiers à vous prévenir : Ordre Et Progrès, le quatrième album d'Orval Carlos Sibelius sorti la semaine dernière chez Born Bad, est condamné à devenir un des trésors le plus précieux et singuliers de la pop française - de 2017 et au-delà. Après le sublime Super Forma en 2013, Axel Monnaud (l'homme derrière Orval Carlos Sibelius) signe un disque hors-monde, hors-cadre, hors-tout, soufflant le long de ses 11 titres un chaud-froid habile, entre arrangements luxuriants et paroles glaciales, générosité mélodique et humeurs désenchantées, perfection pop et labyrinthes insensés. L'occasion rêvée pour une playlist imposée, fatalement hors-monde, hors-cadre, hors-tout, qui nous emmène de Franco Battiato à Magma, en passant par Metallica, Judas Priest, Pink Floyd, Burt Bacharach, Richard Gotainer et même l'infernalissime Fish. Noisey : Le premier titre de ne nouvel album, c'est « Coupure Générale », je vais donc te demander de me donner un titre ou un disque que tu adores et qui marque justement une coupure nette dans la discographie de l'artiste en question.
Axel Monnaud : Là, le premier auquel je pense c'est le chanteur italien Franco Battiato qui a commencé dans la musique expérimentale avant de devenir une star de la pop dans les années 80. C'est quelqu'un dont j'ai beaucoup écouté les disques ces derniers temps et, même si j'aime beaucoup sa période expérimentale et électronique, ce que j'aime vraiment le plus c'est quand il fait de la pop. Les disques de cette période là, qui a démarré avec l'album L'era del cinghiale bianco, m'ont beaucoup inspiré, sur plein d'aspects d'ailleurs. Je lisais une interview de lui récemment où on lui demandait comment s'était faite cette évolution et il raconte qu'il a commencé par enregistrer quelques chansons à une époque où il n'avait pas beaucoup d'argent, pour toucher un public différent, et ça a tellement bien marché qu'il s'est fait piéger par le truc et qu'il y a pris plaisir. La musique expérimentale l'intéressait mais il avait aussi cette dimension pop au fond de lui.

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C'est assez amusant que tu commences l'album par un morceau intitulé « Coupure Générale », parce que toi aussi, même si tu n'as pas opéré une rupture aussi brutale que celle de Battiato, tu évolues beaucoup d'un disque à l'autre. Super Forma avait un côté très chaud, 60's, un peu psychédélique, Ascension était un disque instrumental, presque progressif et Ordre Et Progrès va encore ailleurs, vers quelque chose d'assez nouveau d'ailleurs, à la fois sombre et exubérant.
Je ne vois pas trop de rupture, j'ai l'impression de faire toujours un peu la même chose. Enfin, la même chose non, j'essaie de changer un peu… J'aimerais parfois passer complètement à autre chose, c'est vrai. J'adorerais faire un disque de pure musique brésilienne, par exemple, ou enregistrer des musiciens en Jamaïque. Mais il faut avoir les moyens artistiques de le faire. Je saurais pas me lancer là-dedans. Après, j'essaye plein de choses, je vois ce qui marche et ce qui ne marche pas et je fais le tri. Et ce que je garde, c'est moi, c'est ce qui créé la base de mon boulot.

Ce titre, Ordre Et Progrès, c'est venu d'où ?
Il n'y a pas de raison particulière. Je trouvais que ça sonnait bien. Et puis ce qui est intéressant, c'est que chacun peut l'analyser à se façon. Chacun peut y voir ce qu'il veut. Le progrès, c'est un concept qui généralement ne pose pas vraiment de soucis, par contre l'ordre… Certains tiquent sur le fait que ce soit la devise du Brésil, d'autres sur l'opposition entre les deux mots. Mais ça n'a pas été choisi délibérément, il n'y a pas de sens précis derrière ce titre.

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Le deuxième titre, c'est « Les Oubliés », je vais donc te demander un disque ou un artiste oublié, justement.
Je dirais Richard Gotainer, que j'ai pas mal écouté ces derniers temps aussi - même si je doute qu'il m'ait influencé. Quoique… [Rires] Je suis fan absolu de Gotainer, et surtout de son producteur et compositeur, Claude Engel, qui a également bossé avec Magma, Pierre Vassiliu, Françoise Hardy et même Sid Vicious. J'écoute très peu de musique chantée en français, je n'aime pas le fait que le texte accapare toute l'attention. J'aime bien justement ne pas comprendre, déconnecter complètement et me concentrer sur la musique.

Sur Ordre Et Progrès, tu chantes pourtant pour la première fois en français.
Parce que justement, il y avait un paradoxe : je n'aime pas la musique chantée en français et pourtant j'adore la musique brésilienne chantée en portugais, la musique italienne chantée en italien… Si ces artistes-là chantaient en anglais, j'aimerais beaucoup moins. Battiato dont on parlait tout à l'heure a par exemple fait quelques morceaux en anglais et le résultat est vraiment pas terrible. À un moment, je me suis donc demandé pourquoi je bloquais à ce point sur le français alors que c'était ma langue et que j'étais donc forcément plus à l'aise avec elle qu'avec l'anglais. Et ça n'a pas été simple de passer le cap, parce que j'aime la sonorité de l'anglais, que j'y suis habitué et que je galérais vraiment avec le français.

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C'est ce qui a amené ces textes plutôt… je ne dirais pas sombres, mais en tout cas plus durs que ce qu'on pouvait attendre de toi ?
Je ne sais pas. Le fait qu'on me comprenne, forcément ça joue. Je me voyais mal chanter « le soleil brille ». Après, entre « le soleil brille » et « on va tous crever », il y a pas mal de marge de manoeuvre [Rires]. Il y a un peu des deux finalement. Quand ça devient très sombre, il y a toujours un petit côté léger ou amusant pour faire retomber le truc.

C'est clair qu'on n'est pas non plus chez Mendelsson. Et puis il y a les photos promo où tu es habillé en légionnaire dans les couloirs du métro, on sent que tu as voulu mettre une distance.
Oui, et puis la musique reste assez gaie et enlevée malgré tout. Ce qui est intéressant, c'est le contraste, le côté chaud-froid.

Titre suivant, « Coeur De Verre », je vais donc te demander un titre ou un disque précieux, délicat, finement ciselé.
Tu connais New Musik ? C'est un groupe anglais de la fin 70 début 80, grand habitué des bacs à soldes. À chaque fois que je tombe sur ce type de groupe, je me dis « mais pourquoi tout le monde revend leurs disques ? ». Ça provoque chez moi un mélange assez étrange de fascination et de mépris [Rires]. Et puis un jour, un pote m'a fait écouter un de leurs disques et je me suis dit « mais c'est carrément pas mal en fait » De là, j'ai creusé un peu le reste de leur discographie et j'ai découvert un groupe justement très délicat, très pointilleux, qui fait un genre de synth-pop hyper bien produite avec des nappes de synthé, de la guitare douze cordes et un côté gentiment post-punk à la XTC. Il y a vraiment eu un double effet avec ce groupe : à la première écoute j'ai trouvé ça assez terne, assez quelconque, et puis à la deuxième, le déclic. J'ai même développé une sorte d'obsession pour Tony Mansfield, le compositeur et producteur du groupe. Et parmi leurs albums, il y en a un qui se hisse au-dessus du lot, je trouve, c'est le troisième, Warp, sorti en 1982. Sur celui-là, Mansfield est quasiment tout seul, il a viré tout le reste du groupe et les compositions sont un peu moins bonnes que sur les deux précédents, mais il y a un son vraiment particulier, unique. Pour l'anecdote, Tony Mansfield a mixé la toute première version de « Take On Me » de a-Ha, qui est assez différente de celle sortie par la suite.

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Quatrième titre, « Mémoire De Forme ». Je vais te demander cette fois un disque ou un artiste qui t'a accompagné tout au long de ton parcours, que tu as écouté très jeune et qui te passionne toujours.
Je dirais Burt Bacharach. Bon, je n'écoute plus tellement ses disques en ce moment mais si je fais mes courses et que j'entends « Walk On By » dans le supermarché, ça me fascine toujours [Rires]. Parce que c'est ultra-accessible mais ça n'est jamais ostensible ni lourdingue, c'est toujours très léger. Il y a un côté presque miraculeux dans sa musique, je trouve.

On passe ensuite à « À Ma Décharge ». Je vais donc te demander un disque ou un artiste qui est une lubie très personnelle, un truc auquel ton entourage ne comprend rien mais que tu assumes totalement.
Forcément du rock progressif. J'ai l'impression que c'est le seul style de musique que les filles détestent, je sais pas pourquoi.

C'est toujours le cas, je crois. Un pote me disait il y a quelques années qu'il avait été voir The Mars Volta et il avait été un peu mal à l'aise en réalisant qu'il n'y avait pas une seule fille dans la salle [Rires]
De Yes à Rush, c'est vraiment un univers de mecs, et de mecs un peu nerds vu que les chansons ne parlent quasiment jamais d'amour. Il y avait des filles dans Magma cela dit, mais Magma c'est un peu différent, ça dépasse les limites du rock progressif.

Sixième morceau, « Locus Solus ». Ça a un rapport avec le roman de Raymond Roussel ?
Ah oui, complètement. J'étais en train de le lire au moment où on l'a enregistré, du coup au moment où il a fallu trouver un titre…

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Je vais dont te demander un disque qui, selon toi, s'écoute comme on lit un roman, un disque qui te raconte une histoire.
Ah là ça va être très simple : The Wall de Pink Floyd. Un peu facile, vu que c'est un des concept-albums les plus célèbres jamais enregistrés, mais c'est le premier disque qui m'a vraiment éclaté le cerveau quand j'étais ado. Le premier disque qui me parlait vraiment - à tel point que j'avais l'impression qu'il avait été écrit pour moi. Et tout ça, sans voir le film, auquel je n'ai eu accès que des années plus tard. C'est un disque que j'ai écouté des centaines et des centaines de fois, que je connais par coeur, mais que je trouve toujours fascinant. Quand je l'écoute aujourd'hui, l'émotion est quasiment la même. Il y a eu une période où je l'ai un peu rénié cela dit, quand j'ai eu ma période punk/indie…

Il y a toujours une période où tu rejettes tes premières passions, mais tu finis toujours par y revenir.
Oui, alors qu'Infectious Grooves par exemple, j'y suis jamais revenu [Rires].

Morceau suivant, « Dopamine », donc forcément je vais te demander un disque qui t'active, qui te donne de l'énergie.
Ride The Lightning de Metallica. Je l'ai réécouté récemment et j'ai été assez surpris.

C'est un disque assez intéressant dans le sens où il est vraiment au croisement entre le côté très brut et adolescent de Kill 'Em All et celui, plus prog et ambitieux de Master Of Puppets. Ça donne un genre de thrash futuriste hyper-accrocheur.
Oui, j'adore. Alors que …And Justice For All, je peux pas, je le trouve vraiment trop lourdingue.

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Pareil, je trouve les morceaux hyper lugubres, sans relief, dix fois trop longs… Et le son est horrible.
Ce son de caisse claire, c'est un cauchemar [Rires] Et puis il faut dire ce qui est : il y a moins de tubes. Mais les premiers tiennent vraiment bien la route. Je ne m'imaginais pas forcément les réécouter en vieillissant mais j'y reviens assez souvent, et pas forcément pour les mêmes raisons qu'il y a 20 ans. Alors que The Wall, si je n'avais pas découvert ça étant jeune, je ne suis pas sûr que ça m'aurait intéressé aujourd'hui. C'est un autre type de disques, de ceux qui doivent te cueillir au bon moment.

On passe à « Antipodes », donc je vais te demander un disque ou un artiste originaire d'un endroit lointain.
Je vais choisir le Japon, pour Yellow Magic Orchestra. Ils ont d'ailleurs aux aussi bossé avec New Musik dont on parlait tout à l'heure ! Je suis allé au Japon en décembre dernier, j'ai passé 10 jours là-bas et ça m'a donné l'occasion de replonger dans YMO et dans les projets solos des membres du groupe. C'est vraiment un groupe unique, à la fois extrêmement kitsch et en même temps hyper en avance sur plein de choses.

C'est vrai que c'est foisonnant, si on sépare chaque détail, il y a quasiment autant de sonorités infernales que de choses complètement délirantes.
Oui, ton cerveau fait le tri, et c'est ça que je trouve excitant dans la musique, quand tu as en même temps des zones de ton cerveau qui se sentent agressées et d'autres qui sont totalement envoûtées [Rires] C'est là ou ça devient vraiment intéressant. Et chez Yellow Magic Orchestra, c'est ça tout le temps.

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Neuvième titre, « Désastres Et Compagnie », on va donc passer à un disque désastreux, raté, mais que tu aimes malgré tout.
Bon, je vais être catalogué prog à vie avec ces conneries mais je vais dire le deuxième album solo de Fish, le chanteur de Marillion [Rires]. Ado, j'adorais Marillion et j'ai donc suivi la carrière solo de Fish quand il a quitté le groupe. J'avais adoré son premier disque et quand le deuxième est arrivé, j'étais vraiment très excité. Rien que le titre, Internal Exile, je me suis dit que ça allait être un album introspectif et mélancolique complètement génial [Rires]. J'avais saoulé mon disquaire à l'époque pour qu'il me garde la PLV - et je l'ai eue, elle est d'ailleurs toujours dans ma chambre chez mes parents. Mais le disque avait été une énorme déception. Je l'ai gardé malgré tout, et j'ai essayé je ne sais combien de fois de lui redonner une chance, mais ça a toujours coincé. En même temps, à l'époque, t'avais pas le choix. Quand t'achetais un disque et que tu tombais mal, tu te forçais un peu.

Avant-dernier titre, « Entrefer ». Je ne connaissais pas l'expression, ça désigne une coupure dans un circuit magnétique.
Exactement. Encore un mot dont j'aime bien la sonorité et que j'ai choisi sans raison précise.

Comme on a déjà parlé de coupure en début d'interview, on va plutôt parler de fer et de metal alors. Je vais te demander un disque ou artiste metal qui t'a particulièrement marqué.
J'ai toujours été attiré par le versant plus mélodique du metal, les groupes comme Iron Maiden ou Helloween… Les deux se ressemblaient énormément d'ailleurs. C'est marrant, c'est un truc que tu réalises souvent des années plus tard que les groupes étaient quasiment des copies carbone les uns des autres. Ça m'a fait pareil avec pas mal de groupes de rock indé. Je dirais Sad Wings Of Destiny de Judas Priest avec cet incroyable morceau d'ouverture, « Victim Of Changes ». Je me souviens surtout d'un thème de guitare, d'un petit riff de guitare super tordu qui m'avait retourné le cerveau sur « The Ripper », c'est un truc qui me revient souvent quand je compose. Et puis la voix de Rob Halford, qui est délirante.

On finit avec « Monument », et je vais donc tout naturellement te demander un disque-monument, un truc gigantesque, emphatique, très riche ou très produit.
Magma Live ! Le groupe est un trésor nationale et ce disque est, pour le coup, réellement monumental, très physique. Parfois, le groupe jouait à deux batteurs, avec un deuxième type qui était positionné derrière Christian Vander, et qui du coup ne voyait rien d'autre que la nuque de Christian Vander de tout le concert [Rires] Après, si je devais retenir un titre, je dirais « Zess », dans une version qui n'a jamais été enregistrée mais qu'on trouve sur YouTube, filmée sur scène à Bobino. Le groupe porte d'horribles costumes disco à paillettes et il joue ce titre d'une dizaine de minutes qui donne une impression d'accélération permanente.

Ordre Et Progrès est disponible sur Born Bad. Lelo Jimmy Batista n'est pas sur Twitter et n'envisage pas d'y retourner, mais il traîne généralement dans le coin. Titouan Massé est sur Facebook et Tumblr.