« Déjà avant, c'était pas simple de faire venir les artistes, à cause des menaces d'attentats et es mesures de sécurité. Alors que dire de maintenant ? La Tunisie va devenir la bête noire des DJs », lâche-t-il, dépité.
Car la première semaine d'avril fut longue pour la scène électro tunisienne. Elle a bénéficié en ce début de mois d'une attention et d'une couverture presse sans précédent. Sauf que ce n'est pas le coup de projecteur tant attendu sur une scène qui décolle mais, à quelques semaines seulement de la saison des festivals, un mauvais coup de pub à caractère religieux, qui les oblige à ouvrir un débat sur leur liberté d'expression et de création.L'affaire commence le vendredi 31 mars. Dax J, un DJ britannique résident au Berghain à Berlin et sommité de la frange techno de l'électro, est l'un des gros noms que l'Orbit Festival de Hammameta réussi à accrocher au programme de sa seconde édition. Dax J en vieux briscard, lance son set et tout le monde s'amuse. La soirée semble se dérouler sans problème. Sauf que ce set contient un morceau dont le vocal est tout simplement l'appel à la prière. Quelques sifflets se font entendre, Dax J quitte la Tunisie peu après la soirée.
Tout s'emballe lorsqu'une vidéo de la soirée est partagée le 2 avril. Les insultes et menaces de morts pleuvent sur les profils de Dax J, qui tente de s'excuser à travers un statut Facebook publié sur la page de l'événement, avant de disparaître des Internets. Mis au courant de l'histoire, le gouverneur de la région ordonne la fermeture du club El Guitoune, où le festival se déroulait.
Le ministère tunisien des Affaires religieuses y va de son commentaire : « Se moquer des sentiments des Tunisiens et de leurs principes religieux est une chose absolument inacceptable », peut-on lire dans un communiqué fustigeant « des actes portant atteinte au sacré et aux rites religieux ». Contacté par VICE News, le ministère affirme que « l'affaire n'appartient pas au Ministère des Affaires religieuses mais aux autorités judiciaires de Nabeul [Gouvernorat auquel appartient Hammamet] » et que le communiqué visait avant tout « à appeler au calme et à éviter des débordements de la part de la population ».
Dans la foulée, un obscur syndicat d'imams, le Conseil des syndicats des imams et des cadres des mosquées, minoritaire, s'offre une tribune inespérée, relayée par toute la presse, appelant à fermer les discothèques et les points de vente d'alcool et à se tourner vers le « tourisme-charia ».
Dax J, le gérant des lieux, tout comme l'un des organisateurs du festival, sont visés par une enquête pour « atteinte aux bonnes mœurs et outrage public à la pudeur » selon les articles 226 et 226 bis du Code pénal. Le jugement tombe le jeudi 6 avril : le DJ est condamné par contumace à un an de prison, les autres sont relaxés.
Oussema Helal, avocat et membre du Collectif pour les libertés individuelles, a suivi l'affaire avec attention. « Il est très alarmant aujourd'hui de trainer des gens devant des tribunaux pour de la musique ou une oeuvre artistique », juge-t-il, estimant qu'il s'agit d'une atteinte à la Constitution, qui garantit les libertés d'expression et de culte. Problème : le texte, adopté en 2014, stipule également que l'État est le « protecteur du sacré ». Des contradictions qui permettent à la fois aux pourfendeurs et aux défenseurs de Dax J d'invoquer la Constitution.
« Ce n'est pas la première fois que l'on se sert de l'adhan [Ndlr, l'appel à la prière] dans une oeuvre musicale, c'est récurrent, » ajoute Oussema Helal. « Ce qui est spécial cette fois-ci, c'est que ce soit dans une boîte de nuit, donc alcool, danse, etc… » Et de rappeler que le parquet ne s'est saisi de l'affaire qu'après les réactions sur les réseaux sociaux. « Bref c'est de la surenchère », regrette-t-il.
Cet article a à l'origine été publié par VICE News France.Suivez Timothée Vinchon sur Twitter.
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