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Tribune

Comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer ma bedaine

Le « body positive » n’a pas lieu d’être s’il ne glorifie qu'un certain type de corps – et si je veux changer la donne, il faut que j’assume moi-même ce qui me complexe le plus.

Cet article a été initialement publié sur VICE US

En ce moment, les mannequins « grande taille » sont légion dans le monde de la mode et des médias. L'année dernière, Sports Illustrated a mis la mannequin plus-size Ashley Graham en couverture de son magazine, un choix éditorial applaudi de tous côtés. Récemment, une autre mannequin plantureuse, Hunter McGrady, en a également fait la couverture. La marque Dove participe au mouvement body positive depuis longtemps, souhaitant montrer des « vrais » corps dans ses campagnes de publicités ; et des marques telles que Lane Bryant et Aerie ont suivi l'exemple. Ces jours-ci, je ne peux plus aller sur Instagram sans avoir l'impression d'être envahie de comptes sexualisant les formes des femmes, leur embonpoint, leur volume – peu importe la manière dont vous appelez ça. Dans les commentaires de ces photos qui mettent l'eau à la bouche, on trouve des emojis avec des cœurs à la place des yeux et des emojis « gouttes d'eau », représentant l'éjaculation. Et même si c'est bizarre dit comme ça, c'est quand même aussi pour ça qu'on s'est battues, pas vrai ? Pourtant, il y a toujours quelque chose qui cloche. Je me sens toujours exclue malgré ces nouvelles techniques pour encourager les femmes à aimer leurs corps, car il y a toujours quelque chose qui manque chez ces mannequins : la bedaine. Tous ces corps dont on fait la promotion lors des campagnes d'estime de soi ont des hanches et des cuisses larges, des visages ronds et des fesses rebondies, ce qui est bien. Mais tant qu'on interdit aux ventres d'avoir leur heure de gloire, il nous reste encore beaucoup à faire pour s'éloigner des standards de beauté problématiques imposés aux femmes.

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Bien entendu, il existe des mannequins plus-size ayant du ventre (comme Tess Holiday, élue « première mannequin taille 54 au monde » lorsqu'elle a fait la couverture de People, en 2015). Seulement, elles sont en minorité par rapport aux mannequins aux hanches bien proportionnées et aux abdos visibles. À cause de tout cela, j'avais l'impression de ne pas pouvoir me comparer à ces femmes, alors même que la société semblait me dire que je pouvais enfin le faire. Quand je parle de mon corps, je dis que je suis « enceinte de six mois depuis des années ». À l'époque où j'en avais quelque chose à foutre, toutes les techniques de perte de poids que j'ai essayées ne m'ont pas fait perdre du ventre. Ma famille a désespérément tenté de me venir en aide : pour mon 18ème anniversaire, ma mère m'a offert une carte d'adhésion à Amazonia en pensant me faire plaisir. Assez ironique comme cadeau, surtout que ma morphologie est principalement due à la génétique, comme pour beaucoup de monde.

La plupart des femmes de ma famille font partie du club des « ventres qui pendent », mais ça ne m'a jamais empêché de détester le mien : pour être honnête, même lorsque j'ai commencé à accepter mes rondeurs, la seule chose que je souhaitais secrètement voir disparaître était mon bide. C'était un boulet qui, à défaut d'être autour de mes chevilles, se trouvait autour de ma taille. Pendant un moment, je me suis nourrie exclusivement de quinoa et de choux, et je me demandais pourquoi mes bourrelets ne disparaissaient pas.

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J'essayais toujours de cacher mon ventre sur les photos. Je préparais mes vêtements de la journée en fonction de mon corps. Je me disais que ce comportement était normal, tant que j'étais fière du reste ; après tout, même si l'on est très à l'aise avec son corps, on a tous un petit quelque chose qui nous fait complexer, pas vrai ? Mais après une introspection plus profonde, j'ai compris pourquoi je détestais mes bourrelets : c'était la seule chose qui me différenciait de ces mannequins plus-size, qui apparaissent de partout depuis le début de la décennie. J'étais censée aimer mon corps, mais je n'avais toujours pas le « bon » type de gras.

Sarah Murnen, psychologue sociale et professeur d'étude des genres au Kenyon College, dans l'Ohio, a étudié la sexualisation des femmes depuis les 25 dernières années. Pour elle, cette campagne « d'acceptation de soi » n'est pas forcément encourageante pour les femmes plus rondes ; à la place, elle encourage ce que Mme Murnen appelle « l'idéal plantureux », c'est-à-dire un corps qui n'est plus gros que là où c'est considéré comme joli. « L'idéal plantureux, c'est d'être sexy », explique-t-elle.

Il faudrait que la définition de « l'acceptation de soi » soit plus large, et cette acceptation doit venir des femmes qui ne se retrouvent pas dans les photos de mannequins plus-size. Ça ne peut pas venir d'entreprises cherchant à vendre un produit ou de magazines voulant suivre le mouvement. Et si certains pensent que la sexualisation du bide (ou de toutes autres parties « indésirables » du corps féminin que l'on occulte ces jours-ci) peut être dangereuse, nous devons alors nous pencher sur cette différence entre transformer une femme en objet sexuel et la laisser s'émanciper.

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Il n'y a pas de honte à vouloir être désirée ou sexuellement attirante : j'espère l'être en permanence. Dans le passé, j'ai tenté de transformer mon corps en cette grande taille idéale pour me sentir désirée : j'ai caché ma bedaine, mes vergetures, ma cellulite et mes poils, car je craignais que les hommes ne les voient. Ce n'était absolument pas valorisant, car je pensais en priorité à ce que les autres voulaient que je sois. Si j'avais eu toutes les cartes en main, j'aurais fait de mon ventre la star du show.

Aujourd'hui, j'ai accepté mes poignées d'amour. Mon ventre n'est plus en captivité : j'ai dévoilé mon corps, bourrelets compris.

J'ai l'impression d'être baisable, selon mes propres conditions. Je n'en ai plus rien à foutre si les gens n'aiment pas ce qu'ils voient. Si tu n'aimes pas mon corps, alors je n'essaierai pas de coucher avec toi, donc ton opinion ne compte pas.

Bien entendu, certaines personnes continueront d'être méchantes. Être une femme avec une opinion sur Internet, c'est apprendre à faire face à des cons et des rabat-joie qui vont essayer de gâcher tout ce que vous avez accompli. Mais si on s'unit face à eux, si on se soutient mutuellement lorsqu'on dévoile nos corps « non conformes », alors la négativité sera étouffée jusqu'à ce que nos corps soient tous considérés comme conformes.

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