Au pied des monastères, le vin dix-sept fois centenaire des Assyriens

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Au pied des monastères, le vin dix-sept fois centenaire des Assyriens

Malgré la guerre qui secoue le pays voisin et les différences culturelles, la petite communauté de chrétiens assyriens de Turquie continue à faire le vin comme ses ancêtres.

En cette après-midi ensoleillée d'automne, un froid sec vient surprendre les visiteurs du monastère Mor Gabriel. C'est ici que Kuryakos Acar, 30 ans, a passé une bonne partie de sa vie estudiantine. Pour ce trentenaire qui appartient à la petite communauté de chrétiens assyriens établie en Turquie, pouvoir nous servir de guide raisonne en lui comme une fierté.

Les Assyriens constituent un groupe ethnique et religieux originaire de Mésopotamie. Ils parlent de syriaque, une langue araméenne très proche de celle que parlaient les contemporains de Jésus.

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« Même si nous ne sommes plus que 15 000 à vivre ici, je n'ai pas le sentiment de faire partie d'une minorité », déclare Kuryakos.

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Le minaret qui surplombe la ville de Mardin, en Turquie. Toutes les photos sont de l'auteur.

« Ici, c'est chez nous depuis une époque très ancienne », nous dit-il, à propos de Mardin et des terres entourant cette très belle vieille ville du sud de la Turquie. La frontière avec la Syrie est toute proche.

Si Kuryakos est passionné par Mor Gabriel, ce monastère érigé à Mardin il y a de cela plus de dix-sept siècles, et qu'il est fier d'être citoyen turc d'ascendance assyrienne, il n'est pas guide de profession pour autant : dans la vie de tous les jours, il est marchand de vin.

Le vin a une valeur culturelle et identitaire très forte au sein de la communauté assyrienne. Jusqu'à récemment, les locaux cultivaient la vigne – que ce soit dans les jardins privés ou au sein des monastères – et vinifiaient le vin eux-mêmes.

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Le monastère Mor Gabriel.

« On aime le vin, mais on ne boit jamais jusqu'à l'ivresse. C'est le symbole du sang du Christ. La plupart des familles assyriennes font du vin chez elles pour en avoir un verre lors du dîner », continue Kuryakos.

Produire son vin maison est une tradition qui a la dent dure chez les familles assyriennes et nombreuses sont les anecdotes qui entourent sa production et sa dégustation.

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Une bible syriaque.

« Il faut beaucoup de force physique pour faire du vin. Tout le monde se réunit sur le toit pour aider », nous confie Edip Balci, 52 ans, le gérant d'un magasin de vins assyriens et d'autres souvenirs dans le vieux Mardin. Les bénéfices de son commerce servent à conserver et restaurer Mor Gabriel, l'iconique monument de la ville mais aussi le plus vieux monastère assyrien orthodoxe du monde. Ici, l'importance culturelle et spirituelle de l'édifice s'impose comme une évidence.

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Si à Mardin, depuis des siècles, tout le monde cohabite pacifiquement, le vin local reste tantôt une source de dialogues, tantôt une source d'incompréhensions entre les communautés assyriennes et musulmanes de la ville.

« Quand on n'arrivait pas à faire tout le travail nous-mêmes, on embauchait nos voisins [musulmans] pour nous aider. Comme le vin est haram dans l'Islam, certains hésitaient à nous aider, mais il faut bien gagner sa croûte. »

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Une cave à vin, à Mardin.

Par exemple, par le passé, Edip et sa famille ont déjà eu à dissiper quelques malentendus qui régnaient autour du vin chez leurs voisins de confession musulmane : « Ils pensaient qu'on ajoutait des ingrédients haram (impurs) pour transformer le raisin en vin, donc on leur a expliqué le processus de fermentation. On leur a montré que ce n'était pas de la sorcellerie assyrienne mais simplement l'œuvre de Dieu », ajoute-t-il dans un grand sourire.

En arrivant au pouvoir en Turquie en 2001, l'AKP a entamé un processus de paix pour mettre fin aux décennies de conflits entre les Forces Armées Turques et les rebelles kurdes. La ville de Mardin a alors reçu beaucoup d'investissements et connu un boom touristique. Du coup, les Assyriens qui avaient l'habitude de faire leur vin dans leur coin sur les toits des maisons ont voulu saisir cette opportunité. Et le premier magasin de vins de la communauté a ouvert en 2008.

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Du vin assyrien.

En 2017, presque une décennie plus tard, le processus de paix est loin d'avoir abouti, une guerre dévastatrice a éclaté dans le pays voisin, en Syrie, et le tourisme qui commençait à se développer a pris un sérieux coup. Bien que la production vinicole ne s'arrête pas, force est de reconnaître qu'elle est aujourd'hui essentiellement destinée au petit marché turc. Mais grâce à son histoire si singulière et ses traditions, la culture du vin assyrien arrive tranquillement sur le devant de la scène internationale.

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« Les Assyriens ont une culture et des traditions très riches – on est connus pour notre argenterie, nos monastères, notre gastronomie et bien sûr, nos vins. Les professionnels du tourisme et les patrons des grandes chaînes d'hôtel ont tous compris l'intérêt économique qu'ils pouvaient tirer de ce patrimoine, et c'est ce qui rend notre vin encore plus demandé », nous explique Edip.

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« Ce regain d'intérêt me réjouit, mais il fait de notre culture un simple objet de consommation exotique », ajoute Edip qui fait sûrement référence à ceux qui consomment du vin assyrien pour être à la mode sans même s'intéresser à la culture qui l'a fait naître.

« Maintenant que le [vin assyrien] gagne en popularité, beaucoup de gens [dans le négoce du vin] en profitent. Ils produisent un vin [non-assyrien] et ils mettent une étiquette ''vin assyrien'' dessus pour mieux le vendre. Cela porte atteinte à notre réputation car ces vins ne ressemblent en rien aux bons vins que nous produisons, bio et sans additif ».

Malgré la crise qui perdure dans la région et l'appropriation culturelle qui plane autour de leurs produits, les vignerons assyriens savent rester optimistes : la réputation de leurs vins ne cesse de croître, lentement mais sûrement, un peu partout dans tout le monde.

« Notre vin a beaucoup de potentiel et, si nous y travaillons et si la situation s'améliore dans la région, je crois sincèrement qu'il peut conquérir la planète, explique Kuryakos. Et d'ailleurs, même si personne n'en achetait, on continuerait à produire du vin pour notre consommation personnelle, quelque chose que l'on fait déjà depuis des milliers d'années ».