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Sports

Pendant l'été, la saison de saut à ski ne s'arrête pas

On a assisté à une épreuve de saut à ski, au village du Praz, à Courchevel, en pleine période d'apéro au pastis.
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C'est ici qu'en 1992, à l'occasion des JO d'Albertville, s'étaient déroulées les épreuves olympiques de la discipline. Depuis, la station la plus bling-bling des Alpes françaises avec ses trottoirs chauffés et ses chalets à 30 000 euros la nuit accueille une manche du Grand prix d'été, compétition estivale de saut à ski et sorte de Coupe du monde "bis". Autour des gradins et de la buvette qui font face à l'aire d'arrivée, des skieurs se promènent torse nu sous leur combinaison entrouverte jusqu'au nombril. « Ce qui est cool, c'est que l'été on peut se balader la combinaison ouverte entre et après les sauts. Par contre, quand on remonte la fermeture, on crève de chaud », rigole Coline Mattel, l'une des meilleures françaises, qui prendra la 20e place de l'épreuve. Dans la zone VIP, d'où part le funiculaire au design kitsch typique des années 1990 qui monte vers la zone de départ des tremplins, les officiels de la Fédération internationale de ski (FIS) et les entraîneurs se mettent au frais en avalant des grandes rasades de champagne et en croquant des churros au Nutella. Un mélange de raffinement et de mets plus grossiers, qui résume à lui tout seul Courchevel.

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À quelques dizaines de mètres de là, les enfants de la station tendent maillots et casques à dédicacer à chaque athlète qui sort de la zone mixte. Les plus audacieux demandent en anglais, d'une phrase souvent apprise par coeur et plus ou moins bien retranscrite, une paire de gants ou de lunettes.

En cette période d'apéro au pastis, les sauteurs professionnels préparent l'hiver, et les jeunes talents qui tapent à la porte du grand monde tentent de se faire une place en équipe nationale. Si la plupart des membres du top 10 manquent à l'appel chez les hommes, la Japonaise Sara Takanashi, numéro 1 de la discipline, est là. Elle a encore déchiré le ciel pour s'envoler à 99,5 mètres, loin devant les autres.

Car oui, l'absence de neige n'est pas un frein aux performances. Quand le soleil brille en montagne, le gazon remplace la neige à l'atterrissage et des billes de céramiques tapissent la pente en lieu et place de la glace. Des ingrédients qui font du saut à ski le seul sport d'hiver qui se pratique également l'été en compétition. « Les billes de céramiques c'est vraiment la même sensation que la glace. Ils ont essayé plusieurs choses, comme du plastique, mais ce n'était pas vraiment convaincant. Alors que la céramique c'est parfait », note d'un oeil expert Nicolas Dessum, entraîneur de l'équipe de France des moins de 16 ans.

Avant l'envol des premiers athlètes, des canons pulvérisent d'eau l'herbe rase pour la rendre plus glissante. Un drone en démonstration participe également à l'opération pluie artificielle. Un arrosage pas superflu, car l'herbe tendre peut se transformer en piège pour les sauteurs. « La première chose qu'on apprend aux jeunes pour le saut à ski l'été, c'est à se mettre sur les fesses pour ne pas tomber à l'arrivée. Après, chez les pros c'est vraiment un truc qu'ils maîtrisent », explique Nicolas Dessum.

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Pour ne pas finir le nez dans le gazon à la réception du saut, « il faut vraiment s'accroupir sur les fesses pour avancer », confie Coline Mattel. « On a l'habitude de ce gazon qui nous freine beaucoup », ajoute le sauteur Ronan Lamy-Chappuis, frère de Jason, héros des JO 2010 à Vancouver où il décrocha l'or en combiné nordique (ski de fond et saut à ski, ndlr).

Dans les catégories jeunes, des gamins de 10 ans décollent déjà tout en maîtrise dans les airs du petit tremplin pour atteindre les 40 mètres. Les patronymes des mioches du club des sports de Courchevel en disent beaucoup sur les dynamiques sociologiques à l'oeuvre dans la station. A mesure que le speaker scande les noms des champions en herbe, résonnent des consonances anglo-saxonnes. Depuis quelques années, les Britanniques sont de plus en plus nombreux à acheter des chalets douillets dans la vallée de la Tarentaise, et le village du Praz est un peu leur épicentre. La radio de la station diffuse désormais des flashs d'informations la météo et des pub immobilières dans la langue de Shakespeare. « Pour moi c'est beaucoup d'émotion d'avoir vu ma fille sur le podium, c'est très fort pour nous », témoigne Diana Bacconnier, une maman d'origine écossaise installée ici depuis 7 ans et qui tient l'unique épicerie de Saint-Bon, plus ancien village de Courchevel.

Tout en haut du grand tremplin de 120 mètres, les meilleurs s'élancent. C'est le Polonais Maciej Kot qui remporte finalement le concours masculin avec deux sauts mesurés à 126,5 et 129,5 mètres. Du gros niveau.

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« L'été, il y a des conditions idéales pour le saut. On a plus facilement du vent de face, donc on relève le départ sur le tremplin et on s'envole davantage dans les airs », dit la Française Julia Clair, 9e de l'épreuve. Ronan Lamy-Chappuis complète: « L'été, dès que la chaleur tape dans la réception, c'est du vent thermique qui remonte la pente et l'hiver c'est complètement l'inverse avec vent de dos. Quand on saute avec du vent de face ça nous porte, avec du vent de dos on travaille beaucoup plus ».

Sous leurs combinaisons, les sauteurs se font aussi des frayeurs. De loin on les croit imperturbables, tellement sûrs de leur art que chaque saut est pour eux une routine. Mais effectuer des bonds de plus de 100 mètres n'est jamais anodin. La peur est également de la partie. Et comme en haute montagne, l'été est une saison plus accueillante que l'hiver. Jeune sauteuse tchèque aux dents encore barrées d'un appareil dentaire, Zdenka Pesatova confie parfois trembler au moment de s'élancer du tremplin quand la neige est au rendez-vous. « Je préfère skier l'été. Je hais l'hiver. Avec la neige c'est plus dangereux, vous pouvez glisser quand vous retombez sur le tremplin et faire des chutes assez effroyables. »

Ronan Lamy-Chappuis ajoute quelques détails sur les risques par grand froid. « Ce qui change le plus entre l'été et l'hiver, c'est la réception. Sur le plastique on pose les skis et on va tout droit, il n y'a pas de faute de carre. L'hiver s'il y a des traces d'autres sauteurs qui sont partis un peu de travers, ça a plus tendance à nous déséquilibrer. Et puis l'été s'il y a des chutes, on va dire que c'est un petit peu plus agréable car c'est du plastique, un petit filet puis 5cm de mousse, donc les chocs sont mieux amortis. L'hiver quand c'est de la glace c'est différent. On peut vite planter le genou dans la neige et se faire vraiment mal. L'été c'est plus safe. »

Un drôle de sport d'hiver. Le seul à être pratiqué également à la belle saison, quand les vaches broutent dans les alpages. Une bizarrerie que les athlètes adorent. « Le saut à ski c'est d'abord un sport d'hiver, c'est là qu'on fait nos compétitions et qu'on vit ce sport, mais l'été c'est agréable. Il fait bon, c'est la fête », conclut la sauteuse italienne Lara Malsiner à l'ombre du tremplin.