« De Maan » par Natasja Mabesoone, l’une des cartes préférées d'Emma. « Je ne sais pas pourquoi, mais je suis vraiment attirée par cette carte. Peut-être parce que je suis dans ma période rose pastel. »
Emma : En mars 2020, lors du premier confinement, on vivait ensemble avec Adriënne. C'est elle qui m'a fait découvrir le jeu de tarot, et ça m'a fascinée. On l'a testé ensemble pour la première fois pendant une soirée arrosée. J'ai même des notes qui traînent, pleines de taches de vin, avec l'idée de départ : lancer Tarot éditions.
Adriënne : J’avais 12 ans quand j'ai commandé mon premier jeu de cartes. Ça me fascinait, même si je n'y comprenais pas grand-chose, mais heureusement, y'avais un livret explicatif. J'ai emporté mes cartes lors d'un séjour en Grèce il y a quelque temps parce que j'étais fascinée par l'imagerie des différents jeux et par le côté historique des images des cartes. Et pendant ce séjour, j'ai remarqué qu’en jouant au tarot, on pouvait apprendre à connaître quelqu'un très vite. Les gens sont plus enclins à parler de sujets délicats avec ça. Cette démarche n’a pas vraiment pour but de répondre à une question spécifique, mais plutôt d'engager la conversation et de pouvoir envisager la situation sous un angle différent. Le médium, c’est l’échange qui se produit quand on tire les cartes, plus que la personne qui les tire.
Vous voyez plus ce projet comme un objet d’exposition ou utilitaire ?« Le médium, c’est l’échange qui se produit quand on tire les cartes, plus que la personne qui les tire. »
Adriënne : C'est vraiment tout ce qui va ensemble : ces œuvres originales qu’on a créées sur des cartes et qu’on expose, mais aussi l'édition et l'enveloppe avec son timbre customisé, puis le livret dans lequel c’est présenté. Le but ultime, c’était l’expo ; mais la vente de l'édition est aussi là pour que cet échange ait lieu dans le monde réel. L'art, c’est très beau quand on le voit dans un espace et qu'il traite de quelque chose de social, mais s'il ne fait pas quelque chose d'efficace dans cet espace et n'entre pas dans le monde réel, ce n'est qu'une couche qui s’y superpose.Du coup, l'édition est une sorte d'art abordable ? Un catalogue qui va vivre sa vie ?
Adriënne : Oui. Les gens disent que c'est très bon marché, mais on voulait justement que ce soit un objet abordable ; et pas en demander 100 euros. Beaucoup de personnes dont des étudiant·es n’auraient pas pu se permettre de l’acheter. C'est une belle façon d'avoir une œuvre d'art chez toi, même si c’est une reproduction. Vous appelez ça un « jeu » et vous dites aussi que « tout le monde peut lire les cartes de tarot ». Vous n’avez pas peur que les gens prennent ça au sérieux et puissent mal l’interpréter ?
Emma : Je me souviens de la première fois qu'Adriënne l'a fait chez nous. J'ai été très impressionnée par les conversations qu’on avait eues. Plus tard, mes cousines sont venues me rendre visite et j'ai testé avec eux. J'avais observé comment Adriënne s'y prenait, et comment elle prenait ses cartes et son guide. On peut disposer nos cartes de différentes manières, mais la plus courante et la plus simple, celle que j'utilisais à l'époque, se déroule comme ça : la personne qui pose les questions choisit trois cartes qui représentent le passé, le présent et l'avenir. Je ne connaissais pas la signification des cartes spécifiques, mais j’avais la signification de chaque carte dans le manuel. Sur base de la question, on peut ensuite adapter et relier ça à des choses qui se sont produites dans le passé. La carte du présent a aussi une signification spécifique que j’ai pu découvrir avec le manuel. On a eu des conversations très approfondies sur le sujet et elles nous ont amenées à tirer des conclusions qui ont influencé certains choix assez importants.
Ok, donc ça ne tombe pas du ciel. Il y a des règles.« Ça fait ressentir quelque chose aux gens et ça permet d'engager une conversation. Je le vois plus comme une thérapie. »
Adriënne : Il doit y avoir une différence dans la façon dont on pose les cartes de tarot. Je trouve ça très important que les personnes qui croient au médium et aux cartes conservent leurs croyances. J’ai pas envie de dire « ça c’est bien, ça c’est mal ». C'est comme ça qu’on l’a interprété et on trouve que ça fonctionne. Ça fait ressentir quelque chose aux gens et ça permet d'engager une conversation. Je le vois plus comme une thérapie. Ce qu'Emma a pris de moi, je l'ai pris de mon psychanalyste, par exemple. Il faut aussi rompre un petit peu avec la tradition. L'artiste donne une interprétation de la carte et ça lui donne un nouveau sens. Après, il y a aussi un sens spécifique à la question qui est posée, à la personne qui pose la question, etc. Mais le cœur de la carte reste le même. D'où vient le mystère des cartes de tarot ?
Adriënne : C'est lié à l'histoire du tarot, de la numérologie, de la Kabbale... Il y a plein de couches de croyances qui se cachent derrière ces cartes. Le mysticisme vient aussi d'une tradition du XIXe siècle qui reliait les cartes de tarot à un livre égyptien : le Livre de Thot. Ce livre n'avait pas le droit d'être expédié en dehors de l’Égypte. Il a été transformé en un jeu de cartes qui aurait été apporté en Europe par le peuple rom. Du coup, tout le mystère du tarot est une excroissance de l'égyptomanie depuis l'époque où les colons ont découvert les pyramides et sont entrés dans les tombeaux. Les cartes de tarot sont souvent utilisées par les personnes issues de la communauté rom. C'était l'un des seuls moyens pour se faire de l'argent en tant que peuple nomade. Ça fait partie de leur culture, et c’est important de le reconnaître.
On a toujours ce courant mystique, mais on remarque aussi qu'il existe des manières de plus en plus libres d'interpréter le tarot. De nombreux·ses artistes ont collaboré et grâce à ça, c’est devenu une tradition dans le domaine des arts. Salvador Dalí a peint un jeu de cartes, et beaucoup de tatoueur·ses ont aussi dessiné des jeux. Robbert&Frank/Frank&Robbert, qui participent aussi à ce projet, ont réalisé un jeu de cartes qu'ils n'ont jamais publié. Beaucoup d'artistes qui participent sont elleux-mêmes des lecteur·ices de tarot, et on le savait pas au début.« Le tarot était l'un des seuls moyens que les Roms avaient pour se faire de l'argent en tant que peuple nomade. Ça fait partie de leur culture, et c’est important de le reconnaître. »
Loulou João
Adriaan Marin
Indre Svirplyte
Joselito Verschaeve
Jan Vandeplancke
Cecile Broekaert
Nokukhanya Langa
Apparatus 22
Mariana Rebola
Nina-Joy Thielemans