Santé

Jeunes et infertiles : avec ces hommes qui luttent pour avoir des enfants

Pour beaucoup, l’infertilité reste un problème typiquement féminin. Un préjugé on ne peut plus éloigné de la réalité.
Infertilité masculine
Stock photo : Michael Bihlmayer

 / Alamy Stock Photo

Toby Trice a commencé le karting en 2018 pour essayer de détourner son attention d’une mauvaise nouvelle : un second échec de fécondation in vitro (FIV). Depuis des années, cet Anglais de 31 ans et sa partenaire tentaient désespérément de fonder une famille. Si une telle procédure était sur la table, c’était à cause de sa propre infertilité.

« Je suis tombé dans une très lourde dépression parce que je pensais être totalement seul. Autour de moi, il me semblait n’y avoir personne à qui demander de l’aide », raconte Toby. « J’avais honte d’être incapable de faire un gosse. Faire du kart sur le circuit du coin une fois par mois me permettait de m’évader et de ne pas avoir à ressasser mes problèmes de fertilité. »

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Après plusieurs examens, Toby, aujourd’hui pilote de course professionnel, a été diagnostiqué comme souffrant de varicocèle. Cette condition dilate les veines des testicules, ce qui empêche la production de sperme. C’est d’ailleurs l’une des causes les plus courantes d’infertilité chez les hommes cisgenres.

Lorsqu’on évoque l’infertilité, on pense généralement qu’il s’agit d’un problème qui ne touche que les femmes cisgenres. Or, selon une étude de 2017 de la Société européenne de reproduction humaine et d’embryologie (ESHRE), la production de spermatozoïdes a diminué de 50 % au cours des quarante dernières années. La moitié des cas d’infertilité incluent aujourd’hui une forme de facteur masculin. Au Royaume-Uni, un couple sur sept peine à fonder une famille.

« La fertilité masculine se situe tout en bas de l’échelle des priorités. Elle n’est pas jugée comme un problème de santé important puisque personne n’en meurt » - Allan Pacey

« J’ai passé 27 ans à la tête d’un établissement qui étudiait la fertilité masculine. Au cours de cette période, chaque homme qui entrait ici pensait être le premier à le faire », explique Allan Pacey, professeur d’andrologie à l’université de Sheffield. « Dans ce domaine, le niveau d’éducation est très faible ».

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Alors que des ressources sont facilement accessibles aux femmes cis ayant des difficultés à concevoir des enfants, le manque d’informations disponibles pour leurs homologues masculins contribue à la stigmatisation de l’infertilité et à leur hésitation de s’exprimer par rapport à ce sujet. Ce manque de conversation est évidemment préjudiciable à la recherche qui pourrait améliorer ou développer l’aide aux patients.

« En matière de financement, la fertilité masculine se situe tout en bas de l’échelle des priorités. Elle n’est pas jugée comme un problème de santé important puisque personne n’en meurt », explique Pacey. « En tant qu’universitaire qui s’intéresse à la fertilité masculine, je peux me considérer comme une espèce en voie d’extinction. Il n’y a personne pour me succéder dans mon institution, ce parcours professionnel n’attire pas grand-monde. »

Ce manque d’engouement se traduit par une rareté des informations sur la façon dont l’infertilité affecte les hommes cis de différentes ethnies et orientations sexuelles. Les hommes transgenres qui essaient de concevoir sont eux aussi confrontés à toute une série de difficultés, comme l’a documenté le journaliste de VICE Freddy McConnell dans sa chronique Dad Bod.

Les seules données significatives sur l’infertilité proviennent des patients ayant subi une FIV — qui sont en grande partie des femmes cis. Il n’y a donc pas de véritable ventilation des données démographiques pour les hommes cis. Selon Allan Pacey, ce manque d’intérêt pour la fertilité masculine chez les nouveaux professionnels de la santé, qui préfèrent se concentrer sur les affections potentiellement mortelles, va probablement réduire les rangs de spécialistes dans ce domaine. Moins d’urologues et d’andrologues, donc.

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« Avec le recul, je me dis que c’était vraiment stupide. Pourquoi ne pas être directement allé consulter un expert en fertilité masculine ? » - Toby Trice

Les gynécologues restent alors la principale option pour la plupart des hommes qui cherchent à confirmer ou à traiter des problèmes de fertilité. Ce fut le cas pour Toby, qui, croyant que c’était la seule solution possible, avait initialement discuté de son analyse de sperme avec un gynéco.

« Avec le recul, je me dis que c’était vraiment stupide. Pourquoi ne pas être directement allé consulter un expert en fertilité masculine ? Tout au long du processus, même lors d’une tentative de FIV, il n’y avait que des spécialistes [de la fertilité féminine]. Ce n’est que lorsque j’ai pris rendez-vous chez un médecin privé que j’ai ensuite rencontré quelqu’un spécifiquement formé à la fertilité masculine. »

Selon Sheryl Homa, directrice scientifique d’Andrology Solutions à Londres, le système de santé publique du Royaume-Uni ne propose pas automatiquement de tests de fertilité masculine au-delà de l’analyse de sperme, alors que pour les femmes, des analyses sanguines sont déjà proposées lors d’un déséquilibre hormonal par exemple. Cela signifie que c’est la plupart du temps aux hommes de demander eux-mêmes des tests supplémentaires spécifiques à leur médecin généraliste.

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Les tests plus récents, comme la fragmentation de l’ADN des spermatozoïdes ou les mesures du stress oxydatif (qui évaluent la qualité du sperme), ne sont réalisés que dans des cabinets privés, ce qui oblige les patients à suivre des procédures qui peuvent représenter des sommes d’argent rédhibitoires. Sans oublier que la santé mentale des hommes infertiles est souvent fragilisée.

« La pilule a été dure à avaler », confie Kevin Button. Il y a huit ans, on a diagnostiqué chez cet habitant du Pays de Galles le syndrome des cellules de Sertoli, une maladie qui se traduit par l’absence de production de sperme dans les testicules.

L’impact de ce diagnostic sur Kevin a été aggravé par son incapacité à trouver d’autres personnes traversant une expérience similaire. Pour compenser, l’homme de 36 ans s’est réfugié dans la toxicomanie.

« Je buvais beaucoup à l’époque et j’ai honte de le dire, mais je prenais aussi pas mal de drogues. J’ai fait foiré mon couple et je suis retourné vivre chez mon père », explique-t-il. « J’étais aux prises avec beaucoup d’émotions contradictoires et je n’étais pas dans le bon état d’esprit, simplement à cause du manque de soutien. »

Kevin est maintenant avec une nouvelle partenaire et ils essaient d’avoir un enfant. Cependant, il a toujours le sentiment qu’il existe un réel manque de soutien autour de l’infertilité masculine au Royaume-Uni. À tel point qu’en 2020, il participe à un concours organisé par California IVF. Le lot à remporter ? Un essai de FIV gratuit. La bonne nouvelle, c’est que Kevin a gagné. La mauvaise, c’est que les restrictions COVID-19 l’ont obligé à annuler le voyage prévu. Il ne regrette pourtant pas d’avoir participé.

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« Je pense qu’il est essentiel de commencer l’éducation au plus tôt et de faire en sorte que ça devienne normal d’en parler » - Gwenda Burns

« Vous n’avez de toute façon plus rien à perdre », précise Kevin. « Pour être honnête, quand vous désirez vraiment un bébé, vous êtes prêt à faire n’importe quoi ».

Gwenda Burns, directrice générale du Fertility Network UK, est d’avis que l’éducation sur la fertilité devrait se faire dès l’école. « Je pense qu’il est essentiel de commencer l’éducation au plus tôt et de faire en sorte que ça devienne normal d’en parler, puisque dans ce domaine, le mode de vie peut avoir de lourdes conséquences », explique-t-elle.

À cette fin, l’association a développé une série YouTube destinée aux étudiants, Your Future Fertility, qui les informe des facteurs pouvant impacter leur fertilité dès le plus jeune âge, notamment le tabagisme et la consommation excessive d’alcool.

Une plus grande représentation médiatique pourrait également aider les personnes confrontées à l’infertilité à s’ouvrir à ces questions. Des émissions télévisées comme Friends et des documentaires comme The Easy Bit contribuent à amener la conversation dans l’espace public, mais les experts affirment que ces initiatives restent trop rare pour changer les mentalités sur le long terme.

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Toby et Kevin tentent tous les deux de combler ce manque d’éducation à leur manière. Après avoir transformé son amour du karting en une brillante carrière de pilote, Toby Trice utilise sa plateforme pour sensibiliser à l’infertilité masculine. Il est ambassadeur pour le Fertility Network UK, sa voiture de course porte le logo de l’organisation caritative et il est également impliqué dans le groupe HIMfertility de Rhod Gilbert.

En 2019, Kevin Button a fondé The Man Cave, un compte Instagram et un site Web faisant office de groupe de soutien et de centre de ressources pour les hommes confrontés à l’infertilité. « J’ai senti un poids quitter mes épaules et c’était une sensation incroyable », se souvient-il à propos du lancement de son site. « Les gens m’ont envoyé des messages privés pour me faire savoir que tout allait bien se passer, et [qu’ils] traversaient la même situation. »

De tels groupes de soutien peuvent créer des safe spaces permettant à des hommes et des femmes de discuter librement des problèmes liés à l’infertilité. Pour Kevin, cela signifie organiser des balades avec le groupe où les participants peuvent venir à la rencontre de leur propre communauté et discuter de leurs sentiments.

De son côté, Toby exploite les outils numériques pour servir les membres internationaux de HIMfertility. « C’est assez simple : on invite n’importe quel homme à rejoindre une discussion Zoom. Une fois tous connectés on improvise et on commence à échanger ensemble », explique Toby. « Ces hommes quittent la réunion avec plus d’informations sur la fertilité masculine, ce qui les aidera à ne pas emprunter de détours inutiles sur le chemin de la fertilité. »

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