Le foot aurait-il perdu de sa substance ? Cet EURO 2020 – joué en 2021 – s’est clôturé comme il a commencé : sans qu’on comprenne vraiment pourquoi il a eu lieu.
Le foot, je l’ai aimé et je l’ai détesté, mais j’en avais surtout oublié son pouvoir suprême : celui de vous vomir dessus, mais de quand même pouvoir vous retenir de force dans ses bras chauds et collants. Et si certaines choses ont pu me séduire et même m’exciter, je quitte cet EURO 2020 avec les intestins qui s’agitent et du gaz qui fuit, beaucoup. Comme si, pendant trop longtemps, j’avais consommé un truc très suspect.
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Voici une liste non exhaustive de ces petites choses qui ont fait cette compétition et qui mériteraient que personne ne s’en souvienne.
Les humoristes à la télé
Je suis pas spécialement drôle. Je le sais et ça n’a jamais été un problème, précisément parce que j’en ai pas fait mon métier. Pour l’EURO, des humoristes se sont fait engager par certaines chaînes pour blaguer foot et ressusciter le public de manière ponctuelle. D’autres ont sorti des chansons. Sauf que les humoristes sont aux monde du foot ce que les happiness managers sont à la start-up qui a rompu votre contrat au début de la pandémie : un additif insipide qui ne changera rien à un environnement faux. Quoiqu’il arrive, les plus beaux comiques, ça reste les commentateurs sportifs et les attaquants-plongeurs.
Cette putain de putain de putain de VAR
Comme pour les scatophiles, c’est pas grave d’être pro-VAR ; tout le monde a droit à son enveloppe de sécurité ! Mais… où est la spontanéité de l’instant, la subjectivité de l’humain, la magie de l’injustice ? Si l’arbitre ne siffle pas alors qu’il aurait dû, ça doit faire partie du jeu aussi. Sinon, autant remplacer les footballeurs par des robots. En attendant, on va vraisemblablement devoir continuer à exulter à moitié sur les buts…
En ce qui concerne les fautes, comme on a pu le voir lors d’Angleterre – Danemark, la VAR n’empêche pas les arbitres de prendre des décisions pourries (voir la partie Les comiques du petit rectangle). Prochaine étape : les spots de pub pendant l’analyse des images de la VAR.
Les médias français
Ça cherche la mouise partout (les tensions entre Kylian Mbappé et Olivier Giroud, les tensions entre Kylian Mbappé et le reste de l’équipe, les tensions entre la mère d’Adrien Rabiot et la famille de Kylian Mbappé, etc.), ça parle de Ronaldo et Coca-Cola pendant des jours et des jours et ça bave aussi sur un titre polémique qu’un autre journal a fait (qui est en soi plus marrant que les jeux de mots du type « Rien à foot » ou « La Suisse a le moral en Berne »).
Les médias belges
On les a vus, les médias belges qui parlent du fait que des médias français parlent de ce qu’ont fait d’autres médias français.
La pétition pour rejouer le match France – Suisse
Un gars a lancé un appel désespéré, prétextant que Yann Sommer n’était pas sur sa ligne au moment où Mbappé a tiré son peno – ce qui est absolument faux. La pétition a récolté plus de 270 000 signatures – 270 000 personnes qui ont chopé le syndrome du militaire qui pense mourir pour sa patrie, à croire que le combat est légitime alors que le reste du monde rit de vous : en dépit de votre bonne foi, la bêtise vous aveugle. Cela dit, l’espoir fait vivre, et c’est pour ça que les pétitions existent encore.
L’ULM Greenpeace
La vie moderne n’est pas organisée par l’anxiété, mais l’anxiété demeure son fil conducteur. La vue de l’horizon est bouchée par des pensées bordéliques, notamment celles vous rappelant qu’il va falloir payer l’assurance habitation et souscrire une assurance hospitalisation. Si vous travaillez dans les assurances, vous avez beau comprendre comment fonctionnent les assurances, mais pour des raisons évidentes, votre cas est encore pire. Heureusement, il nous restait le mec qui s’est écrasé en ULM pour sombrer encore plus vite dans le grand vide de l’absurde et rapidement en finir avec tout ça.
Les comiques du petit rectangle
Ça cherche la faute dans la surface de réparation comme les politiques de droite cherchent la nouvelle polémique sur le voile. À une époque pas si lointaine, certaines brutes ne se faisaient pas prier pour découper en deux les auteurs de simulation. Mais depuis que les grosses structures ont voulu purifier les terrains et faire du foot un sport télégénique pour toutes les familles, c’est l’autoroute de la comédie pour les pleurnicheurs comme Sterling ou Immobile. Une poussette de l’auriculaire, ça tombe comme une massue, ça pleurniche, puis ça guérit miraculeusement et se relève fou de joie si un penalty est sifflé ou que l’action se termine sur un but. Cela dit, même si j’ai envie qu’on fasse revenir les défenseurs-bouchers qui ne laisseraient jamais passer ça, je dois aussi avouer que cette mauvaise foi m’amuse parfois.
Le manque d’originalité de l’excuse de Marko Arnautović
Le 13 juin, Marko Arnautović marque le dernier but autrichien, celui du 3-1, et célèbre son but en hurlant comme un goret sur Ezgjan Alioski. Arnautović aurait insulté en serbe Alioski, un Albanais de Macédoine du Nord : « J’ai baisé ta mère, l’Albanais » ou « J’ai baisé ta mère l’Albanaise », selon les différentes sources. Mais le vrai problème, c’est que Marko s’est défendu. Comment ? Comme un teubé : « J’ai des amis dans presque tous les pays et je me bats pour la diversité. » Des millénaires d’oppressions et des décennies de luttes antiracistes pour en arriver là… Quel manque de créativité ! Le plus cocasse dans l’histoire, c’est que « Arnautović » fait référence à « Arnautes », terme employé à l’époque ottomane pour désigner les Albanais (J’ai entendu ça au bar et j’ai vérifié vite fait sur Wikipedia). Un génie, ce Marko.
L’absence de ce genre de génies
Reste que, on aura beau traiter Arnautović de débile, les footballeurs comme lui qui épicent un peu ce sport devenu aseptisé n’existent plus trop. Ils sont tous devenus trop lisses. Des culs de bébés professionnels. Il y a quelques temps encore, Mario Balotelli expliquait avoir lancé des fléchettes sur des jeunes du centre de formation de Manchester City parce qu’il s’ennuyait, Mario Balotelli postait un message antiraciste-mais-un-peu-antisémite-quand-même, Mario Balotelli faisait n’importe quoi de manière générale et Lord Nicklas Bendtner faisait plus ou moins pareil mais en moins bien. Rendez-nous nos abrutis préférés !
Les Footix
Depuis le début de la pandémie, j’ai beaucoup souffert du fait d’être privé de stade ou de matches au bar. Mais personne ne m’avait préparé à devoir retrouver IRL des gens qui beuglent « Y’A PAS FAUTE PUTAIN » quand l’adversaire tombe, mais qui aboient « MAIS Y’A FAUTE PUTAIN DE MERDE L’ARBITRE SALE ENCULÉ ! » avec la voix de DMX quand un joueur de leur équipe tombe (seul). Personne ne m’avait rappelé que ça allait être moralement difficile de devoir expliquer à des gens qu’un joueur qui marque contre son camp n’est pas forcément éclaté et que c’est pas parce qu’un attaquant ne marque pas qu’il est pourri – les joueurs ne sont d’ailleurs jamais intrinsèquement mauvais, mais ce sont bien les choix tactiques qui peuvent l’être. J’avais aussi oublié les éclairs de génie du style « Il faut marquer, comme ça on a la confiance. » Je vous déteste. Mais quelque part, je vous aime aussi, parce que je suis un peu des vôtres.
La malédiction Ramsey qui a encore frappé
Le 19 juin, Philousports s’éteint alors que la France vient de jouer son deuxième match de la compétition. La twittosphère qui suivait l’actu du sport à travers son compte est en deuil. À cause de sa trachéotomie, Philippe Vignolo s’exprimait exclusivement à travers des tweets et des gifs qu’il dégainait en deux-deux.
La crise cardiaque de Philou est survenue deux jours après le but d’Aaron Ramsey contre la Turquie. La malédiction Ramsey, c’est un truc qui a fait plus de victimes en dix ans qu’Arsenal n’a gagné de titres. Pour rappel, depuis 2011, il arrive souvent que quand Ramsey marque – et c’est pas un gros buteur –, une personnalité chère à tous les cœurs tendres de ce monde trouve la mort dans les jours qui suivent. Par exemple, Oussama Ben Laden est mort le lendemain d’un but de Ramsey. Pareil pour Mac Miller, Mouammar Kadhafi, Robin Williams, David Bowie ou George H. W. Bush. Pour le président de la Zambie Kenneth Kaunda, Luke Perry de Beverly Hills ou Philou donc, c’est deux jours après. Repose en paix !
La règle des « meilleurs troisièmes »
Le 15 juin 2008, la Turquie venait à bout de la République Tchèque en plantant trois pions en fin de match après avoir été menée 0-2 à un quart d’heure de la fin. Rien de plus qu’un simple dernier match de groupe entre deux équipes qui se disputaient la deuxième place.
Cette année, on annonçait le Groupe F comme celui de la mort. Qui du Portugal, de la France ou de l’Allemagne allait s’en sortir ? Bah, tous. Portugal – France était la grosse affiche de la troisième journée de phase de groupe, mais grâce à la règle de repêchage des quatre meilleurs troisièmes, ils étaient déjà qualifiés avant de jouer ce match. Au final, la règle des « meilleurs troisièmes », ça veut dire 16 des 24 équipes qualifiées pour le second tour, soit la majorité. C’est fade. Le suspense de la dernière journée de poule disparaît à tout jamais dans le caveau du feu foot-suspense.
Le malaise cardiaque d’Eriksen
Heureusement, le Danois s’en sort bien.
Le ballon officiel
Le ballon Adidas Fevernova en 2002, c’était une pure merveille, du genre à vous ôter toute envie de taper dedans tant il est joli. Pour l’EURO 2020, Adidas nous a pondu une merde visuelle infâme en ressuscitant le style Tecktonik pour l’appliquer sur du cuir. Le ballon Adidas Uniforia, c’est des associations de couleurs dégueulasses couplées à des traces très grasses d’on-ne-sait-quoi, le tout dans une structure géométrique confuse. Le pire du pire, c’est que des équipes de comm’ ont trouvé un propos politique à cette immondice : « Le ballon de football Uniforia ne connaît pas de frontières. Il symbolise l’unité. Les détails rendent hommage aux pays hôtes. » On se croirait à un vernissage.
11 pays et aucun esprit
Niveau orga, on passe juste d’un stade vide à un stade rempli, ou inversement, et ainsi de suite. 11 stades, aucun ancrage, aucune conscience géographique, aucun esprit. Certaines équipes ont joué à domicile, d’autres pas. D’ailleurs, les quatre équipes qualifiées pour les demies ont toutes joué à domicile. Et pour l’aspect écologique du truc, on repassera évidemment. Après, y’en a d’autres qui ont eu de quoi se plaindre encore plus de cette idée saugrenue.
Le ciblage dégueulasse des sites de paris en ligne
Toujours plus loin dans la gerbe : qu’est-ce qui est pire entre le marketing et les influencers ? Exact : une fusion des deux. Le « tout pour la daronne » ciblant les jeunes de banlieue ou les Youtubers-serpillères qui font la promo des sites de paris en ligne, tout le monde semble avoir compris qu’il suffisait de dérouler le tapis rouge à des gens sur qui on crache habituellement pour leur tirer un max de thunes. Et tout ça grâce à l’illusion et la métaphore de l’ascenseur social. N’oubliez jamais que l’univers des paris sportifs n’existerait pas s’il vous faisait vraiment gagner.
L’absence de Zlatan Ibrahimović
Blessé au genou gauche, l’attaquant de 39 ans (!) a manqué ce qui était sans doute sa dernière chance de participer à une compétition internationale.
Tiens, en parlant de genou…
Déjà fragilisée par le fait qu’un rappeur qui a gagné son procès contre Zemmour et déclaré un certain désamour pour Marine Le Pen puisse chanter un truc sur les Bleus, la droite et l’extrême droite en France se sont surexcitées niveau polémique pour cet EURO ; surtout au moment où il a fallu parler du genou à terre. Par-ci par-là, dans les coins sombres, on a pu lire ou entendre qu’il ne fallait « absolument pas mélanger sport et politique ».
Mais ça fait longtemps que le foot est plus qu’un jeu, que tout y est politique, des structures de pouvoirs aux sponsors en passant par les choix des stades de cet EURO. Le foot est davantage un outil politique qu’un sport. Et le combat contre le racisme et les racistes dépasse le simple enjeu politique… Vous l’entendez ce vide ? C’est celui de la gorge caverneuse des gens qui jactaient pour un genou « trop politique » et qu’on n’entend pas – évidemment – quand il est question de cris de singe quand un joueur noir de l’équipe de France touche la balle contre la Hongrie ou d’insultes racistes sur internet envers les Anglais qui ont raté leur péno.
Si le foot ne peut plus représenter les fractures sociales d’une société qui l’alimente, qu’il crève.
Tiens, en parlant de sans-cervelle…
Bien sûr, le débat peut vite partir dans tous les sens. Surtout quand les réflexes racistes se répètent à plusieurs échelles, pour le plus grand bonheur des racistes de base. Lors de l’EURO, une vidéo datant probablement de 2019 a fuité. Elle montre Ousmane Dembélé se moquer de la langue japonaise et des « sales gueules » des techniciens japonais venus leur installer un jeu vidéo ; tout ça sous les rires complices d’Antoine Griezmann, lequel avait déjà été surpris il y a quelques années en train « d’imiter » « l’accent japonais ». En gros, c’est la manifestation la plus basique du racisme décomplexé et du mépris de classe, de la part de deux personnes incapables de brancher des câbles, ni ceux de leur console ni ceux entre leurs six neurones. Je souhaite bien évidemment un tacle à la gorge aux deux footballeurs pour avoir alimenté le racisme, en plus d’inspirer les comportements banalisés de demain. Mais on doit aussi souligner à quel point ce genre d’affaires est du pain béni pour les rascars primaires. Beaucoup d’esprits conservateurs sont effectivement très réactifs quand il s’agit d’instrumentaliser le racisme anti-asiatique – uniquement lorsqu’il est appliqué par d’autres minorités – pour défoncer la légitimité des luttes antiracistes qu’ils détestent voir exister (au hasard : BLM).
Toujours au rayon sans cervelle, l’UEFA évidemment. En réaction à une loi homophobe votée en Hongrie, la ville de Munich voulait accueillir le match Allemagne – Hongrie en illuminant son stade aux couleurs de l’arc-en-ciel. L’action symbolique a été rejetée par l’UEFA, qui a dit vouloir rester « neutre ».
Bon, malgré tout ça, vive le foot ! Et rendez-vous au Qatar en 2022, sur les cadavres encore chauds des ouvriers. Ça va être sublime, c’est promis.
PS: Y’a eu des trucs bien aussi
Le but stratosphérique de Patrick Schick, Denzel Dumfries, la journée du 28 juin (les huitièmes de finale Croatie – Espagne à 18 heures, suivi de France – Suisse à 21 ; une folie), la Suisse donc, le maillot extérieur de la Belgique, Bukayo Saka, Jack Grealish, l’équipe italienne au complet et les buts dans le temps additionnel (classique).
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