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Le long sanglot des propriétaires de robots-chiens

Que se passe-t-il quand l'entreprise qui a fabriqué votre plus fidèle compagnon ferme le dernier centre de réparation ? Beaucoup de larmes, et une petite idée de ce qui nous attend dans le futur.

Le darwinisme technologique n'a rien à envier à son frère biologique. Là où les espèces animales s'entretuent joyeusement depuis l'aube des temps pour éliminer les plus faibles – du moins avant qu'homo sapiens ne se pointe et décide de truquer le game -, la robotique, elle, obéit aux froides obligations de rentabilité dictées par les conglomérats qui la développent. Problème : alors que les dépliants des start-up de demain nous assurent que nous nous prendrons tous bientôt d'une sincère affection maternelle pour nos compagnons mécaniques, qu'arrivera-t-il si l'entreprise qui les fabrique et assure leur SAV fait soudainement faillite ? En 2016, l'histoire est en train de nous fournir une bande-annonce des nouvelles problématiques que la douce invasion de la robotique dans la sphère intime va entraîner avec elle, et c'est Sony qui joue les grands méchants.

En 1999, la compagnie nippone lançait Aibo, un robot-chien destiné à remplacer les chiens de chair et de sang, qui certes sont infiniment plus mignons mais ont le fâcheux inconvénient d'être dotés d'un système digestif. Contrairement à son cousin animal, Aibo n'aboyait pas n'importe quand, ne chiait pas sur le tapis persan et pouvait danser, jouer de la musique sur commande… et surtout parler. En revanche, niveau réactivité et fluidité de mouvement, le bestiau restait quand même en-dessous, et sa silhouette tenait plus du robot-soldat de Star Wars à quatre pattes que du fier lévrier. A l'époque, Sony était sincèrement convaincu que le robot-animal envahirait les foyers d'un grand public soucieux de ne pas louper le train du troisième millénaire et son feu d'artifice technologique. Comme souvent, le public n'adhéra finalement pas tant que ça. Au Japon, pourtant, Aibo connut un petit succès : entre 1999 et 2006, date de fin de sa commercialisation, Sony en écoula 150 000, alors même que son prix (environ 2000 dollars) n'était pas exactement fait pour toutes les bourses. Maintenant qu'Aibo avait quand même un peu fait sa niche dans les foyers japonais, Sony assura bon an mal an un SAV, en disséminant des centres de réparation un peu partout. Durant la décennie suivante, cependant, les centres fermèrent progressivement, victimes des restructurations successives. En mars, Sony fermait le dernier centre au Japon. Les pièces de rechange ne sont plus fabriquées. Aibo est en voie d'extinction.

Pour le dernier épisode de son excellente série Robotica, le New York Times a rencontré des propriétaires d'Aibo à la fois anxieux pour leur chien – les années ont totalement effacé la distinction entre animal et robot dans leur esprit - et résignés. Les séquences sont déchirantes, et nous mettent sous les yeux la preuve qu'il faudra bien, d'ici peu, se décider à envisager la technologie sous un rapport émotionnel et symbiotique. Avec les soucis d'obsolescence et de mortalité que cela implique. Comme le dit le reportage en s'appuyant sur la culture japonaise, l'exemple d'Aibo soulève également la question du statut conféré aux robots : sont-ils des objets, de simples exécutants, ou y a-t-il quelque chose de plus dans les circuits imprimés, un ghost in the machine né de l'affection et de l'éducation patiente distillée par ses propriétaires ? Jusqu'à quand pourra-t-on rester tranquillement assis sur la certitude qu'un robot ne sera jamais plus qu'un objet, alors que les animaux domestiques reçoivent souvent plus d'amour et d'empathie que bon nombre d'êtres humains ? A l'heure où les foules se mobilisent en masse pour le lion Cecil ou l'orque Tilikum de SeaWorld tout en regardant s'échouer leurs semblables par centaines sur les côtes méditerranéennes sans froncer un sourcil, Aibo restera peut-être comme la première espèce robotique domestique éteinte par pure négligence humaine. Pire, et terriblement cynique, les robots n'auront finalement pas vécu beaucoup plus vieux que l'animal qu'ils prétendaient remplacer.