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Peut-on vraiment envoyer des humains sur Mars d'ici 2030 ?

« Aller sur Mars nécessitera une coopération prolongée entre le gouvernement et les sociétés privées, et nous sommes déjà sur la bonne voie, » affirme Obama. faut-il lui donner tort ?

Mardi dernier, Obama a écrit une tribune pour CNN dans laquelle il dévoile ses vues sur l'exploration spatiale. Il approuve vivement l'idée d'envoyer des humains sur Mars d'ici 14 ans. Cette intervention visait à préparer la Frontiers Conference de la Maison Blanche, à Pittsburgh, le jeudi suivant.

« Nous nous sommes fixé un objectif clair qui ouvrira le prochain chapitre de l'histoire de l'Amérique dans l'espace : envoyer des humains vers Mars dans les années 2030, et les faire revenir sur Terre en toute sécurité. Notre ambition ultime est qu'ils puissent vivre à la surface de la planète rouge pendant une période prolongée, » déclare Obama. « Aller sur Mars nécessitera une coopération prolongée entre le gouvernement et les sociétés privées, et nous sommes déjà sur la bonne voie. »

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Il n'a pas tort ; nous disposerons bientôt des technologies pionnières qui nous permettront d'envoyer des humains sur Mars. Elon Musk, à la tête de SpaceX, s'accorde avec cette prédiction : il a récemment dévoilé son Système de Transport Interplanétaire, un projet pour le moins ambitieux qui repose sur le développement de la plus grosse fusée de tous les temps. Celle-ci est destinée à emmener des astronautes sur Mars d'ici 2024.

Les objectifs de SpaceX ont ravivé un esprit de rivalité entrepreneuriale au sein de l'écosystème des entreprises de vols spatiaux privés. Le PDG de Boeing, Dennis Muilenburg, a confié lors de la conférence What's Next? de Chicago qu'il avait la ferme intention de battre Musk à plates coutures.

« Je suis convaincu que la première personne qui posera le pied sur Mars descendra d'une fusée Boeing, » affirme Muilenburg.

Mais l'objectif d'atteindre Mars dans un si court laps de temps est-il vraiment réaliste ? Deux de nos journalistes, Ben Sullivan et Becky Ferreira, ont récapitulé les arguments sur le sujet.

BECKY : 2030 est une date bien trop prématurée pour lancer quelque chose d'aussi dangereux et d'aussi complexe qu'une mission martienne, pour plusieurs raisons.

Pour installer une colonie sur Mars, il faut transporter un grand nombre de personnes, tout en ayant assez d'énergie pour atterrir en toute sécurité. Pour cela, il faudra aussi construire une gigantesque fusée, explique Musk. Images : SpaceX

BEN : Quelles raisons ? Je suis d'accord sur le fait que ces missions seront difficiles à mener à bien, mais vu la cadence de l'innovation et le dynamisme commercial des entreprises privées telles que SpaceX, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas y parvenir en une décennie.

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BECKY : Il y a trop d'inconnues. Même si des astronautes ont déjà résidé sur Mir/l'ISS pendant un an, personne n'est en mesure d'évaluer les risques d'un voyage de plusieurs années pour le corps humain, même en imaginant qu'il n'y aura aucun accident notable.

Et au-delà des défis médicaux et techniques, avant de lancer une mission habitée, il faudra partir en reconnaissance. Il faudra entre cinq et dix ans pour préparer une mission martienne habitée, qui devra être précédée de missions scientifiques (pour collecter des échantillons par exemple) tout aussi longues à préparer. Je comprends que le public ait hâte que l'humanité « dépasse une nouvelle frontière », mais la comparaison avec les missions Apollo est très hasardeuse. Mars, ce n'est pas la Lune. Tu penses vraiment que Musk peut raccourcir tous les délais que l'industrie spatiale a connu jusqu'ici, tout seul ? Sans que la NASA ne joue le moindre rôle ?

BEN : En ce qui concerne les risques médicaux, je suis d'accord avec toi. Nous avons d'ailleurs écrit un papier sur le danger que constituent les rayons cosmiques pour les astronautes. Cependant, je pense que ce problème pourra être réglé en quelques années, surtout en sachant que de nombreuses organisations privées envisagent d'investir dans ce projet.

Je pense honnêtement que SpaceX peut y parvenir dans les 14 ans. 14 ans, à l'heure actuelle, c'est une éternité. SpaceX n'existait même pas il y a 14 ans ! Et on ne risque pas de manquer de volontaires pour remplir la fusée. Je concède que tes arguments sont basés sur des faits, et que les miens correspondent plutôt à un vœu pieu, mais je reste convaincu. Au final, le plan de Musk n'est pas si fou que ça.

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BECKY : Je suis d'accord pour dire que 14 ans est un délai suffisant pour révolutionner bien des choses. Mais même si mettre une société aérospatiale sur pied en si peu de temps est impressionnant, il est malhonnête de comparer une prouesse commerciale à celle qui consiste à envoyer des humains sur Mars. Elles ne se situent pas sur le même plan.

Je suppose que le plan de Musk n'est pas intrinsèquement insensé… mais sa deadline, oui. Il propose de construire la fusée la plus puissante de tous les temps, de réaliser le premier vol interplanétaire habité de tous les temps, et de mettre au point une infrastructure permettant de collecter des ressources in situ. Tout cela, en dix ans. C'est de la spéculation pure, dans la mesure où ces technologies sont incommensurables avec ce que nous connaissons aujourd'hui. Même une entreprise aussi innovante que SpaceX ne pourra pas tout révolutionner d'ici 2030 juste parce qu'elle le veut, même avec d'énormes ressources financières. Il n'y a pas de relation de proportionnalité entre l'investissement et le progrès. Et je ne parle même pas des questions juridiques extrêmement complexes qui concernent la protection planétaire ou la propriétés des biens spatiaux. Je pense que tous ces problèmes pourront être surmontés, mais il faudra beaucoup de temps, et la participation de toute l'industrie spatiale.

Le Système de Transport Interplanétaire de SpaceX. Video: SpaceX/YouTube

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Moi aussi j'aimerais que l'homme aille sur Mars. Mais je préfèrerais que nous y allions en optant pour une approche sécuritaire, progressive, réfléchie, à la Wernher von Braun, plutôt que de se lancer dans une nouvelle course à l'espace qui privilégie les victoires symboliques et les grands récits au détriment de la vie humaine.

BEN : Rien ne sert de courir, je le sais bien. Je suppose qu'il est facile de se dire que le projet est dans la poche quand on se préoccupe avant tout de la réalisation des fusées. L'espace est un défi complexe, mais l'ingénierie spatiale, elle, se pose des objectifs simples. Construire les moteurs de la fusée de Musk sera sans doute assez aisé. Lui-même a admis qu'il ne savait pas trop à quoi s'en tenir en ce qui concerne les problèmes médicaux potentiels des astronautes, et oui, il faudra que la communauté scientifique toute entière collabore pour surmonter le problème des rayons cosmiques et les effets néfastes de la microgravité et de l'apesanteur. La NASA a déjà établi que ces domaines de recherche étaient des priorités absolues, et je pense que sur ce point, SpaceX dépendra beaucoup de la NASA au cours des prochaines décennies.

Ce délai dépend également de la réussite de la mission Red Dragon de SpaceX en 2018, dans le cadre de son accord avec la NASA. La mission analysera les conditions nécessaires à la protection de l'atterrisseur sur Mars, et s'assurera que ni le matériel ni les humains ne contamineront la planète de façon délétère.

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Le financement est un autre obstacle. J'imagine que Musk est capable de financer de nombreux aspects de la mission lui-même (il faut noter qu'il prend actuellement en charge moins de 5% des dépenses de SpaceX) et de ses propres mots, « tout ceci deviendra un énorme partenariat public-privé. »

Même si SpaceX sera très heureux d'envoyer des humains sur Mars dans les années 20 et 30, la question est : les investisseurs, eux, seront-ils satisfaits ?

BECKY : Justement. Les risques connus et les risques cachés seront si nombreux que les pertes sont inévitables. Le projet de partenariat public-privé est d'ailleurs un sujet essentiel : il est formidable que SpaceX et Boeing soient en compétition pour Mars et le fassent savoir. II est bon également que Musk attise cette compétition par des déclarations fracassantes. Le problème, c'est de savoir combien d'argent public sera mis sur la table, concrètement. Un vol habité pour Mars est estimé à plus de 100 milliards de dollars (même si Musk déclare que ce sera beaucoup moins cher, évidemment). Il serait dommage, à mon avis, que le budget de la NASA soit réduit à néant pour plusieurs années à cause d'une unique mission, aussi ambitieuse soit-il, alors que nous pourrions parier sur des missions d'exploration robotiques multiples dont l'utilité et la réussite sont beaucoup plus évidentes (des missions sur Europe, la lune de Jupiter, par exemple).

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Le Space Launch System de la NASA sur lequel Boeing travaille actuellement. Image: Boeing

Pour tout te dire, je ne suis vraiment pas en faveur d'une « course à l'espace » basée sur Mars. Pendant la première course à l'espace, en pleine Guerre Froide, la rivalité entre les États-Unis et l'URSS les poussés à réaliser des exploits. Mais on a tendance à occulter les tragédies qui ont marqué cette compétition.

Bien sûr, des milliers de volontaires sont prêts à risquer leur peau pour avoir une chance de laisser leurs empreintes sur Mars. Mais ce n'est pas une raison pour prendre leur sécurité à la légère, et je ne pense pas qu'on pourra leur offrir une quelconque forme de sécurité d'ici 2030. Je ne pense pas non plus qu'une course à l'espace est à même d'offrir un cadre viable à la colonisation du système solaire sur le long terme. À un moment donné, il faut trouver de meilleures motivations que « si je n'y vais pas, mon concurrent arrivera en premier. »

BEN : À moins que les cartes géopolitiques ne soient redistribuées de manière radicale, je ne vois vraiment pas ce qui pourrait provoquer une Course à l'espace 2.0. Pour l'instant, la compétition s'organise entre des sociétés privées, et encore, elles sont obligées de s'aider les unes les autres constamment. Les technologies dont nous avons besoin pour aller sur Mars naitront du travail de multinationales, et des organisations transnationales en général (le rôle de la NASA est désormais celui d'un incubateur et d'un conseiller, par exemple).

Le temps est venu d'aller sur Mars. Le monde court à sa perte. Nous avons la technologie, nous avons les acteurs, nous avons le consentement du public, et nous avons de vraies raisons d'y aller, pas seulement des motivations politiques.

Musk est un type déterminé, et il s'acharnera jusqu'à ce que nous ayons posé un pied sur Mars, on peut en être certains. Avec l'aide des autres agences spatiales, ça arrivera avant 2040.

BECKY : C'est un pari plutôt confortable. Soit je gagne, soit l'humanité gagne. Tope-la !