Dans le paradis de la pâtisserie française fondé par des Communards en exil

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Dans le paradis de la pâtisserie française fondé par des Communards en exil

Installée dans le quartier de Soho à Londres depuis 146 ans, la Maison Bertaux est devenue culte grâce à un savant mélange d’excentricité locale et de gâteaux à se taper le cul par terre.

Bienvenue dans The Last Bite, une rubrique qui s'intéresse à la survie des pratiques culinaires traditionnelles dans notre monde globalisé plein de ramens déshydratés, de matcha lattes et de bistrots à l'esthétique Ikea. Alors que les villes se développent et que les habitudes alimentaires changent, est-ce que les bars et les restos d'avant parviennent à suivre le rythme ? Aujourd'hui, nous passons les jolies portes de la Maison Bertaux, pâtisserie et salon de thé de Soho depuis 146 ans. Il suffit de remonter Shaftesbury Avenue dans le quartier de Soho à Londres pour tomber sur un magasin qui pourrait tout aussi bien figurer dans un film rétro. Dans la vitrine, on voit des rangées de merveilleux gâteaux et de superbes pâtisseries disposées sur des plateaux et des chariots. Rapprochez-vous un peu et vous discernerez entre ces douceurs des murs bleu layette, de jolis bibelots et des maçons en gilet fluo et casque de protection venus boire un thé pendant leur pause du matin.

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Les pâtisseries et les gâteaux dans la vitrine de la Maison Bertaux à Soho.

Dit comme ça, ça paraît un peu bizarre. En vrai, ça l'est aussi. Pourtant, la Maison Bertaux est au cœur du vrai Soho depuis 1871. Maçons, acteurs, artistes et touristes salivent encore devant les vitrines au moment de choisir la pâtisserie qui accompagnera leur thé en feuilles ou leur café préparé avec soin. Le bâtiment n'est pas neuf, les escaliers sont étroits et il faut ressortir par la rue pour entrer dans la seconde boutique juste à côté.

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Des clients en terrasse de la Maison Bertaux, à côté de Shaftsbury Avenue.

La Maison Bertaux, c'est l'excentricité british faite boutique. Et celle qui la fait vivre aujourd'hui, c'est Michelle Wade. Elle a commencé ici en tant que petite vendeuse le week-end et elle en est devenue la propriétaire dans les années 1980. Elle sait tout ce que va commander un habitué avant même qu'il ne le dise. Elle annonce alors la commande à César en cuisine pour qu'il prépare les boissons et les plateaux remplis de croissants, de tartes aux fraises ou de gâteaux aux amandes pour les différents clients.

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La propriétaire de la Maison Bertaux, Michelle Wade.

« La boutique a été ouverte par la famille Bertaux, des communards qui fuyaient la France », raconte Michelle. « Environ 30 000 immigrants ont alors débarqué ici à Londres. Les Bertaux vivaient à l'étage et cuisinaient au sous-sol. C'est comme ça que tout a commencé. »

Le four de l'époque est toujours dans la cave qui servait alors de cuisine, creusée dans Greek Street. « On a seulement commencé à cuisiner en haut en 1948 », ajoute-t-elle.

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Quand elle dit « On », elle ne veut pas dire elle-même (elle n'était même pas née en 1948) mais tous ceux qui ont géré la Maison Bertaux par-delà les deux guerres mondiales jusqu'à en faire le symbole qu'elle est aujourd'hui. La famille Bertaux d'abord, puis la famille Vignaut et puis, depuis une trentaine d'années, la famille Wade et Michelle. « Quand j'avais 14 ans, je me cherchais un petit boulot à faire le samedi. Je connaissais la dame qui était propriétaire de la boutique et elle m'a accordé un poste. » Michelle a ensuite fait des études à RADA, une école d'art dramatique. Elle continuait d'aider en boutique de temps à autre jusqu'à ce que Madame Vignaut lui annonce qu'elle s'apprêtait à vendre les lieux.

« Je lui ai annoncé ma volonté d'acheter la boutique et elle m'a dit d'arrêter mes histoires. Mais à l'époque, on pouvait facilement emprunter de grosses sommes d'argent. Ce n'était pas comme aujourd'hui où l'on a du mal pour emprunter ne serait-ce que cinq pences à la banque. J'ai fait un prêt et j'ai acheté la boutique », explique-t-elle.

Dès ses débuts en tant que serveuse dans les années 1970, Michelle était tombée sous le charme de la Maison Bertaux.

« J'adorais complètement l'endroit. À l'époque, il y avait moins de choses sur les étagères, mais j'étais déjà gaga de l'endroit. J'aimais le contact avec les gens et j'appréciais pouvoir vraiment illuminer la journée de quelqu'un. »

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C'est avec un thé et une pâtisserie que Michelle me murmure toutes les histoires sur ses clients les plus fidèles. Elle garde en même temps un œil sur ses clients du moment, accueillant chacun individuellement, prenant les commandes et s'assurant qu'ils ont toute l'attention qu'ils méritent. Ça peut paraître un peu chaotique au départ, mais ça change des organisations bien huilées des baristas à la chaîne. Dans la Maison Bertaux, le service se fait de façon plus organique. Les serveurs se faufilent entre les tables comme des danseurs et Michelle est la directrice de ce ballet.

L'une des deux petites cuisines de la Maison Bertaux.

Cet endroit est l'antithèse de la troisième génération de cafés qu'on trouve maintenant dans toutes les rues de la ville. Ici, pas d'esthétique scandinave ni de prises de courant et encore moins de longues tables prévues pour le co-working. Mais la qualité de la nourriture et des boissons est tout aussi bonne qu'ailleurs, si ce n'est plus. Tous les croissants et les gâteaux sont faits le jour même et confectionnés sur place, dans deux petites cuisines qui se trouvent à l'étage. Il y a « l'étage boulangerie » et « l'étage pâtisserie ». « Les ingrédients sont importants et les produits sont fabriqués tous les jours. La qualité, c'est essentiel », affirme Michelle. « Quand j'étais jeune, on utilisait des fruits en conserve, mais à présent tout est frais. » Les fruits ne sont pas la seule chose qui a changé à la Maison Bertaux.

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« Quand j'étais très jeune, la boutique fermait à 17 h 30 », se souvient-elle. « Les pubs n'étaient pas ouverts l'après-midi et les gens venaient ici en attendant l'ouverture des pubs. À présent le rythme a changé, les horaires de travail se sont allongés. Avant, les gens allaient en ville pour sortir le soir. Maintenant, il y a des cafés partout et les gens vont près de chez eux. Ça crée de la concurrence. »

Malgré cela, la Maison Bertaux ne désemplit pas. Une clientèle bigarrée se presse toute la journée dans la boutique. Quel est le secret de Michelle ?

« Il faut faire les choses avec goût et sans stress. On a eu beaucoup de hauts et de bas, j'ai toujours été à la limite, mais je préfère être ici en boutique que chez moi avec de l'argent. Toutes les taxes sont lourdes à assumer, mais le loyer n'est pas exorbitant. Ça ne va peut-être pas durer, mais les propriétaires savent que c'est un endroit comme celui-ci qui donne du cachet au voisinage. C'est grâce à ça que certaines personnes veulent louer ici. C'est une vraie perle, cette boutique. »

La difficulté est de préserver ce charme rustique à l'époque actuelle. « Comme on n'a pas beaucoup d'argent pour refaire la déco, le risque est que si l'endroit devient trop sale et usé, les gens ne voudront plus y venir », partage Michelle. « Tout ici est vieux, mais tout est propre. L'un de mes habitués vient ici tous les jours et ensemble, on s'attaque à refaire la peinture. »

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Un graffiti de Noel Fielding.

Au premier étage de la Maison Bertaux, on trouve un graffiti écrit à la main par l'acteur Noel Fielding – un habitué des lieux – qui a été épargné par les coups de peinture fraîche. Mais Fielding n'est pas le seul habitué des lieux : les chefs de restaurants comme le Quo Vadis, le St John ou encore The Ivy aiment tous passer de temps en temps.

« Je leur demande toujours comment améliorer l'endroit, mais ils me disent de ne toucher à rien », raconte Michelle en levant les yeux au ciel.

Je pense qu'elle sait qu'ils ont raison. La Maison Bertaux est vraiment unique : c'est un pays plein de merveilles sucrées et crémeuses, mais aussi de petits bijoux sous forme de cartes postales, de jolies guirlandes et de statuettes de Mère Teresa. De miroir sur lequel il est encore peint l'annonce de la naissance de Daisy Tatiana, qui a maintenant 21 ans. Des mots « Liberté, Egalité, Fraternité » affichés à côté de drapeaux du Royaume-Uni et d'une photo de la Reine.

« C'est ici que je me sens le mieux », conclut Michelle.

On ressent presque sa joie dans les murs et je dirais que c'est sans doute ça, le secret de longévité de la Maison Bertaux.