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Société

5 questions pour comprendre pourquoi Manon Massé perdrait sa circonscription

Un guide Vice pour comprendre le fonctionnement du système électoral

Québec solidaire compte déjà son nombre de députés sur les bosses d'un chameau, et voilà que la circonscription de Manon Massé est appelée à disparaître.

Selon le redécoupage de la carte électorale imaginé par la Commission sur la représentation électorale (CRE), la circonscription montréalaise de Sainte-Marie-Saint-Jacques n'existera plus en 2018. Une partie serait fondue par les circonscriptions avoisinantes, mais la majorité serait avalée dans une nouvelle, Ville-Marie, qui consisterait en une fusion avec une partie de Westmount-Saint-Louis (PLQ). Ce qui, pour QS, relève d'un non-sens.

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La nouvelle carte a été dévoilée la semaine dernière, mais il s'agit pour l'instant d'un plan. La décision finale n'est pas encore rendue. C'est donc la levée de boucliers chez les solidaires, mais surtout la course contre la montre, car si rien n'est fait, le redécoupage serait adopté d'ici 8 jours.

C'est pourquoi projet de loi, injonction, motion, pétition, et autres mots qui riment avec « action » ont été mis en branle pour tenter de modifier le processus.

D'où ça part et où ça mène? Vice vous dit tout.

Quel est ce besoin de redessiner les circonscriptions?

Le CRE, un organisme indépendant qui relève du Directeur général des élections du Québec (DGEQ), a pour mandat de revoir la carte électorale tous les deux ans.

Cette carte se doit d'être représentative de l'ensemble des citoyens du Québec; un vote à Montréal doit valoir la même chose qu'un vote en Mauricie - dans la mesure du possible. C'est une question d'équilibre dans la population des circonscriptions.

À Montréal, la population croît moins rapidement. Le DGEQ indique que dans 17 des 28 circonscriptions, la densité de population est inférieure à la moyenne québécoise, qui se situe autour de 50 000 personnes.

Ailleurs au Québec, dans Laurentides et Lanaudière, on enregistre par contre une augmentation marquée de la population, chiffrée à 13,7 %. C'est pourquoi deux circonscriptions y seront ajoutées, tandis qu'à Montréal, peu importe le tracé choisi, une circonscription sera rayée de la carte.

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Il faut spécifier que ces décisions sont prises de manière non-partisane, c'est-à-dire qu'on ne le fait pas pour plaire à une formation politique ou une autre.

« On ne fait pas le découpage de la carte avec les photos des députés. On se comprend. On regarde vraiment les territoires. C'est pas facile. C'est un exercice que je qualifierais d'équilibriste », illustre la responsable des communications au DGEQ, Alexandra Reny.

Plusieurs facteurs sont pris en compte pour faire ce redécoupage. On parle des mouvements de population, mais aussi de facteurs géographiques et sociologiques. Le concept de « communautés naturelles » est récurrent : on essaie de regrouper sur la carte « les quartiers qui présentent des intérêts qui peuvent le plus possible cohabiter », indique Alexandra Reny.

La manière d'évaluer ces communautés naturelles est peut-être moins… encadré? Au CRÉ, aucun expert n'est mandaté pour les évaluer directement.

« On essaie d'y aller au meilleur de nos connaissances, par rapport à ça. En faisant des consultations publiques, comme on a fait en 2015, ça nous donne une bonne idée. Par la suite, on essaie de regrouper les quartiers. On a reçu plusieurs mémoires au moment des consultations, des lettres, des courriels, des résolutions, des questionnaires d'opinions, des pétitions… On analyse tout ce qu'on reçoit », détaille la relationniste du DGEQ.

L'exercice se fait sur une base volontaire. C'est aux citoyens de montrer de quel bois se chauffe sa communauté.

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C'est quoi le problème?

Le problème, selon Québec solidaire, c'est que les citoyens de Sainte-Marie-Saint-Jacques  n'ont pas été avertis que leur circonscription allait disparaître. Ils n'ont pas pu se prêter à l'exercice décrit ci-haut.

Dans la première version du rapport du CRE, en 2015, la circonscription de Manon Massé n'était pas touchée. Ses citoyens avaient été appelés à se prononcer publiquement lors du premier rapport, mais qu'avaient-ils alors à défendre, si leur situation était la même?

On pensait alors fusionner Outremont et Mont-Royal, deux bastions du PLQ. Les libéraux s'y sont vertement opposés. Ils ont fait valoir entre autres qu'il y aurait un développement important de la population dans Mont-Royal, « avec environ 8000 résidences qui vont être construites », a rappelé mardi la ministre responsable de l'Accès à l'information et de la Réforme des institutions démocratiques Rita de Santis.

Le CRE été sensible à ces arguments; le second rapport a présenté un tout nouveau tracé laissant quasi-intactes ces deux circonscriptions. (Outremont déborderait un tantinet à l'Est sur Mercier, sans plus)

Qu'est-ce qu'on fait ?

Manon Massé se bat pour que ses citoyens aient le droit d'être entendus, maintenant qu'ils sont connaissance de cause. Elle a déposé mardi une pétition de 14 000 signatures qui exige que de nouvelles consultations soient tenues.

Mercredi, elle présentait un projet de loi pour que soit suspendu le processus du CRÉ jusqu'au 16 juin, pour laisser le temps à ces consultations d'avoir lieu. Le DGEQ lui-même est très ouvert à cette démarche, mais un changement de loi est requis pour qu'elle soit enclenchée. La balle est donc dans le camp des parlementaires.

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Manon Massé précisait alors être en discussion avec les autres partis. Elle a noté des appuis du PQ et de la CAQ. Du côté des libéraux, la ministre de Santis a fait savoir jeudi en point de presse qu'elle n'appuyait pas le projet de loi, demandant à ce que soit poursuivi jusqu'au bout le processus du CRE, rapporte La Presse.

Le député solidaire Amir Khadir s'est désolé de cette situation, soutenant que, pour les libéraux, « ça aurait été l'occasion de montrer un peu la hauteur démocratique. Ils ont échappé encore celle-là, cette opportunité-là. C'est pour ça qu'on va être devant la cour [vendredi] avec une requête d'injonction pour suspendre l'application de la carte électorale telle que suggérée par le DGEQ. »

Le maire Denis Coderre a pour sa part déposé une motion au conseil d'arrondissement de Ville-Marie mardi soir, appelant à « respecter et conserver Sainte-Marie-Saint-Jacques », rapporte Radio-Canada.

Un exercice partisan?

Un point est à clarifier dans toute cette histoire : ce n'est pas un cas de gerrymandering, mot complexe qui désigne un exercice de découpage de la carte électorale pour avantager un parti.

L'exercice du CRE est indépendant. Ce ne sont pas les libéraux qui avaient en main la paire de ciseaux et le bâton de colle, lorsque le redécoupage a été effectué. Est-ce juste pour autant?

Il est vrai que les libéraux ont eu la chance se prononcer largement depuis le dépôt du premier rapport, et de le contester. Un militant libéral de longue date a d'ailleurs financé un document d'une cinquantaine de pages « d'observations d'ordre juridique »; ces arguments ont été repris « plusieurs députés libéraux », rapporte le Journal de Montréal. Le militant a refusé de dire combien il avait payé ce document, et précise que d'autres électeurs ont participé au financement, sans les nommer.

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Il est aussi vrai que Québec solidaire est désavantagé par la proposition actuelle, si on se fie aux résultats des dernières élections.

Manon Massé l'a emporté avec 91 voix d'avance sur sa rivale libérale en 2014 (et on pensait que Travis Cormier avait perdu de justesse à La Voix avec 1 % des votes en moins). Dans Westmount-Saint-Louis, circonscription avec laquelle Sainte-Marie-Saint-Jacques sera fusionnée, les libéraux l'ont remporté avec 18 700 voix de plus. Ça regarde mal pour Manon.

Manon Massé assure qu'elle ne conteste pas actuellement le tracé de la carte électorale. « Ce n'est pas de ma job que je vous parle, c'est des citoyens de mon comté », a-t-elle martelé en point de presse mardi. Elle assure se battre contre le processus, qui constitue pour son comté un déni de démocratie.

Comment ça va finir, tout ça?

Du côté du DGEQ, on assure que les deux scénarios proposés dans les deux rapports sont toujours sur la table.

Même s'il n'y a pas de consultation « physique », ils continuent de recevoir les commentaires de citoyens. « On est en train d'analyser de façon non partisane les commentaires reçus. Ça fait office de consultation », insiste Alexandra Reny. Ils en ont reçu environ 2000 depuis la nouvelle proposition.

Tout cela, plus le débat de cinq heures tenu cette semaine à l'Assemblée nationale, sera pris en compte dans la décisions finale. Un troisième scénario pourrait même voir le jour à ce moment-là.

Ainsi, impossible de savoir pour le moment de quoi sera faite la carte électorale montréalaise en 2018.

Si l'injonction a un quelconque effet, ou si le projet de loi 790 est adopté, peut-être que le processus va être allongé et que les citoyens pourront plus amplement débattre. Sinon, d'ici 8 jours, on sera fixés.