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Les tabloïds britanniques = la meilleure pub du monde pour la défonce légale

Le sensationnalisme est train d'offrir à l'industrie de la défonce légale un espace publicitaire gratuit qui touche, chaque jour, des millions de consommateurs potentiels.

Quelques grammes de salvia séchée. (Image via)

Les tabloïds britanniques ont une relation amour-haine assez ambiguë avec les défonces légales. Alors que de nouveaux produits sortent régulièrement des laboratoires des chimistes du Parti communiste chinois, les médias produisent des avalanches d'articles relatant des histoires d'overdoses de sels de bain ou d'étudiants hospitalisés pour crise d’angoisse sous méphédrone. Mais tandis que leur sensationnalisme dope les ventes de leurs magazines, on aperçoit un côté obscur à ce déferlement : lesdits médias sont en train d'offrir à l'industrie de la défonce légale un espace publicitaire gratuit qui touche, chaque jour, des millions de consommateurs potentiels.

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Le week-end dernier, le Daily Mail informait que de la salvia, une drogue hallucinogène superpuissante, était disponible sur Amazon. (Inutile d'aller vérifier parce que a) ça a été supprimé, et b) c'est une authentique perte de temps, sauf si vous voulez claquer 20 euros que vous pourriez investir dans un truc qui ne vous attaque pas les poumons.)

Heureusement, tout s'est bien passé pour les rédacteurs du Daily Mail et leur cohorte de commentateurs : la véritable nature d'Amazon a été révélée – des dealers irresponsables occupés à envoyer des adolescents à l'hôpital plutôt qu'à vendre des Kindles et autres breloques – et l'enseigne a été contrainte de s'excuser. Le canard a fait sa bonne action, Amazon a été publiquement couvert de honte et tout le monde a été sauvé. Mais, étrangement, l'intérêt pour la défonce légale a explosé, comme en atteste le nombre de recherches internet, de 2004 à aujourd'hui.

Voyez le rapport complet sur Google Trends.

Dès la publication de l'article en mai 2013, les recherches « salvia amazon » se sont extraordinairement multipliées sur Google. Il est impossible d'affirmer que ces recherches ont débouché sur de véritables ventes de salvia, mais l'article du Daily Mail a offert une publicité conséquente à cette dope en particulier. Et si vous avez un pied dans la drogue – sachant que ce mag attire environ 100 millions de visiteurs uniques par mois, je parierais qu'il y a au moins 2 ou 3 personnes concernées dans le lot – la description de la salvia proposée par le site – qui la qualifie de « plus puissante que du LSD » – a probablement dû intéresser plusieurs acheteurs potentiels, et ce, même si la description en question est erronée.

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Rien d'étonnant là-dedans ; il paraît même assez évident que l'intérêt pour une drogue augmente suite à son exposition médiatique. Mais le graphique ci-dessous met à jour une info un peu plus surprenante :

Voyez le rapport sur Google Trends

Vous vous souvenez de l'histoire de ce type de Miami qui était devenu cannibale à cause d'une nouvelle drogue, en mai 2012 ? Le type, dont on supposait qu'il avait ingéré de la méphédrone – connue aux États-Unis sous le nom de « bath salts » – et qui s'était ensuite attaqué violemment à un inconnu, l’avait dépecé à coups de crocs et avait finalement été abattu par la police. Ouais, ce type. Après que les médias ont diffusé le nom du produit avec lequel le type s'était défoncé, on aurait pu croire que la popularité de cette drogue s'en trouverait affectée. Mais immédiatement après cet incident – qui s'est déroulé le 26 mai – et tout le battage médiatique qui s'en est suivi, le nombre de gens qui ont tapé « buying bath salts » dans les moteurs de recherche a augmenté de façon exponentielle.

Encore une fois, il est important de noter qu'il n'y a aucun moyen de vérifier si ces recherches ont débouché sur des achats, mais on peut imaginer qu'une partie, aussi infime soit-elle, des gens qui cherchaient à acheter des bath salts en ont finalement commandé.

Un bag de méphédrone.

Mais il n’y a pas que le mystérieux zombie drogué : le même phénomène s'est produit lors de la première vague de méphédrone qui a frappé la Grande-Bretagne en 2010. Tout a commencé avec le titre d'un numéro du Daily Mail : « Une mère tire la sonnette d'alarme alors qu'UNE AUTRE adolescente meurt des suites d'une overdose de Meow Meow ». En dépit du fait que l'article décrive une overdose et, pire encore, qu'il appelle cette drogue légale « meow meow » [l’appellation argotique de la méphédrone en Angleterre] l'intérêt des acheteurs pour ce produit s'est immédiatement multiplié grâce à sa couverture médiatique.

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L'ironie ultime de la situation se trouve ici : à travers leurs articles, les organes de presse attiraient l'attention sur des produits légaux qui pouvaient servir à se défoncer, mais ils ont également, en de rares occasions, hébergé des publicités pour ces produits auxquels ils avaient l’air si hostiles. Voyez ci-dessous une (toute petite) capture d'écran faite le 7 juin 2012 après avoir cherché « ivory wave » (un autre legal high) sur le site web du Daily Mail :

Si vous ne pouvez pas la lire correctement parce que vous n'avez pas toujours une loupe sur vous, la publicité que l’on aperçoit sous l'article dit : « Vente en gros de Ivory Wave, les meilleurs sels de bain. Ne ratez pas cette offre spéciale, des remises et des prix extraordinaires ! Achats en ligne sécurisés ! » Alors, bien sûr, ces publicités ne sont pas contrôlées par le Daily Mail – et il semblerait qu'elles aient été retirées du site depuis – mais il n'en reste pas moins surprenant de voir ça là.

Du coup, est-ce que la couverture médiatique et les résultats de Google Trends sont une étrange coïncidence ? J'ai discuté avec Stephen Rolles, membre de Transform, l’un des plus gros think-tanks en matière de politique antidrogues au Royaume-Uni, pour essayer de mieux comprendre ce que tout cela signifie.

VICE: Salut Stephen. Parlez-moi de la relation entre l’indignation des tabloïds et la popularité des produits légaux pour se défoncer.
Stephen Rolles : À travers la publication d'articles comme ceux que vous avez mentionnés, la presse tabloïd a offert par inadvertance un espace publicitaire gratuit à des entreprises qui produisent des legal highs. Les articles citent parfois le nom du produit, ses effets, son prix, et ils disent qu'on peut se le procurer librement sur Internet – tout ce qu'un consommateur potentiel a besoin d'entendre pour que ça éveille son intérêt.

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OK. Serait-il donc juste de dire que le battage médiatique est en réalité responsable de l’accroissement d'intérêt pour les legal highs ?
Je dirais que oui. C'est clairement ce qui s'est passé dans pas mal de cas. L'augmentation de l'intérêt apparaît immédiatement après la publication des articles. On observait déjà ce phénomène avec la couverture médiatique de l'ecstasy à la fin des années 1980 : plus les médias parlaient de la subculture rave, et plus les gens la découvraient et en apprenaient sur le sujet.

Est-ce que la fermeture des sites web serait un moyen efficace de prévenir des potentiels problèmes à venir ?
Non. En général, l'augmentation tous azimuts de la répression a tendance à aggraver les problèmes. Si vous fermez un site, les consommateurs se dirigeront simplement vers un autre des milliers de sites qui proposent le produit. Et une fois qu'un produit obtient suffisamment de couverture médiatique pour que des gens réclament son interdiction, la prohibition ne fait que rendre le marché souterrain. Le produit devient alors plus dangereux dans la mesure où ses composantes, sa puissance et sa pureté sont altérées.

Et de toute façon, les gens trouveront un nouveau truc, non ?
Oui, on verra apparaître un nouveau produit dont on ignore les risques pour remplir le vide laissé par la prohibition. C'est arrivé à plusieurs reprises au cours des dernières années. Signalons quand même que les médias peuvent aussi, parfois, alerter les gens de façon utile sur les dangers de certains produits, légaux ou illégaux. Quand il existe des données fiables sur des produits à hauts risques, l’intérêt semble baisser ou se stabiliser, comme c'est le cas avec le « Annihilation », un autre legal high du moment.

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Ouais. Peut-être que rien que le nom a pesé dans la balance dans ce cas-là. D'après vous, de quoi dépend l'avenir des legal highs ?
Eh bien, les politiciens n'ont que deux options : ils peuvent laisser ces produits aux mains des sites web non réglementés, ou ils peuvent essayer de les interdire, ce qui tendrait à aggraver le problème. Il nous faudrait une troisième option qui permette d'évaluer le danger des produits et de réglementer la production et la vente ; c'est le modèle qui est en train d'être mis en place en Nouvelle-Zélande. Nous avons besoin d'une réglementation du marché qui soit pragmatique plutôt que d'une suite interminable d'interdictions inutiles, voire contreproductives.

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